L'investissement référendaire

1998


Jean Charest dit vouloir «remettre le Québec et ses régions sur les rails de la prospérité économique en levant l'hypothèque référendaire». Étrange conception de la démocratie que de voir la consultation d'un peuple comme une hypothèque et non comme un investissement dans son avenir.
Comprenons que M. Charest ne s'en prend pas tant à l'hypothèque référendaire qu'à ce qu'il voit comme l'hypothèque de la souveraineté. Refusant toutefois de trop engager le débat sur ce terrain, il s'en prend au principe même d'une consultation plutôt qu'au projet qu'elle propose et auquel il ne peut opposer que la squelettique Déclaration de Calgary.
Mais que Jean Charest dorme en paix, le gouvernement Bouchard ne semble pas tenté de faire ressortir le vide de cette déclaration en lui opposant clairement l'alternative souverainiste.
Préférant une commission parlementaire sur Calgary, on verra donc défiler la horde habituelle de constitutionnalistes qui, sauf tout le respect qu'on leur doit, ont le même facteur de stimulation qu'un discours de Claude Ryan. (Faudra sûrement prendre du Viagra politique pour trouver la chose plus excitante!)
De son côté, Jacques Parizeau propose qu'on se remette plutôt à investir le projet souverainiste. Voyant que le dessein de la souveraineté «s'estompe», il croit «qu'il faut dès maintenant commencer à dessiner le portrait constitutionnel d'un Québec souverain. De cette façon, on saura où l'on s'en va, et tous seront associés au même projet.» Que ce soit par une Assemblée constituante, des Etats généraux ou autrement, l'idée tente de répondre à une double nécessité, soit promouvoir cette option alors qu'elle recule et redonner aux citoyens et aux militants un forum où ils se sentent concernés par leur propre avenir collectif. Un forum qui, à l'instar des commissions itinérantes tenues en 1995, placerait les citoyens et les «experts» sur un pied d'égalité. Un forum voyant à mettre plus de chair dans le projet souverainiste.
Tout en remettant cette option au centre du débat public, un exercice de ce type permet aussi aux ailes improprement dites «molles» et «dures» de débattre plus ouvertement et de ramener au bercail les militants plus progressistes mais déçus qui, pour moult raisons, tendent à préférer le RAP au PQ. Rapprocher les deux ailes aiderait aussi à calmer cette espèce de chasse aux présumés «purs et durs» qu'on livre non seulement dans les cercles et médias fédéralistes mais aussi, et cela, on le dit moins, dans des milieux plus nationalistes.
Hier, le chroniqueur Normand Baillargeon nous rappelait qu'Orwell avait posé une question cruciale: «Comment faire, dans une démocratie, pour écarter le public des débats?» Dans le mouvement souverainiste, il faudrait plutôt se demander: «Comment on a fait pour écarter du débat public les idées qu'on identifie à tort comme étant pures et dures quant à l'indépendance, la langue et l'économie?»
La réponse est simple: il a suffi de les accuser de radicalisme et d'extrémisme, deux étiquettes ayant l'ultime avantage de discréditer ceux qu'on dit purs et durs tout en faisant passer les étiqueteurs pour des modérés. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage! Le problème, c'est qu'on ne se questionne même plus sur le fond des choses, à savoir si les modérés professent des idées qui le sont vraiment ou si les solutions proposées par des supposés purs et durs sont aussi extrêmes qu'on le prétend. Au fait, qui donc, du haut d'une quelconque tour d'ivoire politique ou médiatique, a décidé arbitrairement de ce qui est modéré, raisonnable ou qui constitue un juste milieu? N'est-il pas temps de cesser de répéter ces mots comme des mantras sans réfléchir à leur sens véritable?
Et voilà comment des étiquettes arbitraires, servant d'armes invisibles dans une lutte hautement politique, écartent du débat public des idées qui diffèrent trop de celles des gouvernants, de la plupart des médias ou des milieux d'affaires.
Bien sûr, on fait avec raison des gorges chaudes lorsque des Ontariens tentent d'exclure d'un poste un homme dont les idées y sont vues comme extrémistes. Mais au Québec, on ne s'offusque plus de voir des idées marginalisées par cette même étiquette insidieuse. Parizeau dit quelque chose? Ben voyons donc, c'est un pur et dur! Et pouf. Par magie, plus besoin de discuter de ce qu'il dit, qu'on s'y oppose ou non. Et un animateur de tribune téléphonique de le traiter de «folklorique» qu'il serait urgent de remettre dans les boules à mites, etc, etc. Et vlap! Parizeau, comme d'autres, se retrouve affligé de la maladie honteuse d'un radicalisme imaginaire.
Pourtant, ils sont si doux, ces purs et durs, ces présumés ultras de tout et de rien. Ils sont si gentils qu'ils ne traitent jamais ceux qui les haranguent d'espèces d'«ultra-jello» ou de radicalement gélatineux et ce, même si à l'instar de ce fameux dessert, ceux qui aiment tant se dire modérés tendent parfois à être inconsistants, à changer de couleur à volonté ou à trembler pour un rien. Franchement, les durs ne sont pas si durs qu'on le dit...
Mais que le discours soit dur ou tire plus sur la gélatine, investir dès maintenant dans un prochain référendum, c'est surtout reprendre le goût de parler de souveraineté. Mais c'est aussi investir dans une plus grande tolérance à l'intérieur même du mouvement en mettant fin à la marginalisation suicidaire de ses éléments les plus dévoués.
Sans cette tolérance, c'est non seulement le projet qu'on risque d'hypothéquer, mais la réélection même du gouvernement sans laquelle, nous répète-t-on, il n'y aura pas de référendum. Et puis, après tout, un bol de jello, c'est toujours bien meilleur avec un bon gros biscuit au chocolat...


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