Le 22 février dernier, Kathleen Wynne, première ministre de l’Ontario, présentait les excuses de sa province pour l’adoption du Règlement 17. Imposé aux Canadien-français de la province à partir de 1912, le règlement leur interdisait de dispenser un enseignement bilingue dans leurs écoles pour y substituer un enseignement uniquement en anglais. Dans un article paru dans Le Devoir le 29 février dernier, un professeur de l’Université d’Ottawa, Gilles Levasseur, prétendait que le règlement avait comme principal objectif d’améliorer la qualité de l’éducation en anglais dans les écoles primaires. La mesure avait créé plein de préjudices, mais grâce à un étapisme courageux, bien des torts avaient été redressés.
Mais qu’en est-il de l’esprit de ce règlement ? Était-ce simplement la volonté d’améliorer la qualité de l’éducation en anglais ? Pas exactement ! Dans le contexte politique de l’époque, le Règlement 17 ne visait nullement à améliorer le sort de la minorité. Tout au contraire ! Les anglo-saxons de la province avaient tout simplement profité de leur majorité à la législature pour lancer un cri de guerre contre ce qu’ils appelaient le « danger » canadien-français. Leur objectif n’était pas d’éduquer, mais de dénationaliser les Canadiens-français de la province, et indirectement, d’intimider les autres – c. à d. ceux du Québec – qui auraient la mauvaise idée d’aller s’y établir. Les grands slogans de l’époque n’étaient-ils pas Hands off Ontario ! Keep Canada British ! Le message ne pouvait être plus clair.
Le but était donc d’éviter que le nord de l’Ontario ne tombe entre les mains des Canadien-français. À l’époque, le potentiel agricole de cette région avait été évalué à 16 millions d’acres cultivables, ce qui constituait une perspective d’expansion considérable. La province avait tenté d’intéresser et de recruter des colons en Europe scandinave, mais sans succès. Quant aux anglophones de la province, ils avaient déjà commencé à quitter leurs terres pour la ville et des emplois dans l’industrie. Alors, fallait-il se résigner à laisser de si riches territoires en friche ? Il semble que oui.
Pour ce qui est des Canadiens-français, ils connaissaient ces territoires depuis plus de deux siècles, et avaient amplement démontré leur sens de l’organisation en matière de colonisation. Mais les théories sur le darwinisme social, de plus en plus populaires depuis les années 1880, en faisaient une menace pour la suprématie raciale dans la province.
D’ailleurs, on ne parlait plus du problème, mais du « danger » canadien-français. Il fallait donc trouver une solution au « french-canadianism » qui se répandait dans la province. En 1912, le Règlement 17 avait constitué une solution adéquate pour la dénationalisation de ceux qui étaient déjà établis, mais à quoi bon tant d’efforts si on ne mettait pas un terme à l’arrivée de nouveaux Canadiens-français. La solution viendra en 1918.
Depuis la Confédération, l’Ontario s’était beaucoup enrichie par la vente des terres de la couronne et l’octroi de droits de coupes forestières. Mais il y en restait énormément, surtout dans le nord. Puisque les Canadiens-français du Québec étaient les seuls preneurs, une décision s’imposait : fallait-il leur laisser les voies libres ou les leur fermer ? L’opinion publique, alarmée par ce danger, ne demandait pas mieux qu’une solution énergique. Elle ne tardera pas à venir ; elle sera mise en œuvre au cours de janvier 1918. De quoi s’agit-il ?
Le dragon casse sa chaîne
Le ministère des terres et forêts va continuer à vendre des terres de la couronne aux Canadiens-français, mais il ajoutera une clause au contrat. Dorénavant, l’acheteur s’engagera à obéir, expressément et sans réserve, à toutes les lois et règlements de la province – « laws, statutes, rules and regulations of every character whatsoever » – sous peine de forfaiture de tous ses biens immobiliers au profit de la couronne. Le procureur général agira de son propre chef et sans intervention du tribunal. Plus encore, aucune compensation n’aura lieu pour les paiements déjà faits, les améliorations au terrain, la construction d’une maison ou de bâtiments. Quel colon canadien-français aurait été assez désespéré pour signer à l’avance une telle condamnation.
