L'apprentissage de la démocratie : le cas égyptien

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Tribune libre

«L'apprentissage de la démocratie : le cas égyptien»
Dérive autoritaire et intolérance religieuse de Morsi suite à son élection démocratique en 2012; coup d’État «démocratique» par l’armée justifié par un sentiment de responsabilité historique et par la frustration du peuple à l’égard du gouvernement Morsi; affrontements violents faisant de nombreux morts entre pro et anti-Morsi pour le respect de la démocratie politique; fermetures de chaînes islamistes par l’armée suite à la destitution de Morsi; mise en détention de Morsi et arrestation des principaux dirigeants des Frères musulmans…décidément, les récents événements en Égypte nous en font voir de toutes les couleurs.
L’ensemble de ces péripéties qui constituent la seconde phase du printemps arabe en Égypte soulève de nombreuses questions et il y a fort à parier que les affrontements, ainsi que les divers débats, prendront du temps à trouver un dénouement. Dans ce contexte, il est facile pour nous, occidentaux, de commenter et de critiquer de manière paternaliste les processus d’accession à la démocratie des pays à travers le monde. Tel n’est pas mon objectif. Il importe bien davantage de miser sur la spécificité de chaque contexte national et l’ensemble des acteurs et des groupes impliqués qui teintent différemment les débats, ce qui signifie qu’il ne suffit pas d’implanter directement des valeurs et des normes démocratiques dites «universelles» mais bien d’ancrées celles-ci dans les réalités nationales chaque fois uniques.
Dans cette perspective, comme le pense entre autres Sheila Benhabib (philosophe politique turque contemporaine), il n’est pas souhaitable que les valeurs universelles soient simplement transposées dans le cadre national. En effet, elles doivent passer par un processus démocratique qui leur conférera de nouvelles significations en les refaçonnant à l’image du contexte national particulier dans lequel elles seront appliquées, dans le cas qui nous intéresse ici, l’Égypte. Ce processus de particularisation d’idéaux universels devrait, en effet, impliquer des débats (notamment entre Frères musulmans et laïcs), des contestations, des révisions sémantiques et un ensemble de luttes sociales. Ces dernières visent au final à accéder à une plus grande justice sociale et à éviter les affrontements violents nuisibles au bon fonctionnement de la démocratie, ainsi qu’à la poursuite du bien commun.
Chacun des camps en Égypte doit apprendre de ces événements passés. Je pense notamment au fait, pour un politicien, de devoir respecter ses engagements après avoir été élu, ce qui n’a vraisemblablement pas été le cas pour Morsi compte tenu de la grogne populaire des derniers temps. Il est aussi essentiel d’éviter les dérives autoritaires intolérantes – ce qui a caractérisé le passage au pouvoir de Morsi à l’égard des coptes et de l’armée qui a fermé des chaînes islamistes suite à sa destitution. Hélas, la démocratie ne sera jamais parfaite (nous en faisons trop souvent nous-mêmes l’expérience dans nos pays dits «démocratiques»), mais nous pouvons individuellement et collectivement décider d’opter pour une voie qui minimiserait, à long terme, les conséquences néfastes occasionnées par ses failles.
Par Samuel Beaudoin Guzzo, 22 juillet 2013
Je suis détenteur d’un Baccalauréat en sociologie à l’Université du Québec à Montréal et je suis candidat à la Maîtrise en sociologie à la même université. Je me dirige vers l’enseignement de la sociologie dans le domaine collégial.


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9 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    29 juillet 2013

    On semble vouloir y répéter le scénario de l'Égypte. Voir ICI
    En Libye, ça brasse là aussi. Voir ICI et ICI
    Récapitulons. L'Égypte, l'Irak, la Tunisie, la Libye, la Syrie. L'Algérie sera-t-elle la prochaine?
    La pression monte dans le chaudron...

  • Archives de Vigile Répondre

    28 juillet 2013

    Lors des grandes manifestations qui ont menées aux départs de Moubarak et de Morsi, l'armée a fait preuve d'une patience et tolérance admirable.
    Tout un contraste par rapport aux manifestations pro-Morsi: Voir ICI

  • Archives de Vigile Répondre

    27 juillet 2013

    Le coup d'État en Égypte était pré-autorisé par les USA. Ces derniers refusent d'ailleurs de le qualifier de coup d'État pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la démocratie. Ce changement doit être placé dans le contexte de la relative disgrâce dans laquelle est tombé le Qatar, et la remontée de l'Arabie saoudite et les autres monarchies réactionnaires qui lui sont proches. Les milliards de la monarchie saoudienne et autres régimes réactionnaires du golfe ont afflué en Égypte dès le lendemain du coup d'État. C'est plié et le peuple se fait de nouveau floué. Ces peuples n'ont pas droit à la démocratie car lorsqu'ils décident véritablement pour eux-mêmes, les «démocraties» occidentales y renversent les gouvernements élus quand ils le peuvent pour servir leurs propres intérêts. Les exemples sont nombreux, je ne mentionnerai qu'un seul, important dans la géopolitique actuelle, soit le renversement du gouvernement élu d'Iran en 1953 (M. Mosadegh), je cite de mémoire.
    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    24 juillet 2013

    Tu veux dire quoi par «la démocratie qui sortirait gagnante» ???
    Si on matraque le peuple et qu'on le gaz, c'est-tu ça faire sortir la démocratie gagnante.
    Erdogane en Turquie fait-il sortir la démocratie gagnante ?

