L'Iran pluraliste

17. Actualité archives 2007


L'Iran, pays pluraliste? Une blague, sûrement... une provocation de chroniqueur. Oui, j'attaque délibérément avec une outrance rhétorique, pour avoir un bon titre. Mais avec tout de même un fond de vérité!
Parce que dans ce roulement de tambours militaires autour du pays des ayatollahs, il faut rappeler une chose: ce pays n'est pas une dictature totalitaire comme l'était l'Irak de Saddam Hussein. Et une attaque militaire contre l'Iran - aujourd'hui diabolisé par les États-Unis et par Israël - serait vraisemblablement une catastrophe de plus.
Une catastrophe, non seulement sur le plan géopolitique... mais aussi parce qu'une telle action ferait reculer les potentialités pluralistes qui existent, en veilleuse, à l'intérieur de l'Iran. Tout autant dans le système politique - un hybride de démocratie parlementaire, de régime présidentiel faible et de tutelle autoritaire des religieux - que dans la vie sociale, marquée par une réelle autonomie de groupes comme les étudiants, les intellectuels, les artistes. Et avec une jeunesse qui, saturée de propagande religieuse, rêve d'Occident et de laïcité...
On se rend compte aujourd'hui que le caractère totalitaire de la dictature de Saddam ne signifiait pas, pour autant, qu'une attaque militaire contre l'Irak était moralement juste ou stratégiquement judicieuse. Mais en Irak, au moins, l'attaque ne risquait pas de tuer «les potentialités pluralistes» d'un pays... En Iran, par contre, c'est bel et bien le cas!
Au cours des derniers jours à Téhéran, dans ce pays supposé «dictatorial et tyrannique», ce pays «agressif et à la veille de posséder la bombe atomique», qu'a-t-on vu?
On a vu un président se faire traîner dans la boue par la presse de son propre pays... pas très fort pour un dictateur! Les rodomontades de Mahmoud Ahmadinejad sur l'énergie nucléaire, ses folles envolées rhétoriques contre les juifs et le «Diable américain», ses fréquentations internationales douteuses (en Amérique latine et ailleurs), ont provoqué, cette semaine, une «volée de bois vert» médiatique, comme rarement on en voit ici.
Par ailleurs, démocratique ou non, un régime comme le régime iranien est capable, à certains moments, de jouer sérieusement le jeu de la négociation, de la modération, du «donnant-donnant»...
Il y a dix jours, la BBC nous apprenait qu'en 2003, dans une lettre secrète envoyée à Washington, les dirigeants iraniens avaient proposé aux États-Unis, en échange d'un arrêt des sanctions économiques et d'autres considérations, une cessation de l'appui iranien au Hamas palestinien, au Hezbollah libanais, ainsi qu'une coopération véritable dans une éventuelle stabilisation de l'Irak. Rien que ça!
Et la réponse est venue de celui que l'on considère souvent comme le vrai patron de la Maison-Blanche: le vice-président Dick Cheney. Cette réponse, c'était un «niet» dogmatique et sans concession, avec la justification: «On ne traite pas avec le Diable.»
Malgré la catastrophe irakienne, les pulsions de la Maison-Blanche semblent toujours la porter, dans une espèce de fuite en avant, au réflexe militaire et à l'attaque plutôt qu'à la négociation... Non que Washington veuille envahir aujourd'hui l'Iran, sur le modèle «Irak 2003». Non, l'attaque, s'il y en avait une, prendrait la forme de harcèlements contre les Iraniens en Irak (comme cela a d'ailleurs déjà commencé), et surtout de bombardements aériens contre des cibles supposées «stratégiques» à l'intérieur de l'Iran, avec la question nucléaire comme prétexte.
Le choc physique des armées n'aurait lieu qu'ultérieurement, et accidentellement, à la suite d'une escalade - toujours possible sans être certaine. Ce choc aurait vraisemblablement comme théâtre le sud de l'Irak, région où les Iraniens disposent aujourd'hui de solides alliés et jouissent d'une grande marge de manoeuvre, grâce à l'intervention américaine de 2003. Au bourbier irakien, s'ajouterait peu à peu un bourbier iranien et une guerre régionale.
Nombreux sont ceux qui veulent empêcher les États-Unis d'en arriver à une telle extrémité. La presse française nous apprenait la semaine dernière que la France songe sérieusement à engager une opération diplomatique d'envergure auprès de Téhéran, malgré la ligne dure de Washington et malgré les sanctions symboliques de l'ONU, votées en décembre par le Conseil de sécurité.
Les commentateurs politiques d'un peu partout sont alarmés par ce qui se trame actuellement. Daniel Vernet dans Le Monde parle de la «folie» de ces éventuels bombardements, qu'un George Bush sur le départ se sentirait obligé de faire, et qui selon lui n'empêcherait pas les Iraniens d'acquérir la bombe. Mathias Brügmann dans Handelsblatt (quotidien économique de Düsseldorf) exprime l'exaspération des Allemands contre «l'impasse des sanctions unilatérales» qui «renforce la ligne dure à Téhéran» et le réflexe nationaliste des Iraniens. Et Nicholas Kristof dans le New York Times se lamente de la «courte vue» de George Bush, «qui se prépare involontairement à aider le camp des durs de Téhéran à écraser le mouvement démocratique iranien».
Autrement dit: les bombes américaines feraient reculer la démocratie et le pluralisme, au lieu de les faire progresser. Ce ne serait pas la première fois.
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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