Les campagnes électorales sont comme les combats que se livrent des armées en guerre. Elles laissent derrières elles des morts, des blessés et des disparus. Toutefois, la différence essentielle entre ces deux sortes d’événements fait que dans le cas des élections, les combattants ne meurent pas réellement. La démocratie survit généralement aux affrontements électoraux. Comme l’a déjà déclaré Sir Winston Churchill au sujet des campagnes électorales, c’est le seul endroit où il est possible de mourir plusieurs fois !
Nous sommes à quelques jours du jour « J ». Les canons deviendront silencieux lundi prochain. En contrepartie, le peuple québécois (qui est cet ensemble de personnes soumises au même système politique et au même gouvernement local) exercera sa souveraineté en vue d’exprimer collectivement sa décision quant au choix du futur chef de gouvernement et du parti politique pour le représenter majoritairement à l’Assemblée nationale. Dans le cas contraire, il aura élu un gouvernement minoritaire en prenant le risque de se soumettre à des « jeux » politiques plus désagréables encore que d’avoir choisi un gouvernement majoritaire. Il faut se rappeler ici l’élection de monsieur Daniel Johnson (père) le 5 juin 1966 comme premier ministre du Québec pour constater que ce ne fut ni la fin de la Révolution tranquille ni l’arrêt du mouvement de la défense des intérêts supérieurs du Québec.
La 38e élection provinciale au Québec
La 38e élection provinciale se déroule sous nos yeux en ce moment. Elle fait partie d’une expérience historique vieille de 140 ans dans le régime fédéral depuis 1867 et de 215 années si l’on se rapporte à la première assemblée législative du Québec qui remonte à 1792. Depuis 1792, les résultats électoraux confirment que les Québécois ont su faire fonctionner « raisonnablement » la démocratie québécoise durant un peu plus de deux siècles. (Mais nous devons beaucoup nuancer et tenir compte des mœurs électorales pour chacune des époques de notre histoire ainsi que du contexte politique et de la lutte nationale des « Canadiens » dans le Bas-Canada depuis 1792 et après 1840 sous l’Union.)
Toutefois, depuis 1867, il y eut la troublante élection de 1878 et la façon dont le lieutenant-gouverneur du Québec de l’époque joua son rôle de chef de l’État au sujet du gouvernement conservateur de Boucherville en 1878. En 1886, les événements entourant l’Affaire Riel au Québec eurent un impact majeur sur le groupe de « patriotes » de Mercier, les nationalistes et les conservateurs indépendants, si bien que le gouvernement conservateur de John J. Ross céda le 25 janvier 1887 à L.-O. Taillon son pouvoir, mais ce dernier fut mis en minorité très rapidement après quatre jours. Ne parvenant pas à rallier les conservateurs nationalistes, il démissionna comme premier ministre le 29 janvier 1887. Alors Honoré Mercier obtint le champ libre pour former immédiatement un gouvernement « national ».
Ces faits nous démontrent qu’entre 1878 et 1897, les dissensions et les tensions entre les conservateurs et les libéraux gênent le fonctionnement de la politique québécoise sans compter les relations tendues entre les lieutenant-gouverneurs de l’époque et la succession des chefs de gouvernement du Québec.
Après cette période d’instabilité politique entre la « majorité » et la » minorité » parlementaire, le long règne continu des libéraux débute en 1897 pour s’achever en 1935. Il est suivi par les six mandats de l’Union nationale dont quatre consécutivement de 1944 à 1960. Après 1960, une sorte d’alternance de deux mandats consécutifs pour les partis politiques au pouvoir semble s’installer dans les rapports entre les diverses forces électorales (cf. RÉF. no 4 ci-dessous). La possibilité de l’élection d’un gouvernement minoritaire en 2007 renversera-t-elle la tendance des deux termes de gouvernement ? Nous connaîtrons la réponse le 26 mars.
Pour mieux comprendre la situation actuelle, allons jeter un coup d’œil sur le vote exercé et le taux de participation aux élections provinciales depuis 1867.
