Le dernier ouvrage de Tania Longpré

L’éducation que l’on nous refuse

Chronique de Gilles Toupin

Nous n’oublierons pas de sitôt l’inculture crasse de l’ancien ministre libéral de l’Éducation du Québec, Yves Bolduc, qui sans broncher affirmait que les enfants n’allaient pas mourir et n’allaient pas cesser de lire si l’État cessait de renflouer nos bibliothèques scolaires avec de nouveaux titres. L’homme faisait totalement miroir à l’incurie et à l’ignorance profonde du gouvernement auquel il appartenait et qui, hélas, continue de nous gouverner… si l’on peut dire.

Cette inculture abasourdissante de ces technocrates dogmatiques est une triste réalité chez nous, une réalité qui œuvre à l’effondrement de la conscience nationale et à l’abrutissement d’une nation qui compte déjà 49% d’analphabètes fonctionnels.

Le système d’éducation du Québec s’en va à vau-l’eau, incapable dans l’état actuel des choses de faire ce qu’il se devrait de faire, c’est-à-dire former des citoyens éclairés et responsables capables de vivre ensemble malgré les divergences qui façonnent les êtres humains.

Tania Longpré, cette enseignante de terrain qui jour après jour se voit confrontée aux aberrations d’un système d’éducation dévoyé et dépassé, est persuadée d’exercer le plus beau métier du monde, celui de «passeur de culture».

Voilà pour l’idéal. Mais, écrit-t-elle dans un pamphlet remarquable et empreint d’un lucide désenchantement, «au Québec, la réalité des écoles n’a rien d’idyllique».

En effet, à lire «Péril scolaire, les dix maux de l’éducation au Québec» nous nous rendons vite compte que le train-train quotidien de l’enseignant chez nous n’est pas toujours rose : ce dernier doit «jongler avec des budgets très insuffisants et un cruel manque de matériel, des chaises bringuebalantes aux dictionnaires en lambeaux, en passant par les manuels qui ne sont plus adaptés aux programmes tellement ils sont vieux, les bibliothèques dégarnies», etc.

L’éducation n’est plus dans la mire de nos dirigeants et il semble bien que cela les arrange… Mme Longpré dénonce ainsi le sort que des apprentis sorciers réservent à la connaissance au profit des fameuses «compétences» qui n’ont pour but – dans le déni total de l’héritage humaniste qui nous a été pourtant légué depuis des lustres – que de former une triste main d’œuvre «en adéquation avec le marché».

Le diagnostic posé par Tania Longpré n’est pas simplement troublant, il est scandaleux. L’austérité en éducation? Voilà bien une approche irresponsable lorsqu’il s’agit de faire avancer une nation en misant sur les plus hauts sommets de l’excellence et du savoir. Qu’il s’agisse de l’insuffisance des fonds consacrés à la formation continue, qu’il s’agisse du «manque de financement», du «manque de ressources», du «manque de rigueur et de discipline», des «rapports avec les parents», du «rôle des directeurs d’école, des ministres de l’Éducation ou du ministère entier», qu’il s’agisse des réformes, de l’enseignement «amusant», des compétences, des connaissances, de « l’état de nos structures scolaires», le Québec s’enfonce dans une marchandisation de l’éducation qui dénature le principe même de l’acquisition de connaissances susceptibles de favoriser l’émergence d’un citoyen capable de dynamiser et d’élever la société dans laquelle il vit.

Ce que Tania Longpré nous raconte par exemple sur la formation des maîtres est ahurissant. Elle souligne en la condamnant cette insistance démesurée sur la pédagogie dans la formation des maîtres alors que l’on met peu d’effort sur le contenu de l’enseignement. Nous formons au Québec, dit-elle, des didacticiens des langues sans d’abord avoir fait d’eux des linguistes. Autrement dit, ces enseignants enseignent ce qu’ils ne connaissent pas à fond. C’est pareil dans toutes les disciplines, soutient Tania Longpré, à commencer par l’enseignement du français.

