L’enfer et le paradis

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«Quand la gauche fermait les yeux»

Le président François Hollande a eu beau le rappeler, on dirait que ses mots se sont aussitôt envolés. Comme si on ne voulait pas les entendre. C’est pourtant une évidence. Les trois policiers froidement assassinés lors des deux attentats commis récemment à Paris étaient un condensé de la diversité culturelle française.

La première, Clarisse Jean-Philippe, assassinée en pleine rue par Amédy Coulibaly, était une jeune Noire de la Martinique qui venait, à 27 ans, d’intégrer la police municipale. Le second, Ahmed Merabet, était le fils d’une famille algérienne arrivée en France en 1955. Après avoir travaillé chez McDo, à la SNCF et à l’aéroport de Roissy, il avait intégré le commissariat du 11e arrondissement de Paris et venait, à 40 ans, de passer le prestigieux concours d’officier de la police judiciaire. Le troisième, Franck Brinsolaro, était un policier émérite. Issu d’une famille italienne de vieille immigration, il avait protégé de nombreuses personnalités et travaillé au Liban, en Bosnie et en Afrique.

On nous reparlera ensuite de la France raciste et xénophobe ! Ces trois profils sont au contraire des exemples éloquents d’intégration républicaine. Ils devraient nous garder des jugements simplistes sur « l’apartheid » français et les ratés de l’intégration en France. Car, si ces ratés existent — et ils existent —, ils ne sont pas ceux que l’on imagine.

Le parcours des trois terroristes auteurs des tueries de Charlie Hebdo et de l’épicerie cachère de Vincennes est aussi éloquent. Abandonnés très tôt par leurs parents d’origine algérienne, les frères Chérif et Saïd Kouachi ont été recueillis par les services sociaux. Avec leur petite soeur et un autre frère, ils ont passé six ans dans le site enchanteur du Centre des Monédières à Treignac, dans le Limousin. Leurs éducateurs décrivent des enfants parfaitement intégrés qui jouaient au foot dans les clubs locaux et qui passaient leurs étés au bord de la Méditerranée. Saïd avait d’ailleurs décroché un diplôme d’hôtellerie.

Issu d’une famille malienne de dix enfants, Amédy Coulibaly avait poursuivi ses études jusqu’au lycée (cégep). Sorti de prison, il avait obtenu un contrat de professionnalisation en alternance au sein de l’usine Coca-Cola de Grigny. Toutes ces familles ne vivaient pas dans le dénuement mais dans des logements subventionnés par l’État. On ne saurait donc décrire leurs conditions de vie comme si elles avaient été abandonnées à elles-mêmes.


Je me souviens de mes premiers reportages dans les banlieues parisiennes. J’avais été frappé de l’écart entre les discours catastrophistes et une réalité beaucoup plus nuancée. Combien de fois me suis-je retrouvé devant des écoles, des piscines et des bibliothèques exceptionnelles dans des quartiers qu’on m’avait décrits comme totalement sinistrés.

En 2006, le sociologue Dominique Lorrain a comparé le quartier de Villiers-sur-Marne, considéré comme une banlieue parisienne pauvre, à la périphérie de Verdun, à 350 km de là, habitée par des Français dits « de souche ». Le revenu moyen était de 20 % supérieur à Villiers-sur-Marne et les équipements publics, cent fois plus fournis. Il en concluait que, contrairement à ce qu’on dit, ces banlieues n’avaient pas été abandonnées des pouvoirs publics.

En réalité, depuis 1989, la France y a investi des milliards. Les plans d’action se sont peut-être multipliés de façon désordonnée, mais l’État a largement assumé ses responsabilités. Les études démontrent aussi que ces quartiers sont loin d’être des prisons. Ils jouent plutôt le rôle de sas. Ils accueillent une immigration pauvre, de peuplement et essentiellement issue du regroupement familial, qui va s’installer ailleurs dès qu’elle le peut.

On ne comprend rien à ces quartiers si on les réduit à leurs seules caractéristiques économiques en oubliant leur dimension culturelle. Or il faut constater que, depuis au moins deux décennies, s’est imposée, dans les médias comme dans le langage quotidien, une image misérabiliste de ces quartiers qui est sans commune mesure avec la réalité. Préoccupée par la seule misère économique, toute une partie de la gauche n’a pas voulu voir ce qui s’y passait. Elle y a toléré le communautarisme, jusqu’à accepter le port du voile à l’école, au lieu de soutenir tout ce qui pouvait favoriser l’intégration, à commencer par la laïcité. Ces attitudes ont créé un terreau idéal à la prolifération de l’islamisme, qui n’en espérait pas tant. C’est ce qu’on a vu à Chanteloup-les-Vignes, où la crèche laïque Babyloup a cohabité sans problème avec la population multiethnique jusqu’à l’arrivée des salafistes à la direction de la nouvelle mosquée. Alors que la gauche s’est tue au nom d’une islamophobie fantasmée, le quartier a été pris en main par les intégristes et la crèche a finalement dû déménager.

Comme le dit le maire socialiste de Sarcelles, François Pupponi : « Entre les défenseurs de la cause sociale et l’idéologie des fondamentalistes, dans la tête de certains jeunes, à un moment, ça fait boum ! On leur dit : tu vis en enfer et on peut t’amener au paradis. Ça donne Coulibaly ! »

Quand la gauche fermait les yeux.


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