Élections entre 1867 et 2003
Distribution du vote exercé et du taux de participation
Jour de l’élection Année Vote exercé Taux de participation
Août-septembre 1867 75 705 46,84
16 juin-14 juillet 1871 60 266 34,96
7 juillet 1875 88 056 47,39
1er mai 1878 139 230 63,91
2 décembre 1881 99 413 44,53
14 octobre 1886 150 224 63,96
17 juin 1890 159 936 57,81
8 mars 1892 176 552 59,97
11 mai 1897 228 172 67,34
7 décembre 1900 104 382 29,77
25 novembre 1904 114 466 29,97
8 juin 1908 248 061 59,65
15 mai 1912 294 670 61,45
22 mai 1916 211 219 43,46
23 juin 1919 131 084 27,30
5 février 1923 294 417 57,36
16 mai 1927 320 855 56,38
24 août 1931 493 885 77,01
25 novembre 1935 551 593 75,91
17 août 1936 574 225 78,23
25 octobre 1939 570 631 75,74
8 août 1944 1 345 550 72,13
28 juillet 1948 1 531 899 75,24
16 juillet 1952 1 704 711 75,86
20 juin 1956 1 874 510 78,32
22 juin 1960 2 130 207 81,66
14 novembre 1962 2 166 476 79,59
5 juin 1966 2 370 510 73,56
29 avril 1970 2 929 999 84,23
29 octobre 1973 3 025 738 80,38
15 novembre 1976 3 430 952 85,27
13 avril 1981 3 638 575 82,52
2 décembre 1985 3 464 232 75,69
25 septembre 1989 3 501 068 74,95
12 septembre 1994 3 992 028 81,58
30 novembre 1998 4 115 163 78,32
14 avril 2003 3 866 248 70,42
26 mars 2007 xxx xxx
Consulter : QuébecPolitique.com
Au cours des 140 dernières années, on dénombre huit élections dont le taux de participation a oscillé entre 27,30 % et 47,39 % ; en revanche, toutes les autres élections se situent entre 56,38 % et 85,27 % dont seize élections avec un taux de participation de plus de 75 %. Dans son ensemble, le bilan est très positif. La crise entourant l’élection de 1878 et la formation d’un premier gouvernement Joly malgré des résultats électoraux très serrés ont été créées par le lieutenant-gouverneur Luc Letellier de Saint-Just qui à toute fin pratique fomenta un « Coup d’État » contre le cabinet de Boucherville en mars 1878.
RÉFÉRENCES ÉLECTRONIQUES
(1) [QUÉBECPOLITIQUE.COM
Élections générales
Statistiques électorales du Québec (1867-2003)->
http://www.quebecpolitique.com/election/elect01.html]
(2) 2007 QUÉBEC ÉLECTIONS
Dernière mise à jour : le 17 mars 2007
PROJECTION COURANTE (PDF)
(4) Assemblée nationale (Québec)
La répartition des sièges aux élections générales
Comme nous venons de le constater, il y a deux circonstances électorales où l’on peut affirmer que le Québec a été sous la gouverne d’un gouvernement minoritaire. Dans les deux cas, le taux de participation s’est établi autour de 64 p. cent aux élections de 1878 et 1886. Ce sont d’ailleurs les meilleurs taux de participation à part celui de 1897 (67,34 p. cent) qui marquera le début du long règne des libéraux jusqu’en 1931. À partir de 1931, les taux dépasseront systématiquement les 70 p. cent et même 80 p. cent. En revanche, pour l’ensemble des 37 élections passées, la moyenne de participation se situe à 65,10 p. cent tandis que pour la période allant de 1931 à 2003, celle-ci s’élève à 77,83 p. cent.
Conséquemment, le taux moyen de participation pour cette dernière période électorale est dépassé une fois sur deux.
Élections de 2007
Les manchettes viennent de nous annoncer que le déroulement du vote par anticipation s’est élevé jusqu’à 564 409 électrices et électeurs. Il semble que ce chiffre présage un peu ce qui pourra se passer le 26 mars prochain. Un certain désir de changement paraît palpable. Or, si le taux de participation dépassait les 80 p. cent, il se pourrait que le Québec connaisse la formation d’un gouvernement adéquiste légèrement majoritaire avec monsieur Mario Dumont à condition que la vague adéquiste continue à déferler sur tout le Québec. Pourrait-il y avoir un renversement comme il y en a eu un le 15 novembre 1976 ? Toutes les surprises sont possibles en politique. L’une d’elle a été annoncée hier après-midi à la Chambres des communes par le premier ministre Stephen Harper. Il a déclaré : « …il est nécessaire d’avoir un gouvernement fédéraliste à Québec, un gouvernement qui respecte les champs de compétence des provinces, ici, à Ottawa ». Un autre signe, l’abondance des interventions publiques contre l’ADQ ou la multiplication des appuis pro-PQ ou pro-PLQ dans le dossier « Politique Québec » publié ce matin dans Le Devoir (cf. Lise Bacon et Michel David. et d’autres dans le Journal de Montréal).