En 1918, les lois et règlements se comptaient déjà par milliers en Ontario. À la moindre infraction au moindre règlement, l’acheteur s’exposait à la ruine et à la rue. Par exemple, s’il avait la malchance d’être pris avec un phare d’auto brûlé, ou un permis de pêche échu, il risquait la confiscation de son terrain et de ses améliorations, y compris la maison et autres bâtiments. Pouvait-on imaginer pire violence et pire déni de civilisation ? L’histoire moderne n’en donne pas vraiment d’exemples, si ce n’est l’aryanisation des biens des Juifs durant la Deuxième guerre mondiale.
Face à un tel saut dans la dénégation du droit et le mépris du bon sens, on aurait pu s’attendre à ce que des cris d’indignation fusent de la population et de la presse de l’Ontario, mais il n’en fut rien ! Les seuls journaux qui aborderont la question ne feront qu’en justifier la nécessité. Il fallait soutenir la politique de provincialisation des Canadiens-français, c. à d. les empêcher qu’ils partent en cavale à l’extérieur de leur province.
Sur la plan juridique, on justifiait la mesure par une interprétation franchement impérialiste de la constitution. Ainsi, lorsque les Canadiens-français ont accepté de se soumettre à la Constitution de 1867, ils ont aussi renoncé à « tous leurs droits politiques et autres réclamations basées sur le passé ». C’était donc comme si les Canadiens-français n’avaient jamais eu de droits avant 1867. Dorénavant, leurs seuls droits devaient se retrouver expressément, en noir sur blanc, dans la loi de 1867. Si ça ne s’y trouvait pas, ça n’existait pas ! C’était aussi simple que ça.
Interprétée de cette façon, la Constitution de 1867 devenait une nouvelle capitulation : les Canadiens-français s’étaient soumis au contrat qu’on leur avait proposé, et avaient remis les clefs de leur pays à de nouveaux maîtres. De plus, ils avaient accepté de ne plus reluquer à l’extérieur de leur province. Ils étaient provincialisés : Hands off Canada ! Comme l’avait si bien dit George Brown à sa sortie de la Conférence de Québec, le 27 octobre 1864 : « French-Canadianism entirely extinguished ! »
Leur sort dans la Confédération avait alors été scellé.
Il ne faut pas trop s’en étonner ; l’esprit juridique du Canada anglais a des assises solides. Il suffit de lire l’arrêt Caron-Boutet rendu par la Cour suprême le 20 novembre dernier pour se rendre compte que l’esprit juridique de 1918 a traversé les générations et qu’il nous domine toujours comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
Christian Néron,
Membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste, Historien du droit et des institutions.
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Référence :
William H. Moore, The Clash ! A Study in nationalities, J. M. Dent and Sons, London, Ontarion, 1918.
Christian Néron, Dans le placard des donneurs de leçons, Vigile.net
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4 commentaires
Jean Laporte Répondre
21 mars 2016J'aimerais obtenir plus d'informations sur le règlement de janvier 1918 qui selon moi n'aurait pas fait long feu devant un tribunal. Quand aurait-il été retiré?
Laurent Desbois Répondre
13 mars 2016N’eut été des politiques anti-francophones du Canada… le Québec aurait pu se rendre au Pacifique !!!!
Entre 1870 et 1930, l’exil de millions de Québécois aux États-Unis (13 millions sont recensés en 1980)
Lors du recensement américain de 1980, les personnes qui se déclaraient d’origine Française constituaient le cinquième groupe ethnique aux États-Unis, juste avant les Italiens et ils représentaient 13 millions d’habitants. Si le sujet vous intéresse, il est exploité dans le livre « The French-Canadian Heritage in New England » écrit par le franco-américain Gerard J. Brault, University Press of New England, Hanover, 1986. On peut y lire : « Many Franco-Americans also have Acadian ancestors, but an overwhelming majority are descended from Quebecois. Emigration to the United States occurred mainly from 1870 to 1930, peaking in the 1880s. ».
Effectivement, il y a deux fois plus de Québécois aux États-Unis, qu’au Québec!!!!!
