Par Nirou Eftekhari
Même si l'hypothèse de la présence des armes de destruction massive en Irak s'est révélée infondée, l'initiative de George W. Bush d'envahir militairement ce pays il y a quatre ans, aurait pu être à la rigueur tolérée si elle avait au moins permis d'atteindre l'objectif primordial qu'elle s'était officiellement fixé: l'établissement de la démocratie et de la stabilité en Irak. Or l'enlisement de ce pays dans la guerre civile et la violence qui n'en finissent pas a depuis désillusionné aussi bien les Irakiens qui ont assisté au déchirement de leur pays qu'une grande majorité de citoyens américains qui se sont sérieusement interrogés sur la logique d'une telle aventure.
La poursuite de la guerre en Irak a polarisé l'opinion publique aux États-Unis et est devenue un enjeu politique important lors des dernières élections parlementaires qui se sont soldées par la victoire du parti démocrate en 2006. Ce désaveu électoral n'a pas empêché George W. Bush de décider en janvier dernier l'envoi de 21 000 soldats supplémentaires en Irak en dépit de l'opposition du Congrès américain. Cette décision, comme un mouvement de fuite en avant, n'a fait qu'exacerber le débat sur l'avenir de la présence militaire américaine en Irak. Depuis leur engagement militaire au Vietnam sans les années 60, aucun événement n'a autant divisé les Américains.
Rien à court terme
Qu'en est-il de la mission militaire canadienne en Afghanistan? L'objectif de l'occupation militaire de ce pays par les forces de l'OTAN, dominées par les troupes américaines, était de le débarrasser du régime des talibans et d'ouvrir la voie à l'établissement de la démocratie. Le Canada a dépêché 2500 soldats en Afghanistan, concentrés essentiellement à Kandahar, au sud du pays, afin d'y assurer les fonctions de police et de barrer la route au retour des talibans. Il a également investi près de sept milliards de dollars dans ce pays, y compris un milliard de dollars sous forme d'aide.
Dans son rapport, rendu public en février dernier, le comité de défense du Sénat du Canada, présidé par Colin Kenny, a dressé un bilan très critique de l'engagement militaire canadien en Afghanistan. Les 11 sénateurs qui ont participé à la préparation de ce rapport concluent plutôt à l'échec de la mission militaire du Canada au sud de l'Afghanistan en déclarant notamment que «cette présence y a rendu la vie plus périlleuse» et qu'il est impossible de prévoir une victoire à court terme contre les insurgés.
Ils évoquent plusieurs raisons pour expliquer cet échec, dont la corruption et l'inefficacité du gouvernement que dirige Hamid Karzai, le caractère médiéval de la société afghane qui refuse de se construire selon le modèle occidental, la porosité de la frontière avec le Pakistan qui permet aux talibans de s'en servir comme une base arrière afin de s'infiltrer en Afghanistan pour y commettre des attentats terroristes, etc.
Le rapport du comité sénatorial souligne que la stabilisation de l'Afghanistan et sa reconstruction sont plutôt une tâche de longue haleine. Il signale également que la seule mission militaire à laquelle participe le Canada demanderait un délai de 20 ans avec une mobilisation des moyens militaires et financiers bien plus importants que ceux déjà en place afin d'y produire des changements notables.
Bonne évaluation?
En lisant ce rapport, on ne peut pas s'empêcher de se demander si, compte tenu des «obstacles formidables» qui restent sur le chemin, le Canada avait bien évalué ces derniers et s'il aurait vraiment intérêt à s'obstiner dans une bataille dont la victoire est très incertaine et qui a déjà coûté la vie à plus de 40 de ses soldats.
Comme l'Irak pour les États-Unis, l'Afghanistan est devenu un enjeu important qui a divisé la classe politique et l'opinion publique au Canada. Le premier ministre conservateur, Stephen Harper, a laissé entendre qu'il n'hésiterait pas à prolonger la mission militaire canadienne en Afghanistan jusqu'en 2011, voire au-delà, tandis que Stéphane Dion, le leader du Parti libéral, a déclaré qu'en cas de victoire aux prochaines élections législatives, il retirerait les troupes canadiennes de ce pays tout en respectant la décision du Parlement canadien de maintenir celle-ci en Afghanistan jusqu'en février 2009.
Comme George W. Bush, Stephen Harper pense qu'une mobilisation des moyens militaires plus musclés permettrait de venir à bout des insurgés et de pacifier l'Afghanistan. D'ailleurs, le président américain vient de lui prêter la main forte en décidant d'augmenter le nombre de ses soldats de 3500 dans ce pays.
Cependant, de nombreux observateurs sont d'opinion que l'option militaire est vouée à l'échec et ne fera qu'accroître les sacrifices supportés par les Canadiens. Ils évoquent en particulier le changement de la situation en Afghanistan.
Sécurité diminuée
Si la présence étrangère jouissait au départ d'une certaine popularité, le nombre important de victimes civiles lors des bombardements menés parfois sans discrétion, des attentats terroristes ou des accrochages armés, ainsi que l'insécurité grandissante et le manque de l'ordre ont aliéné une partie importante de la population afghane qui considère de plus en plus les troupes étrangères comme des forces d'occupation.
En dépit de ses aspects moyenâgeux et attardés, notamment la situation inacceptable qu'il avait imposée aux femmes, le régime des talibans assurait mieux la sécurité quotidienne des Afghans, limitait le pouvoir des «seigneurs de la guerre», s'opposait à la culture de pavot et à la production de l'opium qui, depuis 2002, a connu un record sans précédent. Ironiquement, c'est l'argent de la drogue qui soutient aujourd'hui l'effort de guerre des talibans.
Il semble que l'impasse de la situation actuelle en Afghanistan est due à une erreur d'analyse de la réalité de ce pays qui consiste à amalgamer les talibans qui misent sur les sentiments nationalistes et religieux des Afghans pour s'opposer à la présence des forces étrangères et Al-Qaïda qui est un groupe terroriste avec des objectifs à l'échelle mondiale. L'intensification des combats militaires et la détérioration des conditions d'existence ont d'ailleurs permis aux talibans d'étendre leur audience et de gagner de la popularité.
Le gouvernement canadien a jusqu'à présent rejeté toute idée de négociation avec les talibans, y compris avec ses éléments moins fanatiques et plus modérés, favorisant la confrontation armée comme seul moyen de pacifier l'Afghanistan. Cet acharnement à imposer la démocratie à bout du fusil, loin de déplaire aux talibans, permet à ces derniers de conclure à la guerre de l'Occident contre l'islam et au Djihad, la guerre sainte, comme seul moyen permettant aux musulmans de recouvrir leur dignité, rendant ainsi plus problématique la recherche d'une solution pour sortir du bourbier afghan.
Nirou Eftekhari : Chercheur indépendant
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