Pis encore, ajoute-t-elle, puisque souvent ceux qui enseignent comment enseigner n’ont jamais été sur le terrain, devant une vraie classe. «Soyons clairs, écrit-elle : en plus de transmettre peu de formation générale et de culture aux futurs enseignants, les cours universitaires au programme des divers baccalauréats en enseignement ne leur apprennent pas à enseigner ni à gérer efficacement une classe.» (p. 37)

Je ne saurais ici passer sous silence non plus cet abandon progressif, au nom de l’austérité, de l’aide aux enfants en difficultés, ces enfants qui ont des besoins particuliers et qui ne pourront jamais faire partie intégrante de notre société si notre système d’éducation n’est plus en mesure de répondre à leurs besoins. Tania Longpré implore dans son ouvrage de cesser l’intégration massive de ces enfants aux classes soi-disant «normales». Cet abandon coupable de ces élèves a toutes les allures d’une forme d’eugénisme camouflé qu’il faut dénoncer à hauts cris.

À cela s’ajoute, comme le souligne l’auteure, la dévalorisation de l’enseignant, la vétusté du matériel scolaire et des difficultés que cela entraîne pour les enseignants, l’épuisement de ces derniers qui abandonnent de plus en plus le métier

La réforme de 1997 en éducation au Québec a certes apporté des changements bénéfiques, reconnaît Mme Longpré, notamment la déconfessionnalisation des commissions scolaires et la maternelle à temps plein. Mais il est aberrant, insiste-t-elle dans un cri du cœur, de vouloir laisser aux élèves la découverte de la matière enseignée. «Je ne pourrai jamais m’y résoudre, lance-t-elle : je crois aux savoirs, à l’apprentissage, à la culture générale, aux connaissances. Je crois aussi à la curiosité et à l’imagination, à l’hétérogénéité des passions, aux yeux qui brillent lorsqu’un enfant accomplit ou réussit quelque chose. Je crois au dépassement de soi et aux objectifs qui nous tirent toujours vers le haut. À l’effort et aux résultats qui en résultent. À la fierté ressentie lorsqu’on atteint un objectif plus difficile. Je crois à la littérature, à la lecture, à l’écriture. Visiblement, ce n’est pas à tout cela que croient l’ensemble des chercheurs qui se tiennent loin de nos classes.» Autrement dit, l’enseignant doit enseigner, n’en déplaise à ceux qu’elle appelle les «sbires» du ministère de l’Éducation. L’enseignant est là pour former des citoyens plutôt que des travailleurs, des gens qui savent réfléchir par eux-mêmes. Voilà en quelque sorte ce qui m’apparaît être l’idée centrale de se plaidoyer pour une éducation des Lumières.

Des pages importantes de cet ouvrage nous éclairent aussi sur la catastrophe des écoles multiculturelles de Montréal qui n’ont aucune sensibilité à la société d’accueil. Les parents des élèves de ces écoles ne sont pas francisés et n’arrivent même pas à communiquer avec les écoles où vont leurs enfants. Mme Longpré nous parle certes des beaux programmes de sensibilisation aux différences mais avec cette incongruité invraisemblable que l’on oublie de parler de la société d’accueil. On y parle de plurilinguisme, on enseigne à compter en inuktituk, alors que l’enseignement du français est négligé.

Quant à la laïcité dans les écoles, ce projet rassembleur qui mène à l’égalité de tous, il est mis en échec, entre autres facteurs, par le terrible cour d’Ethique et de culture religieuse (ECR) qui reproduit en tout point le modèle multiculturaliste canadien, ce modèle fossoyeur de la nation québécoise. Il est heureux que l’auteure dénonce ce cour avec autant de véhémence tout comme il est louable qu’elle s’insurge contre le financement à 60% des écoles privées au Québec «alors que nos écoles publiques vivent dans le besoin».

