Le dernier Québécois

L’accouplement des ignares

La seul prérequis : une révolution. Pas dans la rue, mais dans nos têtes. Commencer par réapprendre ce que nous avons oublié à trop écouter les extrémistes anglophones ou les lavettes identitaires comme Gendron : nous avons le droit d’exister et nous avons le droit de prendre les mesures nécessaires pour assurer cette existence.

Stéphane Gendron - amuseur public



« Les élèves ne se préoccupaient guère de problèmes nationaux; en fait, ils ne savaient pas qu’il en existait. Ils n’étaient chez eux que dans la partie anglaise de Montréal; par suite de ce que tout le monde leur disait, leur patrie n’était pas le Canada mais l’Empire britannique. »
-- Hugh McLennan, parlant de l’attitude des anglophones montréalais de la première moitié du vingtième siècle.

Dans un pays normalement constitué, les extrémistes restent en marge de la société, largement ignorés par une population ayant confiance dans ce qu’elle est et n’ayant pas besoin de participer aux divagations d’êtres intrinsèquement perturbés.

Dans la nôtre, cependant, on donne un micro à un Stéphane Gendron, qui affirme « qu’à force de focuser (sic) sur l’insécurité linguistique, le Québec s’est appauvri et l’Ontario – qui a dit oui à l’immigration et à la diversité – a fini par nous doubler au passage ». Dans la nôtre, des dizaines de Québécois participent à un blogue raciste et haineux intitulé No Dogs or Anglophones et qui parle de la soi-disant discrimination des anglophones, un concept qui devrait faire rire n’importe quelle personne le moindrement politisée.
Au-delà de notre « insécurité linguistique » nous faisant accepter des discours complètements débiles comme s’ils étaient crédibles, c’est bien parce que nous sommes souvent ignorants de notre propre réalité d’un peuple colonisé que nous tolérons de telles choses. Les anglophones du Québec sont la minorité jouissant des meilleurs privilèges AU MONDE, mais nous l’ignorons parce que les anglophones, repliés sur eux-mêmes et centrés sur leurs petits problèmes, ont fixé le débat sur leurs droits plutôt que sur les nôtres.
L’ignorance au service des anglomanes
Si notre ignorance constitue l’arme des anglomanes, c’est donc dire que la connaissance en constitue l’antidote. S’il faut dénoncer chaque mensonge, faisons-le.
Dans le cas de Gendron, il reprend à son compte un vieil argument des anglophones selon lesquels ce serait la Loi 101 qui serait responsable du déclin du Québec. N’importe quel historien, pourtant, soulignerait à juste titre que le déclin du Québec en tant que première puissance du Canada a eut lieu au cours de la première moitié du vingtième siècle, au même moment où l’est américain perdait son influence au profit des zones plus à l’ouest. C’était à un moment où l’anglais était partout et où les Québécois étaient très dociles et anglicisés que Montréal a perdu son statut de métropole du pays au profit de Toronto. C’était également bien avant la Révolution tranquille que l’Ontario est devenue le véritable moteur du Canada. Affirmer qu’il y a un lien entre la Loi 101 et le déclin du Québec constitue un mensonge éhonté. En fait, on pourrait même affirmer le contraire : la Loi 101 a forcé des entreprises à s’établir au Québec pour recruter des employés francophones comprenant le marché québécois.
De la même manière, quand le raciste tenant la page No Dogs or Anglophones cite Jefferson en suggérant de désobéir à une Loi 101 qui serait profondément injuste, il ne fait qu’honorer la mémoire de ses ancêtres, ces vieux bourgeois de Westmount à l’univers intellectuel s’arrêtant à peu près où commence l’est de Montréal. S’il avait le moindrement d’éducation ou de connaissances sur le monde, il saurait que la grande majorité des pays et des nations de ce monde ont des lois linguistiques et que la Loi 101 est relativement faible en comparaison de celles-ci. S’il n’était pas à ce point reclus dans ce fantasme du pauvre opprimé anglophone, ne disposant que de 98% de l’Amérique du Nord – le pauvre ! – il pourrait parler de la loi Toubon en France, qui garantit la présence de la langue française, il pourrait parler de l’anglais obligatoire dans le système électoral américain, il pourrait parler de l’absence totale de services en allemand dans de nombreux cantons suisses, du système scolaire slovaque qui n’offre pas le moindre service universitaire à sa minorité linguistique deux fois supérieure proportionnellement aux anglophones du Québec, il pourrait parler de l’État associé d’Åland, qui appartient à la Finlande mais où tout se fait en suédois, il pourrait parler de la Belgique, il pourrait parler des Îles Féroé… Mais non ! Trop compliqué, trop loin ! Mieux vaut se plaindre le ventre plein, assis sur des institutions anglaises croulant sous les subventions et se plaindre des méchants Québécois qui demandent – NOM DE DIEU DE NOM DE DIEU – d’avoir le droit d’exister.
L’écho que trouvent les paroles débiles et profondément aliénantes des extrémistes anglomanes au sein d’une partie de la population québécoise témoigne de notre échec à obtenir les fruits d’une Révolution tranquille qui aurait dû être permanente. Nous avons obtenu des droits, mais plutôt que d’en assurer la pérennité par une éducation nationale faisant état des réalités linguistiques dans le monde, nous avons légiféré en croyant que tout était réglé. Au même moment, on déracinait l’éducation nationale, préférant former de parfaits petits affairistes égoïstes plutôt que des citoyens ouverts sur la réalité de la pluralité du monde et sur la nécessité de protéger cette pluralité en défendant notre langue menacée.
Pendant les années soixante et soixante-dix, nous avons récolté les fruits de décennies, voire de siècles de combats pour notre survie. Plutôt que de continuer la lutte, de l’achever, nous avons préféré déraciner nous-mêmes la plante qui a mis si long à pousser dans un sol aride. Et nous observons, l’air béat, quelques ignares d’en face, accouplés aux ignares de chez nous, qui tentent d’engendrer toute une race de super-ignares aussi désespérément abrutis qu’eux.
S’il y a bien une seule loi que nous avons besoin non pas d’affaiblir mais de renforcer, c’est bien la Loi 101. S’il fallait seulement boucher ses trous et la rendre égale à ce qui se fait ailleurs dans le monde, nous n’aurions alors d’autre choix que de mettre fin au sur-financement des institutions de langue anglaise. Nous pourrions enfin mettre un terme à cette fantastique face que constitue le 29% du financement universitaire pour des services à une minorité historique formant 5,6% de la population.
Il nous faudrait également aller plus loin et reconnaître que l’égalité législative avec ce qui se fait ailleurs sur cette planète est insuffisante ; elle ne correspond pas à l’ampleur de la menace qui pèse sur nous.
Il nous faudrait alors agir comme de nombreux peuples et de nombreuses nations, indépendants ou non, et mettre un terme au financement de services dans une langue étrangère. La collectivité québécoise devrait enfin fonctionner dans la langue des Québécois de la même manière que les collectivités autour du monde fonctionnent dans leurs langues respectives.
La seul prérequis : une révolution. Pas dans la rue, mais dans nos têtes. Commencer par réapprendre ce que nous avons oublié à trop écouter les extrémistes anglophones ou les lavettes identitaires comme Gendron : nous avons le droit d’exister et nous avons le droit de prendre les mesures nécessaires pour assurer cette existence.
Ce n’est pas gagné.


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