Autour des débats politiques

Médias et politique

La peur de l'ennui est mauvaise conseillère. Cette semaine, pour éviter que les débats des chefs ne soient «plates», ternes, sans action, on a tenté d'appliquer une formule de table ronde inspirée de la table de cuisine si chère aux populistes. Certains rêvent que les chefs s'engueulent, s'invectivent, s'enragent, soient mis K.-O. pour que le show en vaille la peine qu'on y a mise.
Dans le débat en français, l'exercice fut pénible, d'autant plus que la présence d'Elizabeth May en démolisseuse de la langue française rendait l'écoute insupportable. Qui a dit à Mme May qu'elle parlait français? Pourquoi croit-elle qu'elle s'exprime dans cette langue? Comment expliquer la tolérance que nous manifestons à l'endroit de ceux qui baragouinent notre langue? Et s'il y avait inconsciemment une forme de mépris derrière cette insouciance prétentieuse de ceux qui écorchent le français et un complexe d'infériorité de la part des francophones trop heureux que l'on puisse dire «merci beaucoup», «canard à l'orange» ou «j'aime le Québec» devant eux. Jamais les Français, à la télévision, n'accepteraient qu'un invité quel qu'il soit fasse subir à leur langue un traitement aussi pénible. En fait, soyons sûrs aussi que ni les Espagnols, ni les Italiens, ni les Allemands ne toléreraient qu'on estropie leur langue de la sorte. Cela relève du simple respect dû à la langue.
Et que dire des questions de représentants du «vrai monde», autre exercice démagogique? On laisse entendre ainsi que ceux qui sont les professionnels de cet exercice, en l'occurrence les journalistes, seraient incapables de relayer aux responsables politiques les problèmes qui préoccupent l'opinion publique. Une des questions d'un représentant du «peuple» baignait carrément dans la psycho-pop: «décrivez une qualité de votre voisin». Cela nous a plongés dans une atmosphère de télé-réalité où il ne manquait qu'un thérapeute post-nouvel âge pour analyser les émotions camouflées. On se pinçait pour y croire.
Quant au débat en anglais, on aurait dit que Stéphane Dion, dont la diction anglaise est un cauchemar pour les anglophones, allait pleurer de rage devant son incapacité à faire sortir de ses gonds Stephen Harper. Ce dernier a vécu les deux débats dans une position marmoréenne et l'on saura le soir des élections si sa hauteur et sa retenue ont impressionné les indécis.
Les débats de type table ronde sont-ils plus éclairants que les débats plus formels auxquels on a assisté ici dans le passé? Car enfin, ces débats existent, en principe, pour mieux éclairer les citoyens. Or la crainte de l'ennui, cette maladie de l'époque, est en train de nous faire régresser collectivement. On cherche l'engueulade là où devrait s'exprimer l'affrontement intellectuel, on veut de la sensiblerie, de la guimauve sentimentale là où la véritable émotion exprimerait plutôt une conviction profonde, on cherche le divertissement à tout prix alors qu'on devrait retrouver le sens de la gravité en ces temps d'insécurité mondiale.
Les Québécois et les Canadiens anglais si prompts à se démarquer de nos voisins du Sud auraient eu intérêt jeudi à regarder le débat Palin-Biden; dans le pays du show-business, on a encore le sens du décorum lorsqu'il s'agit d'organiser des débats politiques. On a donc assisté à un échange remarquable où la courtoisie, l'efficacité n'ont en rien freiné les divergences profondes entre les deux candidats à la vice-présidence américaine. Pour être honnête, il faut dire qu'un débat à deux est plus favorable à l'échange d'idées qu'une discussion à cinq dont tout le monde sait que trois des participants n'ont aucune chance d'être élus premier ministre. Cela étant dit, ce débat, où contrairement à ce qu'on imaginait Sarah Palin n'a pas vraiment trébuché, a permis aux téléspectateurs de choisir leur camp et d'évaluer les mérites des deux débatteurs. Sarah Palin incarne jusqu'à la caricature ce retour à la table de cuisine, métaphore du courant néopopuliste. Mais sa vision politique de l'infiniment petit, donc plus près de ce monde ordinaire mythifié, a réussi à émerger grâce à la formule à la fois formelle et souple du débat. Quant à Joe Biden, cet internationaliste cosmopolite, il a utilisé son temps de parole et de réplique tout en y mettant passion et émotion. Comme quoi la politique n'a pas besoin d'être dénaturée pour être intéressante et éclairante.
La politique peut donc être un spectacle intellectuellement captivant sans tomber dans la politique spectacle. C'est la leçon que nous ont servie les Américains cette semaine.


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