Si les Québécois votent pour un gouvernement majoritaire le 26 mars, ils devront être vigilants pour la suite des événements. Les électeurs et les électrices doivent se poser une question importante : S’agira-t-il d’un pouvoir usurpé par de fausses promesses et des engagements bidon ? Nous savons d’ores et déjà que l’alternance des partis politiques à Québec après deux mandats n’a pas nécessairement porté ses fruits. Dans son premier mandat de gouvernement, monsieur Jean Charest a gouverné tant bien que mal le Québec. Il n’a pas commis d’erreurs majeures, mais l’incapacité de son gouvernement à sortir de l’ornière du fonctionnement habituel de la fonction publique québécoise (pour ne pas dire de la machine technocratique d’un groupe restreint de sous-ministres intrigants) l’a entraîné sur des voies de travers qui lui ont porté fortement ombrage. Il n’a jamais réussi par la suite à rectifier le tir. La promesse de réduire les impôts des contribuables a été jetée aux orties sans considérations profondes au cours de son mandat. Comme les autres gouvernements avant lui, il s’est accroché dans ses propres lacets de bottines. De plus, il n’a pas démontré clairement comment il pouvait résoudre les problèmes majeurs et structuraux de la société québécoise. Par exemple, il a laissé aller le débat concernant les deux CHUM de manière désinvolte. Il n’a pas encore réévalué le problème des services, de formation et de recherche en santé dans une perspective globale, si bien qu’il se retrouve à la case départ. Pour nous faire oublier le problème, il nous propose une réduction d’impôts plus généreuse que celle de son ministre des Finances. Heureusement pour lui, les autres chefs politiques n’ont pas réussi encore à créer une synergie qui pourrait secouer définitivement la léthargie de son gouvernement. Sauf que les quatre prochains jours risquent de devenir pour lui et son gouvernement des moments d’angoisse extrême.
Pour sa part, le bilan du PQ est loin d’être clair et complètement transparent. Au cours de ses trois mandats de gouvernement durant les deux dernières décennies, les représentants péquistes ont accumulé un déficit de confiance qui a précédé l’arrivée de monsieur Jacques Parizeau comme chef du PQ et s’est transformé momentanément à l’occasion de l’événement référendaire de 1995, mais il s’est à nouveau changé dans une posture d’attentisme au cours de la décennie suivante sous les gouvernements de messieurs Lucien Bouchard et de Bernard Landry. Il est bon de noter que chaque période des trois gouvernements péquistes s’est terminé par la démission du chef en place. On doit donc s’interroger sur ce que pense faire réellement le chef actuel de ce parti s’il est porté au pouvoir lundi prochain
Il ne semble pas en ce moment que monsieur André Boisclair puisse être capable d’effacer le passé de gouvernement péquiste sur le plan de son option. Quand un Robert Lepage nous dit en avril 2006 qu’il n’avait « qu’un reste de sentiment souverainiste » en lui et que, ce mercredi 21 mars 2007, il déclare qu’il a « besoin de (se) faire reconvaincre »,
on peut facilement imaginer qu’il est probablement un souverainiste sceptique. Or, pour se faire « reconvaincre », il plaide la cause d’une dernière chance propéquiste. Nous lui souhaitons bonne chance quant à sa démarche auprès de monsieur André Boisclair.
Tous les partis nous ennuient en ce moment avec cette idée du « cadre financier » qu’ils devraient nous présenter sans faute. Ils se chicanent tellement sur les chiffres qu’ils déposent qu’on a peine à croire tout ce qu’ils nous disent. Est-ce aux électeurs et électrices à faire les calculs à leur place ? Une chose est certaine, les Québécois ne voudront pas d’un gouvernement qui usurperait le pouvoir sous de fausses représentations en nous présentant des engagements bidon. Quand des taux de participation atteignent 85 p. cent des électeurs à l’occasion d’un vote électoral, il faut bien que leurs représentants politiques n’oublient pas qu’ils leur ont donné un mandat qu’ils devront respecter. C’est ça la plus grande responsabilité de l’homme politique. Celui-ci doit être capable de traduire sa vision politique en des actes de gouvernement qui reflètent les aspirations de la population. Par exemple, une fois de plus, le problème des deux CHUM à Montréal est un fiasco colossal. Il fait partie des « accommodements raisonnables » qui sont nettement déraisonnables. La construction de ces mégahôpitaux doit être réévaluée dans la perspective d’un seul mégahôpital susceptible de répondre aux besoins de la société québécoise et non à des segments privilégiés de la population ou à des coteries de chercheurs et autres administrateurs universitaires ou à des entrepreneurs, des gens d’affaires, de finances et aux divers milieux pharmaceutiques qui voyaient bien y faire d’énormes profits. La prudence est de mise, mais la question n’a pas été soulevée au cours de cette campagne électorale. Ce n’était pas un « enjeu » comme on dit habituellement dans les milieux journalistiques. Mais demain matin, quand les contribuables auront besoin de payer la facture, l’enjeu (si on peut appeler cela un enjeu) deviendra un cauchemar. Qui osera prendre les devants ?
