L'onde Harel

L'hypothétique lancée de l'ex-ministre péquiste dans la course à la mairie crée des remous sur la scène municipale

Montréal - élection 2009

Jeanne Corriveau - Plongera, plongera pas? Louise Harel a évoqué cette semaine la possibilité de se lancer dans la course à la mairie de Montréal. Son «peut-être» tranchait avec le non catégorique d'il y a à peine un mois. Son apparition soudaine dans le paysage électoral a créé une onde de choc à Montréal.
Flattée par l'appel de citoyens nombreux à l'encourager à briguer la mairie de Montréal et par les sondages favorables, Louise Harel a publiquement avoué être en réflexion. Perçue comme une tentative pour vérifier la température de l'eau, cette sortie pourrait bien déboucher sur une nouvelle candidature qui brouillera les cartes.
Il y a une semaine, le scénario de la campagne électorale montréalaise paraissait prévisible. Le maire Gérald Tremblay, embourbé dans divers scandales, allait passer les prochains mois à tenter de laver son honneur et rétablir sa crédibilité. De son côté, le chef de Vision Montréal, Benoit Labonté, s'efforcerait de hausser sa notoriété et de composer une équipe complète dans l'espoir de conquérir la mairie. Le troisième joueur, Projet Montréal, avec Richard Bergeron à sa tête, tenterait d'augmenter ses représentants au conseil municipal, tout en jouant dans les pattes de ses adversaires dans les luttes d'arrondissement.
L'arrivée possible de Louise Harel, en plus d'attirer tous les projecteurs sur elle, a tout à coup chambardé le plan de match de cette campagne électorale. Figure connue dans l'arène politique, Louise Harel jouit d'une popularité certaine. Dans un sondage récent qui comparait sa popularité à celle du maire Tremblay, elle a récolté 45 % des intentions de vote contre 26 % pour M. Tremblay. De quoi semer le doute dans le camp d'Union Montréal, le parti du maire, mais aussi dans les autres formations.
Sa sortie publique a d'ailleurs été ressentie chez les élus et les candidats. Dans les coulisses, on chuchote que certains d'entre eux s'apprêtaient à annoncer leurs couleurs en prévision du scrutin de novembre. Compte tenu des circonstances, une tête d'affiche a même repoussé la date de l'annonce de sa candidature, initialement prévue pour la semaine prochaine.
Que feront-ils si Mme Harel décide de se lancer dans la course? L'étoile de Gérald Tremblay a considérablement pâli au cours des derniers mois avec les controverses entourant la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) et le contrat des compteurs d'eau qui fait l'objet d'une enquête du vérificateur général. Dans le camp de l'opposition, un an après son arrivée à la tête de Vision Montréal, Benoit Labonté demeure encore peu connu du public. Il est plausible que certains élus, en faisant leurs calculs, voient en Mme Harel le meilleur moyen pour eux de décrocher la victoire le 1er novembre prochain. «Le monde municipal n'est pas un monde très fidèle. Les élus changent de parti quand le vent tourne», fait remarquer Pierre Delorme, professeur au département d'études urbaines et touristiques à l'UQAM.
Les obstacles
Avant de plonger, Louise Harel devra bien soupeser la question de l'organisation, qui ne constitue pas une mince affaire. Fonder un parti à cinq mois des élections représente un défi de taille que d'autres, comme Jean Doré et Jacques Duchesneau en 1998, ont tenté de relever sans grand succès. Il faudra également songer à garnir la caisse électorale et trouver 105 candidats aux postes de conseillers et de maires d'arrondissement.
Avec une candidature telle que celle de Louise Harel, l'entreprise ne serait pas si ardue, a confié au Devoir un observateur de la scène municipale: «La question du parti n'est pas un problème et trouver des candidats ne serait pas compliqué non plus. En plus, il y a une machine électorale qui se mettrait à son service demain matin et cette machine s'appelle le PQ.»
En raison du manque de temps, Mme Harel pourrait aussi tenter de conquérir la mairie à titre d'indépendante, comme Andrée Boucher l'avait fait à Québec en 2005. «Les Montréalais sont peut-être prêts à répéter l'expérience de Québec. Ils se diront peut-être: "On n'a pas besoin de voir des pancartes. On la connaît pas coeur, on sait qui elle est." Ce n'est pas une hypothèse farfelue, mais ça dépend du chantier qu'elle veut attaquer», indique Michel Fréchette, spécialiste des communications politiques.
Si ce scénario devait être retenu par Mme Harel, M. Fréchette anticipe la suite des événements: «Elle pourrait fonder une coalition où les gens de tous les partis sont invités à se joindre à elle. Que ferait un André Lavallée [élu d'Union Montréal] par exemple? Que feraient d'autres qui sont au sein de l'administration? Est-ce qu'ils seraient prêts à s'engager à travailler avec elle si elle était élue à la mairie?» se demande-t-il.
L'autre option consisterait à rejoindre les rangs d'un parti existant, mais il est difficile d'imaginer l'ancienne ministre devenir la numéro deux d'un parti. En outre, les chefs de Vision Montréal et de Projet Montréal ont affirmé cette semaine qu'il était hors de question pour eux de céder leur place, même à une candidate de la stature de Mme Harel. Mauvaise stratégie, estime Pierre Delorme. «Si M. Labonté est intelligent, il a intérêt à dire: "OK, je serai le deuxième à Vision Montréal et elle sera première et on va gagner". Parce que lui tout seul, il ne gagnera pas. Il pourrait peut-être faire peur à M. Tremblay, mais il ne fera pas peur à Louise Harel», dit-il.
Anglais et anglophones
Reste que Mme Harel parle à peine l'anglais. «C'est un handicap quand tu veux diriger une ville comme Montréal parce qu'il y a une grande partie de la population progressiste montréalaise qui est anglophone. Mais l'anglais, c'est une langue qui s'apprend. Il y a plein de gens qui l'ont fait», fait remarquer Michel Fréchette.
La communauté anglophone n'a jamais pardonné à Louise Harel les fusions qu'elle a imposées en 2001 alors qu'elle était ministre des Affaires municipales dans le gouvernement de Lucien Bouchard et cette rancune pourrait lui nuire. Selon Pierre Delorme, cet obstacle importera peu: «Les anglophones sont davantage dans l'ouest de l'île de Montréal et ils font partie des 15 municipalités qui ont repris leur statut de ville indépendante. Ils ne voteront pas à Montréal», explique-t-il.
Louise Harel dénonce depuis des mois la «grande désorganisation» qui règne à Montréal depuis les défusions et la décentralisation des pouvoirs de 2003 instaurée par l'administration Tremblay avec l'accord de Québec. «C'est sûr qu'il y a un consensus à ce sujet: Montréal est paralysée par la structurite, une maladie grave depuis de nombreuses années, indique M. Fréchette. Mais on ne peut pas faire une campagne électorale sur une seule idée», dit-il en évoquant le projet de ville qu'elle devra proposer aux Montréalais si elle se jette dans la mêlée.
Mardi, Mme Harel promettait une décision d'ici l'été. Mais au fil de ses entrevues dans les médias, l'échéancier a rétréci. Jeudi, elle a indiqué qu'il s'agissait d'une question de jours. Et le suspense se poursuit.


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