L’accord États-Unis-Mexique : les mauvais côtés

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Vers une entente bilatérale entre Ottawa et Washington ?

Je traitais hier des bons côtés de l’accord États-Unis-Mexique.


Je poursuis aujourd’hui ce petit traitement de la question, mais en me penchant désormais sur ses aspects négatifs.


L’absence de chapitre sur le règlement des différends entre États


Selon ce qu’on sait, il n’y aurait actuellement aucune section qui équivaudrait au chapitre 19 de l’ALÉNA. Ce dernier encadrait les différends commerciaux entre États.


Nous l’avons vu pendant les crises du bois d’œuvre : les tribunaux ont donné tort aux États-Unis et raison au Canada quand les premiers ont voulu imposer des tarifs punitifs au second. Cela n’enlève rien au fait que le calcul des Américains était de mettre l’industrie canadienne en faillite en attendant le verdict, mais il faut tout de même que de bonnes règles existent, en dépit du poids des rapports de force.


La quasi-élimination de la « clause crépusculaire »


En juin dernier, Justin Trudeau jugeait « insensé » d’ajouter une clause crépusculaire à l’ALÉNA en renégociation, que Washington voulait intégrer pour se garder le droit de mettre fin à l’entente dans les cinq années suivant son entrée en vigueur. Et pourtant, cela s’appelle conserver le pouvoir politique. Pourquoi se condamner à endurer presque ad vitam aeternam une entente qui ne nous conviendrait pas, au final ? Notre premier ministre semble préférer nous lier les mains.


Or, il faudra maintenant attendre 16 ans pour sortir de l’accord si jamais celui-ci s’avérait ne pas être aussi fantastique que prévu.


C’est ce qu’on appelle entrer dans une cage à homards.


La gestion de l’offre


Il n’y aurait actuellement aucun tarif douanier pour l’agriculture. On sait que le président américain est déterminé à mettre fin au système de la gestion de l’offre au Canada, ayant lancé une grande offensive contre lui lors du sommet du G7 à La Malbaie, et c’est pourquoi Philippe Couillard joue les gros bras en s’inventant un droit de veto qu’il n’a pas.


Le Canada a beau prétendre se tenir debout dans ce dossier, la sortie de Brian Mulroney contre la gestion de l’offre est parlante. Un conseiller gouvernemental, ce qu’est M. Mulroney, ne défend généralement pas une position différente de celle du gouvernement qui l’emploie. Il apparaît évident qu’il s’agit d’un ballon d’essai, d’une manière de préparer les esprits à ce qui s’en vient.


La question pharmaceutique


Le prolongement inutile des droits de propriété intellectuelle risque d’avoir des effets graves sur le prix des médicaments, retardant davantage la concurrence des génériques qui fait baisser les prix. Les prestataires de soin et les patients avec le moins de moyens seront les grandes victimes.


La censure sur internet


Les grandes entreprises auront désormais beaucoup plus de pouvoir pour s’en prendre aux sites internet, car l’entente reproduit les normes américaines en matière de droits d’auteur. Celles-ci permettraient aux corporations d’évoquer de manière assez imaginative le viol de leurs droits d’auteur pour contrôler la liberté d’expression en ligne.


Arts et culture


En ce qui concerne les arts et la musique, le traité impose l’extension à un minimum de 75 ans (plus la durée de vie du créateur) les droits d’auteur pour certaines œuvres comme les films ou les chansons. Ce chiffre de 75 ans est de 25 ans plus long que la présente loi canadienne. Bonne chance aux créateurs artistiques...


***


En conclusion, il vaut mieux pas d’accord du tout qu’un mauvais accord.


Même en l’absence de traité trilatéral Canada-États-Unis-Mexique, il serait toujours possible pour le Canada de signer une entente bilatérale avec les États-Unis.


En cas de fin de non-recevoir, le Canada et les États-Unis seront toujours dans l’Organisation mondiale du commerce, dont les règles garantissent la libre circulation des marchandises.


Il faudrait aussi réfléchir aux travaux de l’économiste Jim Stanford, qui stipulaient en 2016 que le Canada avait une meilleure performance commerciale avec les pays avec lesquels il n’a pas de traité de libre-échange qu’avec ceux avec qui il en a.


Malgré ses aspects intéressants, dont nous parlions hier, ce traité contient trop d’irritants pour que le Canada y saute à pieds joints. Passons donc notre tour.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).