  • Archives de Vigile Répondre

    24 juillet 2013

    C'est quoi les intérêts de la démocratie ?
    C'est quoi les intérêts de la démocratie que l'armée devrait protéger ?

  • Archives de Vigile Répondre

    24 juillet 2013

    "En Égypte, c’est plusse que de l’économie..."
    Vous avez tout à fait raison Didi. L'Égypte n'est pas un pays qu'à une seule dimension: Démocrates contre non-Démocrates ou Pro-Morsi contre Anti-Morsi. Mon intention était de souligner l'aspect économique qui semble totalement escamoté des analyses, aussi nombreuses que variés.
    "L’armée qui appuie le peuple, ça veut dire que le patriotisme prend le dessus."
    Là-dessus, j'éprouve une petite gêne. Est-ce que c'est l'armée qui appuie le peuple, ou est-ce que c'est l'armée qui a amené le peuple à appuyer ses propres intérêts, soit le départ de Morsi?
    Parce que, pour moi, il est évident que Morsi n'était pas le candidat qu'ils s'attendait de voir gagner les élections. Peu après son arrivée, Morsi a limogé deux des plus haut gradés de l'armée. Je ne suis pas sûr que l'armée a très apprécié ce geste.
    Depuis des dizaines d'années que c'est l'armée qui contrôle ce pays. Moubarak n'était-il pas général? Alors, on veut bien accepter une autorité politique, mais à condition qu'il accepte de jouer le jeu avec l'armée.
    Si la population, avec l'appuie de l'armée, a renversé un pouvoir non-démocratique, force est de constater que le nouveau pouvoir n'est pas ce qu'il a de plus démocratique non plus.
    Il ne faut pas négliger le pouvoir de l'armée dans ce pays. Si l'armée se trouve devant le dilemme de choisir entre protéger les intérêts de la démocratie ou protéger ses propres intérêts (particulièrement économique), je suis loin d'être convaincu que la démocratie va sortir gagnante.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juillet 2013

    La version que vous mentionnez Gaston est une version simpliste et vu par la lorgnette économique.
    Il y a des valeurs autres que les $$$ et je crois que les populations dans le monde entier sont dans les rues pour qu'elles soient considérés.
    En Égypte on demande du pain c'est sûr, c'est leur slogan, mais aussi de la Justice sociale et ça c'est le partage en plus de la liberté. On est tanné de se faire exploiter et être prisonnier de la pauvreté.
    El-Baradeï a dit que la vraie révolution viendrait de la pauvreté. Je pense que c'est la pauvreté partout et le manque de partage parce que 1% de la population tripe fort et laisse crever 99 pour cent de leurs semblables.
    En Égypte, c'est plusse que de l'économie, il s'agit de la fierté arabe aussi. L'armée qui appuie le peuple, ça veut dire que le patriotisme prend le dessus. Pis faut pas compter sur ceux qu'on nous présente comme des sauveurs investisseurs pour rendre l'Égypte moins pauvre.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juillet 2013

    La démocratie c'est quoi ?
    Et les pions qui se font élire...
    Pour compléter ce texte de Samuel qui sent le besoin de dire:
    « Je suis détenteur d’un Baccalauréat en sociologie à l’Université du Québec à Montréal et je suis candidat à la Maîtrise en sociologie à la même université. Je me dirige vers l’enseignement de la sociologie dans le domaine collégial. »
    Pour donner de la crédibilité à son analyse !
    Je vous recommande:
    La chute du pion Morsi
    http://www.les7duquebec.com/7-de-garde-2/la-chute-du-pion-morsi/
    À la recherche d’un «Nasser»
    http://www.les7duquebec.com/7-de-garde-2/a-la-recherche-dun-nasser/
    L’Égypte Unie !
    http://www.les7duquebec.com/7-de-garde-2/legypte-unie/

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juillet 2013

    Bonjour M. Beaudoin-Guzzo,
    Vous débutez votre réflexion avec l'a-priori que les millions d'égyptiens ont pris la rue pour défendre la démocratie. C'est bien la façon dont nos média nous présentent les événements en Égypte. On a tellement bien intégré le message que l'on ne le questionne même plus.
    Pourtant, j'ai un doute. J'ai de la difficulté à croire que les égyptiens sont soudainement devenus des apôtres purs et durs de la démocratie.
    Il y a une autre opinion qui circule qui me semble pas mal plus plausible. L'économie de l'Égypte est en piteux état. Le chômage et la misère sont "prospères" en Égypte.
    Le printemps arabe a porté un dur coup au tourisme, qui est une des principale industrie du pays. Aujourd'hui 17% de la population égyptienne sont touchés par l'extrême pauvreté. Eux, ont une bonne raison de prendre la rue, et d'être en colère.
    Je vous invite à lire le commentaire de David bensoussan à cet article du Devoir. C'est le tout dernier commentaire.
    Analyser ce qui se passe en Égypte par la lorgnette de la démocratie risque donc de nous donner une image déformée de la réalité.