« Il n’est pas bon en politique
de pratiquer trop allègrement
le funambulisme. »
Pour l’ADQ, la grande question consiste à prendre le pouvoir ou devenir au moins l’Opposition officielle à l’Assemblée nationale. Dans cette perspective, la position de monsieur Mario Dumont est claire. Il doit plaire d’une manière ou d’une autre à l’électorat par un discours qui se situe entre des propositions lénifiantes ou une vision apparemment pragmatique qui libérerait le Québec du mal libéral et de la confusion péquiste. Le plus important pour ce parti, c’est de survivre à défaut de vivre ou de vivre pleinement plutôt que de survivre artificiellement. Toutefois, nous ne devons pas sous-estimer la vague qui se profile dans les couches de la société québécoise et qui appelle à des idées nouvelles, des solutions nouvelles et à une manière de gouverner qui dirigerait le bateau du Québec vers le bon port d’arrivée. Sur ce point, monsieur Mario Dumont souhaite garder suffisamment d’autonomie pour le Québec dans le cadre du fédéralisme canadien. Il croit, c’est son droit, pouvoir y faire son chemin adéquatement et au profit des Québécois. Lui aussi veut défendre les intérêts du Québec tout autant que monsieur Gilles Duceppe à Ottawa. Sur ce point, il aurait intérêt à évaluer le poids politique réel du Bloc à Ottawa afin d’imaginer ce qui pourrait lui arriver comme chef d’un gouvernement trop autonomiste à Québec.
Finalement, l’émission Tout le monde en parle voulait qui voulait nous rebattre les oreilles d’une manière ironique et de façon professorale au sujet des cadres financiers des partis politiques ne deviendra qu’une vaste fumisterie. Nos chefs politiques se sont empêtrés dans ce carcan et ils devront en payer le prix au plan de la crédibilité. Il n’est pas bon en politique de pratiquer trop allègrement le funambulisme. Jusqu’à un certain point, monsieur Mario Dumont en paiera un certain prix électoral. Il apparaît évident qu’il ne sera pas seul, car la campagne vient de prendre une autre tournure depuis hier.
Le 26 mars, les électeurs et les électrices auront à choisir non seulement un bon gouvernement, mais surtout un gouvernement majoritaire qui saura agir dans l’optique de solutionner les VRAIS problèmes au lieu de tergiverser continuellement entre des intérêts divergents. Et au bout du compte, quelque soit le parti porté au pouvoir, il devra se rendre compte que LE QUÉBEC EST UNE PROVINCE DONT SON STATUT EST CELUI D’UN ÉTAT ANNEXÉ, subordonné et sur lequel se superpose un État central puissant, national et indépendant.
Bref, les derniers jours de campagne électorale nous apprennent une énième fois que L’ÉTAT DU QUÉBEC EST UN ÉTAT SUBVENTIONNÉ PAR OTTAWA. Cette histoire est vielle de 140 ans au moins puisqu’elle est l’essence même du principe fédératif canadian. Le phénomène est structurel sur tous les plans et est à la fois implicite et explicite dans la Loi constitutionnelle de 1867. C’EST L’ESSENCE MÊME DE LA CONSTITUTION CANADIENNE. Cette vérité devrait être bien comprise par tous les Québécois sans exception. Qu’il s’appelle monsieur Boisclair, Charest ou Dumont, la chape de plomb fédéraliste est sur leurs épaules.
LA NATION QUÉBÉCOISE N’EST PLUS CAPABLE D’ENDURER SON INSUPPORTABLE ANNEXION. N’en jetez plus, la cour est pleine. Il faut oublier les questions de symbole et de déséquilibre fiscal. Le nationalisme revendicateur québécois traditionnel est suranné. Or, ces trois chefs doivent prendre la mesure des conséquences de leurs gestes respectifs. L’AVENIR RÉEL DU QUÉBEC PASSE PAR LA MAÎTRISE DE SON AGIR PAR SOI COLLECTIF ET CELA VAUT BIEN PLUS QU’UN PLAT DE LENTILLES !
Bruno Deshaies
BLOG : Le Rond-Point des sciences humaines
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