L’art de tourner en rond

B5736381f6cce66814201273c0e5fb08

Pour imposer la neutralité religieuse des agents de l'État, il faudra utiliser la clause dérogatoire

Qu’on se le dise. Tant et aussi longtemps que les Québécois n’auront pas une ou un premier ministre suffisamment visionnaire et responsable pour parrainer une politique de laïcité consensuelle, ce débat est condamné à tourner pitoyablement en rond.


Valérie Plante vient de s’y faire prendre. La mairesse de Montréal s’est dite « ouverte » au port de signes religieux dits ostentatoires au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Tenons pour acquis qu’on ne parle pas de la discrète « petite croix » catholique. C’est donc qu’il est toujours question du turban sikh, du hijab musulman et de la kippa juive. Bon retour au merveilleux monde de la catho-laïcité.


Bref, dix ans après le rapport Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, on tourne encore en rond. Pourquoi ? Parce qu’à l’Assemblée nationale, la question de la laïcité, déjà complexe, a été instrumentalisée par TOUS les partis politiques à des fins partisanes. De l’inaction libérale à la charte péquiste des valeurs, en passant par le relooking identitaire de la CAQ et le complexe de supériorité morale de Québec solidaire.


Premier pas


Depuis la défaite du gouvernement Marois, un consensus minimaliste rallie pourtant les partis d’opposition. Question de faire un premier pas, même timide. C’est celui porté par une des recommandations du rapport Bouchard-Taylor. Soit d’interdire le port de signes religieux aux agents de l’État détenteurs d’un « pouvoir de coercition », tels les juges, les procureurs de la Couronne, les gardiens de prison et les policiers.


En toute probabilité, une telle politique commanderait d’avoir recours à la clause dérogatoire des chartes québécoise et canadienne des droits. Une clause qui, malgré tout le mal qu’on vous en dit, est légitime et constitutionnelle.


Or, qu’ont fait les libéraux depuis dix ans ? En octobre dernier, le gouvernement Couillard adoptait sa loi 62, vide jusqu’à l’absurde. Sur les signes religieux, elle édicte que les services publics doivent être donnés et reçus à « visage découvert ». Sauf en cas d’accommodement au cas par cas. Comme si, au Québec, les femmes en burqa ou en niqab étaient légion.


Sclérose


Le « visage couvert » est un problème fictif auquel Philippe Couillard a néanmoins inventé une solution risible pour cacher son propre refus d’adopter le consensus Bouchard-Taylor.


Mardi, enrhumée jusqu’aux oreilles, je me suis rendue dans une clinique. Par respect pour les autres, je portais un masque protecteur. J’ai demandé pourquoi on acceptait de me voir malgré mon « visage couvert ». Ce qui, après tout, me plaçait dans l’illégalité.


Pas besoin de vous dire qu’on a vite compris que ma question était ironique. L’illustration parfaite que la loi 62, sur ce volet, est une coquille aussi vide que loufoque. La vérité est qu’elle n’a strictement rien à voir avec le début de l’ombre d’une possibilité d’une première politique de laïcité.


Pendant que le monde change, le Québec souffre d’une souche dangereuse de sclérose politique. Sur plusieurs fronts, dont celui de la laïcité. Si la sclérose devait perdurer au-delà du scrutin du 1er octobre, ça risque fort de tourner en nécrose collective.