Cette émigration était aussi motivée par les mêmes raisons économiques.
Après la pendaison de Louis Riel et le génocide des métis dans l’ouest canadien, le gouvernement canadien appliqua une politique de colonisation dans l’ouest canadien, en y distribuant des subventions et en y donnant des terres. Il y eu une vaste campagne de promotion en Europe. Il est important de noter que ces privilèges n’étaient pas disponibles pour les Québécois, qui manquaient de terres à cultiver. C’est ce qui explique leur exil aux États-Unis, plutôt que vers l’ouest canadien.
Il y a environ 7 millions de francophones au Québec et un million de francophones hors Québec. Si le Canada avait permis aux Québécois de coloniser l’ouest canadien plutôt que de s’exiler aux États-Unis, on peut supposer qu’il y aurait 21 millions de canadiens dont la langue maternelle serait le français. La population totale du Canada est d’environ 32 millions d’habitants.
Les francophones seraient, et de loin, le groupe majoritaire dans ce beau Canada, n’eut été des lois du gouvernement d’Ottawa.
Est-ce que la politique d’exclusion des Québécois dans ce beau Canada, tout comme celle de rendre le français illégal dans tous les autres provinces à la même époque, était préméditée ou un pur hasard???
Serait-ce l’application du rapport Durham, qui préconisait la disparition ou le génocide des Québécois?
Que de se poser la question, c’est d’y répondre!!!!
Laurent Desbois Répondre
13 mars 2016L'évêque catholique FALLON de London, ON a appuyé les Orangistes pour implanter le règlement 17, qui interdisait l’enseignement en français en Ontario.
Pour toutes les églises, elles ont une mission beaucoup plus importante que de sauver la langue et la culture… mais bien de sauver des âmes ! La langue et la culture ne sont que des instruments de contrôle et de domination pour eux !
Le role de l’Église catholique pour les Orangistes!!!
Je vous rappelle le rôles des évêques catholiques , surtout irlandais, dans toutes les régions du Canada. Ex. les Acadiens sous le contrôle d’Halifax, la Trahison des Métis à Bâtoche, le rôle du clergé lors des excommunions des patriotes, sans parler de l'évêque FALLON de London, ON qui a appuyé les Orangistes pour implanter le règlement 17, qui interdisait l’enseignement en français en Ontario.
Je vous suggère « Les Sacrifiés de la bonne entente » qui raconte l'histoire des francophones du Pontiac Québécois, où l'anglicisation a fait des ravages, grâce aux services de leurs évêques anglais de Pembroke en Ontario.
http://www.imperatif-francais.org/?s=Les+Sacrifi%C3%A9s+de+la+bonne+entente+
http://www.imperatif-francais.org/bienvenu/articles/2002/les-sacrifies-de-la-bonne-entente.html
Archives de Vigile Répondre
10 mars 2016De nouveaux faits ont été soulevés dans le dossier d'un État (Ontario) contrôlé par une autre nation que la nôtre. Félicitations M. Néron.
Pour le Parti Indépendantiste (PI) c'est le principe de réciprocité que l'on met de l'avant. Le Québec doit être français, autant que ne l'est le reste du Canada anglais. Tous les élus québécois doivent militer pour cela.
Tiré du programme du PI :
Voici comment le PI entend gouverner afin d’assurer, de façon cohérente, le caractère français du Québec indépendant et l’intégration citoyenne :
Français langue officielle et commune du Québec
Citoyenneté québécoise et passeport québécois
Renforcement de la Charte de la langue française, dont la langue du travail
Cégep en français pour tous
Un seul centre hospitalier universitaire (CHU) en français à Montréal
Abolition des accommodements religieux
Contrôle plein et entier de l’immigration
Sélection des immigrants en fonction de leur maîtrise du français et du respect de notre culture, de nos lois et de nos valeurs
Francisation des réfugiés et des résidents d’origines étrangères qui ne maîtrisent pas le français
Acquisition accélérée de la citoyenneté québécoise pour les Franco-canadiens et les Franco-américains qui choisissent de s’établir au Québec.