Je ne peux prédire quelle fortune aura cet ouvrage dans le futur. Il est à souhaiter que tous les ministres de l’Éducation et tous les gouvernements qui seront à la tête de l’État du Québec dans un avenir rapproché en prennent connaissance, car il y a là toutes les données fondamentales et concrètes à l’amorce d’une réflexion en profondeur sur la déliquescence de notre système d’éducation. Et cette réflexion est urgente.

Si l’on refuse de faire de l’éducation l’avenir du Québec, c’est certainement parce que ceux qui en ce moment ferment les yeux sur cette dépossession du savoir ne souhaitent pas que notre État accède à sa pleine indépendance. Mme Longpré l’a compris; mais elle a surtout compris que le véritable savoir est à l’origine de la grandeur des nations et du vivre-ensemble.

Péril scolaire – Les dix maux de l’éducation au Québec, par Tania Longpré, Stanké, Montréal, 2015, 153 pages.


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4 commentaires

  • Jean Gilles Répondre

    25 juin 2015

    Dans une chronique récente, Richard Martineau écrivait:
    http://www.journaldemontreal.com/2015/05/19/ecole--la-dictature-de-legalite
    "Un sujet revient constamment à la une ces temps-ci: l’école.
    «Le mépris des savoirs», «Les ravages de la bureaucratie», «La dépression des profs», «Le massacre des innocents» – nos cousins ne cessent de pleurer sur leur système d’éducation qui, disent-ils, s’en va carrément chez le diable.
    Imaginez ce qu’ils penseraient du nôtre!
    UN MOT TABOU
    En fait, si l’on se fie au nombre effarant d’essais publiés un peu partout, l’école bat de l’aile dans toutes les démocraties occidentales.
    Ça semble être une évidence, pour ne pas dire un cliché. Mais pour certains, cette réalité toute simple est de plus en plus difficile à admettre.
    Plusieurs raisons expliquent ce naufrage: on vit dans un monde de plus en plus obsédé par la vitesse, alors que l’apprentissage exige le recueillement et le silence.
    La culture des écrans est à des millions d’années-lumière de celle du livre. Les gens veulent des résultats quasi instantanés, alors que l’éducation demande un effort de la part de l’étudiant, etc.
    Mais la raison la plus importante est la question ô combien taboue de l’autorité.
    Comme l’a dit Régis Debray (ancien compagnon d’armes de Che Guevara) à France Inter, l’autre jour: «L’une des bases du système d’éducation est l’autorité du maître. Le maître a une autorité non pas parce qu’il est un gourou ou un démagogue, mais parce qu’il sait des choses que l’élève ne sait pas.»
    Le maître sait des choses que l’élève ne sait pas."

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juin 2015

    Vous avez que trop raison. Mais François Legault est un mirage. C'était d'ailleurs le titre d'un de mes livres publiés chez vlb en 2012: «Le Mirage François Legault».
    Et nous savons tous que les mirages disparaissent...

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juin 2015

    Des F35 a 250M$ pièce, un flotte de guerre entretien inclus à 100 milliard, quelques guerres à l'étranger. On doit faire des sacrifices.
    On peut s'échappé à ses responsabilités, laisser les autres prendre les décisions, mais il y a un prix.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    19 juin 2015

    "Si l’on refuse de faire de l’éducation l’avenir du Québec, c’est certainement parce que ceux qui en ce moment ferment les yeux sur cette dépossession du savoir ne souhaitent pas que notre État accède à sa pleine indépendance."
    Tout est là!... Le dommage a déjà assez duré pour que la population maintienne au pouvoir ces assimilateurs. Nous ne sommes plus majoritaires au vote. Des beaux noms à consonance française se lèvent en public pour dénoncer la Fête nationale qui serait trop patriotique! Il y a deux fêtes nationales ici, à une semaine d'intervalle, où chacun peut choisir sa nation, mais la "dominante" trouve toujours que la "résistante" en fait trop... Être ou ne pas être... y pensons-nous encore?