L'attrait du minoritaire

Élections fédérales du 14 octobre 2008

Il est tout à fait possible que mardi prochain l'on se retrouve Gros-Jean comme devant, «back to square one», comme disent nos compatriotes anglophones. Et cela sans doute à cause de l'éternel blocage du plus détendu des partis politiques canadiens, celui qui jamais n'assumera la responsabilité de l'exercice du pouvoir.
Mais ce sera aussi à cause des bourdes successives du Parti conservateur, de la froideur distante et probablement apparente de son chef face à la crise mondiale, et de l'efficacité démagogique du professionnel le plus expérimenté de la politique fédérale, Gilles Duceppe. Grâce à ce dernier, Stephen Harper a été transformé en diabolique fossoyeur de l'identité québécoise. Il faut dire aussi que les interventions, mine de rien, sournoises du premier ministre du Québec à l'endroit du gouvernement fédéral ont contribué à l'érosion des intentions de vote. Le vent donc s'est levé et semble souffler les candidats conservateurs, qui sont en majorité aussi légers que des fétus de paille.
Les Québécois, ces minoritaires historiques, auraient de toute évidence pris goût aux gouvernements minoritaires. Après plus d'un siècle de soumission aux différents pouvoirs en place, ils ont retrouvé de la sorte les plaisirs à peine avoués de la rébellion. Le Bloc québécois, créé, ne l'oublions pas, par Lucien Bouchard, un rebelle réformé à la suite des échecs successifs de référendums sur la souveraineté, s'offre aux électeurs comme l'instrument privilégié de leur force collective. Le Bloc joue un rôle inédit, celui de donner aux Québécois, à chaque élection, le sentiment de gagner symboliquement un référendum, eux qui ont choisi de perdre les vrais en 1980 et en 1995. Depuis, le BQ empêche le Canada anglais de vivre tranquillement allongé, au propre comme au figuré, sur les États-Unis.
Bien imprudents, on a cru au début de la campagne électorale, et ce, à la lumière des trop nombreux sondages, que le Bloc connaîtrait une forme de désagrégation. Mais c'était compter sans l'habileté avec laquelle son chef réussirait à transformer une décision politique discutable, mais mineure, celle de réduire de quelques dizaines de millions les programmes culturels pour éventuellement les transformer en d'autres, ce que plus personne ne veut croire même si c'est vrai, en une attaque en règle contre le Québec. C'est bien connu: lorsqu'on a l'air de toucher à l'identité québécoise, le Québec entier dégaine. C'est apparemment ce qui s'est passé.
Stephen Harper, pour des raisons obscures, on aurait envie d'écrire «inconscientes», semble flotter au-dessus des agitations actuelles. Est-ce par tempérament, par aveuglement idéologique, par incompétence? Bien malin celui qui risque une explication. Car enfin, cet économiste, un des rares intellectuels conservateurs, ne peut pas demeurer dans cet état de paralysie politique alors que tous les chefs de gouvernement occidentaux se consacrent à la tâche délicate, mais essentielle, de rassurer leurs concitoyens. Si c'est dans l'adversité que s'illustrent les grands hommes, Stephen Harper ne semble pas correspondre à la définition.
Par contre, quel attrait aurait un gouvernement minoritaire dirigé par Stéphane Dion, une hypothèse qui peut devenir réalité si le Bloc remporte de nombreuses circonscriptions au Québec, mettant ainsi un terme aux espoirs conservateurs? La nature humaine étant ce qu'elle est, la perception si négative que l'on s'était faite de Stéphane Dion est en train de se transformer. Sa pugnacité, son côté besogneux en politique, une forme de hargne qu'il met à attaquer son adversaire principal en ont surpris plusieurs.
Mais a-t-on oublié que celui qui se vit en futur leader du Canada a réussi à accéder à la tête du Parti libéral par défaut, en quelque sorte, se faufilant tout en vert entre deux favoris, Bob Ray et Michael Ignatieff, qui ont préféré perdre la nomination plutôt que de faire alliance? Ces deux-là, demeurés discrets pendant la campagne, n'ont pas résisté, cependant, à contredire parfois leur chef. Stéphane Dion, ne l'oublions pas, a échoué dans sa tâche de réunifier son propre parti, un objectif pourtant obligatoire. Ces deux poids lourds libéraux seront là, à n'en point douter, à attendre la chute de celui qui leur a volé ce poste auquel ils aspirent comme leur revenant de droit. La défaite du Parti libéral mardi soir serait la fin de Stéphane Dion. Et un gouvernement minoritaire libéral risquerait de n'être qu'un sursis pour lui.
Chaque élection fédérale confirme le statut d'enfants terribles du Canada que sont les Québécois. En choisissant sciemment de s'exclure du pouvoir tout en l'obligeant à faire des concessions lorsqu'il s'agit des intérêts du Québec, tels que définis par le Bloc québécois tout de même, les électeurs qui votent pour ce parti font une adéquation entre celui-ci et le Québec. Ce qui en amène plusieurs à affirmer qu'un vote contre le BQ est un vote contre le Québec. Voilà le noeud gordien de la politique québécoise. Entre le non aux référendums passés et le non des dernières décennies au Canada, comment définir l'identité québécoise à l'avenir? Minoritaire, bruyante, rebelle, surfant sur la patience congénitale du Canada anglais.


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