L'État pétrolier

Ottawa — tendance fascisante



À la fin des années 1980, Robert Bourassa et Jacques Parizeau dénonçaient à l'unisson les taux d'intérêt que la Banque du Canada persistait à maintenir à un niveau effarant pour empêcher la surchauffe de l'économie ontarienne.
Pour les entreprises du Québec, où le taux de chômage dépassait les 10 %, soit le double de celui de l'Ontario, un taux préférentiel de 14,25 % était nettement prohibitif. Peu importe, l'Ontario était le moteur économique du pays. Ce qui était bon pour lui ne pouvait donc qu'être bon pour l'ensemble de la fédération.
C'est exactement l'argument que la première ministre albertaine, Allison Redford, sert aujourd'hui à son homologue ontarien, Dalton McGuinty, qui se plaint que le «pétrodollar» canadien, surévalué par rapport à la devise américaine, a «dégonflé» le secteur manufacturier et les exportations de sa province.
Une étude a beau affirmer que le pétrole des sables bitumineux aura des retombées économiques de 63 milliards de dollars en Ontario d'ici 2035 et y créera 65 000 emplois, M. McGuinty n'est toujours pas convaincu.
À en croire Mme Redford, le pauvre homme a une vision «simpliste» des choses. Prisonnier de ses oeillères provincialistes, il ne comprend pas que la prospérité de l'Alberta rejaillira sur l'ensemble de la fédération.
Il est vrai que le pétrole crée plus d'emplois en Alberta. Et alors? Les chômeurs ontariens n'ont qu'à déménager dans l'Ouest. N'est-ce pas précisément là la beauté de ce grand pays: permettre à tout un chacun d'élargir ses horizons?
D'ailleurs, de quoi se plaint M. McGuinty? Soit, ceux dont les impôts iront enrichir le trésor albertain ne contribueront pas au financement des hôpitaux à Toronto, mais l'Ontario n'est-il pas devenu une province bénéficiaire de la péréquation, qui provient en bonne partie du pétrole extrait des sables bitumineux? Depuis des décennies, le Québec se fait dire d'encaisser son chèque et de la fermer.
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Même si la plus grande diversification de l'industrie manufacturière québécoise la rend moins vulnérable aux aléas de la conjoncture, la force du dollar n'en constitue pas moins un frein à ses exportations.
Toutes proportions gardées, les pertes d'emploi dans le secteur manufacturier au cours des dix dernières années ont été plus importantes au Québec que chez nos voisins, constatait l'économiste principale chez Desjardins, Joëlle Noreau, dans un rapport paru à la fin de janvier.
La concurrence de la Chine l'explique en bonne partie, mais la vigueur du huard, qui valait seulement 62 ¢US en 2002, en est également responsable. Résultat: nos exportations vers les États-Unis sont passées de 74 milliards à 59 milliards au cours de la dernière décennie, et cette baisse n'a été que partiellement compensée par l'ouverture de nouveaux marchés.
M. McGuinty peut pester tant qu'il veut contre les méfaits du «pétrodollar», le déplacement des emplois vers l'Ouest n'empêchera pas les Ontariens de demeurer de bons et loyaux Canadiens.
Le premier ministre Charest, lui, doit veiller à ne pas donner de munitions au camp souverainiste. Lors de la visite d'Allison Redford à Québec, en début d'année, il lui avait d'ailleurs réservé un accueil étonnamment chaleureux, l'invitant même au Conseil des ministres.
Loin de lui adresser des reproches, M. Charest voulait signer avec l'Alberta une «très ambitieuse entente de coopération», à la fois économique, environnementale et culturelle. Il voyait même dans les émissions de GES causées par l'exploitation des sables bitumineux une bonne occasion pour le Québec de développer ses technologies de captation de CO2.
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Aux yeux de Pauline Marois, le retrait du protocole de Kyoto, qui a valu au Canada la réprobation du monde entier, démontre que le pays est en voie de se transformer en un véritable «État pétrolier».
Le recours systématique aux appels téléphoniques frauduleux au cours de la dernière campagne électorale — dans 47 circonscriptions, selon les partis d'opposition — laisse également penser que le gouvernement Harper partage avec bon nombre d'États pétroliers un véritable mépris pour les règles généralement reconnues en démocratie.
Après la clôture précipitée d'une session parlementaire pour se tirer d'embarras, le tripotage de la comptabilité des dépenses électorales, la suppression du financement public des partis politiques, les conservateurs en sont maintenant rendus à tenter de priver les électeurs de leur droit de vote.
Comme si cela ne suffisait pas, on a trouvé le moyen d'associer le Québec à cette arnaque. Choisir comme prête-nom un Pierre Poutine domicilié rue Séparatiste, à Joliette, en dit long sur l'estime qu'on nous porte au PC. Quoi, le scandale des commandites n'a-t-il pas démontré que les Québécois n'ont aucune morale?
Il est vrai que les exactions du gouvernement Harper font dresser les cheveux sur la tête de nombreux Canadiens d'un océan à l'autre qui, à l'instar de Justin Trudeau, ne reconnaissent plus leur pays, mais cela n'empêche pas son image d'être gravement entachée.
Avant de décréter que le pétrole mène nécessairement au vice, il vaudrait quand même mieux se garder une petite gêne. Si jamais Old Harry tient ses promesses, il faudra bien lui découvrir quelques vertus.


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