L’irremplaçable Jacques Parizeau

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De la race des géants





Aujourd’hui, le 1er juin, deux années ont déjà passé depuis le dernier départ de Jacques Parizeau.


Dans ce Québec morose, austérisé, déboussolé, divisé en lui-même comme jamais et de plus en plus amnésique de sa propre existence, la présence, la sagesse, le courage, les mots et l’esprit même de Jacques Parizeau manquent terriblement à l’appel.


Par conséquent, permettez-moi de marquer cette journée en reprenant un des textes que j’ai signés dans les jours suivant son décès en 2015.


Un peu de réflexion ne nous ferait sûrement pas de tort...


***


Vous n’avez pas échoué (chronique parue le 9 juin 2015)


«J’ai échoué». Jacques Parizeau l’aura beaucoup dit. Aujourd’hui, alors que vous serez porté à votre dernier repos, permettez-moi d’oser l’indicible. Non, Monsieur Parizeau, vous n’avez pas échoué.


Vous aviez toutefois raison sur une chose: «la victoire a des pères innombrables et la défaite est orpheline». Or, en politique comme dans la vie, le concept d’«échec» est au fond bien relatif.


La vérité est que du premier référendum de 1980 au vôtre, vous avez réussi à imprimer à l’option souverainiste cette avancée prodigieuse de dix points, moins des poussières. Et ce, sur une question claire.


Vous avez réussi à calmer la grande frousse de nombreux Québécois. Cette peur atavique inculquée de longue date à coups de chantage économique, vous l’avez domptée par la raison.


Votre force et votre confiance, vous avez réussi à les rendre prodigieusement contagieuses.


Le tribunal des injustes


Le soir du 30 octobre 1995, vous avez laissé parler votre colère. Cette phrase malheureuse, on vous l’aura fait payer comme si vous aviez la lèpre et la peste combinées.


À force d’admonestations, ce tribunal des injustes a même oblitéré des mémoires le reste de votre discours, dont son véritable passage-clé.


Le Oui ayant perdu de peu et sachant que vous vouliez passer le témoin au prochain, vous proclamiez la seule issue possible dans un tel cas: «on se crache dans les mains et on recommence!»


Le poids de l’échec ne vous revient donc pas, Monsieur Parizeau. L’échec, le vrai, revient à ceux et celles qui, après vous, ont préféré le pouvoir au recommencement que vous appeliez de toutes vos forces. Dans un autre passage oublié, celui-là prophétique, vous les aviez pourtant bien avertis.


Contrairement aux naïfs qui voyaient dans cette quasi-victoire le mythique «rapport de forces» ouvrant la porte à la fin du «statu quo» au sein même du Canada, vous saviez déjà qu’il n’en serait rien.


«Il y a des gens qui ont eu tellement peur», disiez-vous, «que la tentation de se venger, ça va être quelque chose». Vous aviez raison.


Prophétique


Menaçant le Québec de partition, Jean Chrétien s’armerait aussi de sa loi dite sur la «clarté». Cette négation sans précédent de notre droit à l’autodétermination ferait dorénavant main basse sur la démocratie québécoise.


L’échec, le vrai, est celui de ceux qui, apeurés, ont préféré balayer leur option sous le tapis.


Ce même soir du 30 octobre, «encore à défaut d’un pays», disiez-vous inquiet, vous avez même enjoint les Québécois à ne rien «sacrifier au mouvement vers la droite qu’on voit envahir le reste du Canada».


L’échec, le vrai, est celui de ceux qui, dès après le référendum, ont préféré y succomber.


C’est pourquoi l’Histoire, Monsieur Parizeau, ne vous jugera pas sur une phrase injustement retenue contre vous par le tribunal des injustes, mais sur l’ensemble d’une œuvre politique proprement colossale.


Une œuvre bâtie pierre par pierre et qui, sur des décennies de service public et de combat pour l’indépendance, repose sur une intégrité inattaquable.


Vous avez osé toucher les étoiles de votre vivant. Que l’éternité vous déleste enfin de cet «échec» qui ne vous appartient pas. Reposez en paix et veillez sur ce Québec que vous avez tant aimé. Il en aura grand besoin.


***
 




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