L'empreinte: le «grand tabou de l'histoire du Québec»

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À la recherche de nos racines

Avec le documentaire L'empreinte, les coréalisateurs et coscénaristes Carole Poliquin et Yvan Dubuc tentent, avec Roy Dupuis en intervieweur, de répondre aux questions hantant l'histoire du Québec depuis des années: qui sommes-nous et quelles sont les valeurs qui fondent notre identité, notre sentiment d'appartenance au Québec?


Le résultat est passionnant, les deux créateurs ayant effectué des recherches auprès de spécialistes aussi diversifiés que «des anthropologues, des psychanalystes, des sociologues et des historiens, qui prennent le sujet par tous les angles possibles pour tenter d'avancer vers ce que nous sommes», a dit Yvan Dubuc. Les deux réalisateurs ont tourné pas moins de 80 heures d'interviews, dont une partie se retrouvera sur le site internet du film.












«[...] on a occupé le territoire, tranquillement, avec eux... ce qui n'a jamais existé ailleurs dans le monde.»



- Roy Dupuis



Car, au fil du documentaire, le spectateur découvre que l'histoire du Québec n'est pas celle qui nous a été apprise sur les bancs d'école. «Notre histoire est jeune. Cette première rencontre [entre les premiers colons et les Amérindiens], ce nouveau modèle de colonie que les Français - qui ne sont pas venus en conquérants - ont établi ici au départ est important! C'est une énorme différence! Ils sont venus pour créer une alliance avec un peuple qui était déjà là, qui leur a proposé de s'installer, de se marier et de faire des enfants. Il n'y a pas plus intime comme début de société, comme rapport, que celui-là. Et c'est là-dessus que nous avons fondé notre société, que l'on a occupé le territoire, tranquillement, avec eux... ce qui n'a jamais existé ailleurs dans le monde. C'est unique comme modèle de colonisation», a détaillé Roy Dupuis.


«C'est sûr que ça a laissé des traces! Surtout quand tu arrives et que la société [amérindienne] apporte plus de liberté, plus d'égalité que la société d'où tu viens. Sans parler de la liberté sexuelle. C'est sûr que les colons ont été charmés par les "sauvagesses". [...] C'est la moitié de notre histoire, et pourtant, c'est comme si cela n'avait jamais existé, que cela ne faisait partie que d'un folklore.»


Une relecture des rôles de Roy Dupuis


Le questionnement du comédien à ce sujet remonte à de nombreuses années. «En interprétant Alexis [NDLR: Labranche, dans Séraphin, un homme et son péché de Charles Binamé], j'en ai parlé au réalisateur en lui disant qu'il n'était pas comme tous les autres du village. Il ne s'occupe pas de sa terre, il est tout le temps parti dans le bois. Ovila [NDLR: Pronovost, de la série télévisée Les filles de Caleb], c'est un peu la même chose. Il a de la misère à être cultivateur, il se sentait enfermé, il manquait de liberté, il avait besoin de prendre le bois, de vivre un peu à l'amérindienne avec ce côté nomade. Je trouvais qu'il était très représentatif de cette nouvelle race d'hommes qui avait pris naissance à cause du côtoiement de ces deux civilisations.»


«J'aurais voulu aller plus loin. J'aurais voulu ajouter des breloques amérindiennes [au costume], chose qui était probablement très juste. Mais personne n'osait mettre cela de l'avant à cette époque-là, parce que, dans Séraphin, un homme et son péché, c'est comme si les Amérindiens n'existent pas! Ils ne sont pas là! Pourtant, on est dans le bois! Alexis est bien plus Amérindien!»












«Et les livres d'histoire officiels ont véhiculé ce tabou-là, cette mise à l'écart.»



- Yvan Dubuc



«Tout ce questionnement-là m'est venu quand je suis allé travailler en France pour la première fois. Je me suis rendu compte que je n'étais pas Français. Et pourtant, on m'a dit toute ma vie que c'était la mère patrie, qu'ils étaient nos ancêtres. Oui, j'ai une culture française, mais mes valeurs fondamentales ne sont pas celles-là. Je ne viens pas d'une société hiérarchisée. Mais pas du tout! Ça ne fonctionne pas chez nous. C'est là que je me suis dit que si la France était la mère patrie, je devrais avoir ces valeurs en moi, je devrais concevoir la société de cette façon-là. Mais ce n'est pas le cas. Mais alors, qui m'a influencé? Qui m'a appris la société? À travers la Fondation Rivières [NDLR: dont le comédien est le cofondateur et le président du conseil d'administration], j'ai rencontré les nations amérindiennes et je me suis aperçu que je suis beaucoup plus proche de la pensée du cercle, qu'on associe souvent aux sociétés amérindiennes que de la société pyramidale, qu'on associe plus au système occidental, aux religions monothéistes, etc.. J'avais l'intuition que la rencontre entre les premiers colons et les premières nations avait été beaucoup plus importante que ce qui a été raconté.»


Pour Yvan Dubuc, le silence historique sur la manière dont l'identité québécoise a été forgée par ce mélange des deux cultures - visible aujourd'hui dans nos institutions juridiques pour les jeunes, dans notre tolérance à l'endroit des différences, de la naissance de l'écologie, de notre volonté d'obtenir le consensus - «est le plus grand tabou de l'histoire du Québec. C'est un secret de famille, une réalité historique cachée que l'on porte tous. Et les livres d'histoire officiels ont véhiculé ce tabou-là, cette mise à l'écart. [...] Aujourd'hui, que sommes-nous au-delà du fait de parler français? Sommes-nous des consommateurs nord-américains parlant français? Le film dit "non" et pose la question de savoir quelles sont nos singularités».


Tournés vers l'avenir...


Pour Carole Poliquin, Yvan Dubuc et Roy Dupuis, le fondement de l'identité québécoise est le «vivre ensemble», visible au travers de notre tissu social. «C'est ici que nous nous sommes dotés des institutions qui reflètent la manière dont nous voulons vivre ensemble», souligne la coréalisatrice, qui parle de la honte que l'on éprouve à être ce que l'on est. L'acteur, lui, souligne: «J'ai toujours de la difficulté, quand on me demande d'identifier la société québécoise, à sortir de l'image du cercle. Je pense que c'est ce qui illustre le mieux la manière de vivre et de concevoir la société. Nous sommes assis en cercle, d'égal à égal. C'est drôle que notre devise soit "Je me souviens", parce que nous sommes dans le cercle, mais nous ne le savons pas encore. Il nous reste à l'apprendre, à nous le raconter.»


Et maintenant que nous savons qui nous sommes, vers où allons-nous nous diriger? Pour Roy Dupuis, la réponse est simple. «Je ne sais pas. Mais déjà, de reconnaître d'où l'on vient est important. Nous avons des livres à écrire, des films à faire [sur ce pan de notre histoire]. En ce qui me concerne, en tant qu'artiste, c'est cela qu'on a à faire. Je n'en reviens pas qu'il n'y ait pas de films sur la Conquête!»


«J'espère que L'empreinte n'est que le premier temps de quelque chose où nous allons tenter de nous redéfinir. Et j'invite les artistes à aller creuser le sujet, à aller planter le clou», a conclu Yvan Dubuc.


L'empreinte prend l'affiche dans les salles dès le 13 mars.



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