Justin Trudeau va-t-il s’effondrer?

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« Il n’en demeure pas moins que le discours bloquiste manque de vigueur dans sa critique du régime canadien, et plus particulièrement, dans sa critique du multiculturalisme. »


D’un sondage à l’autre, il faut bien en convenir, le Parti libéral du Canada parvient à se maintenir au Québec. S’il ne semble plus invincible, sa base se maintient et il ne risque pas d’être balayé lors des élections du mois d’octobre. Il n’en demeure pas moins que Justin Trudeau commencera la campagne électorale dans une position affaiblie. Comme on dit, le charme s’est rompu, et ses excentricités diversitaires, qu’elles se passent en Inde ou ailleurs, suscitent au mieux un malaise, au pire une exaspération. On l’a aussi constaté sur la scène internationale: Justin Trudeau n’est pas vraiment pris au sérieux. Sa peopolisation des dernières années se retourne contre lui dans un monde conscient de redevenir tragique. Trudeau donne l’impression d’un leader faible et sa stratégie lacrymale évoque davantage le mauvais comédien égaré en politique que le chef humaniste bouleversant d’authenticité. Cette faiblesse s’est confirmée dans le cafouillage entourant SNC: jamais le leadership de Justin Trudeau n’a paru aussi flageolant.  


Et pourtant, il survit! Les raisons sont nombreuses. On le sait, le PLC reçoit massivement l’appui du vote non-francophone et profite de la division exagérée du vote francophone, qui ne se structure plus exclusivement en fonction de la question nationale et qui se laisse reprogrammer dans les catégories de la politique fédérale. C’est ce qui explique sa première place dans les intentions de vote. Mais la force du PLC ne se résume pas qu’à cela. Le PLC n’est pas un parti comme les autres aspirant à prendre le pouvoir: c’est un réseau politique incorporé aux différentes structures de pouvoir de la société canadienne qui parvient à fidéliser ses membres en leur faisant comprendre le prix qu’il faudra payer s’ils cherchent à s’en dégager ou s’en extraire. Plus encore: ceux qui ne se distinguent pas nécessairement par leur idéalisme mais qui veulent rejoindre la classe dominante apprennent rapidement qu’ils ont tout intérêt à s’y associer. S'ils se sentent de temps en temps interpellé par une forme de nationalisme spontané, ils ont tout intérêt à le refouler. 


C’est que le PLC est intégré intimement à la structure de pouvoir de l’État canadien – on aime dire d’ailleurs qu’il est le parti naturel de gouvernement au Canada. Généralisons notre propos: hier comme aujourd’hui, c’est souvent moins par idéalisme que par un désir puissant d’ascension sociale qu’on devient activement fédéraliste au Québec. Le Canada a toujours fonctionné ainsi : il achète nos élites pour les retourner contre nous dans un pacte faustien : leur position sociale dépend de leur capacité à nous faire accepter les conditions de notre subordination collective. Pour pleinement s'intégrer dans la structure de pouvoir de l'État canadien, un Québécois francophone doit se détourner de son cadre national pour se mettre au service du régime. Il n'en est pas toujours absolument conscient au moment de s'engager dans cette démarche, mais il comprend un jour qu'il ne peut plus vraiment faire marche arrière. Dans La petite loterie, un ouvrage paru en 1997 qu’il vaudrait la peine de relire aujourd’hui, Stéphane Kelly avait très finement décrit cette logique de pouvoir. 


Et pourtant, il y aura un créneau au Québec pour l’antitrudeauisme (entendu au sens idéologique, évidemment) en octobre. Même si le rejet des libéraux fédéraux n’est pas aussi fort dans la population que ne l’était le rejet des libéraux provinciaux en octobre 2018, il n’en demeure pas moins qu’ils seront nombreux à se demander stratégiquement pour qui voter s’ils veulent s’en débarrasser. Vers qui les Québécois peuvent-ils alors se tourner? Les Québécois, manifestement, ne sont pas radicalement hostiles aux conservateurs, qui parviennent à attirer des candidats de qualité. Il n’en demeure pas moins qu’il a toujours été et demeure le parti du Canada anglais, sauf lorsqu’il tente une alliance avec les nationalistes québécois, ce qu’il a décidé de ne pas faire cette fois. En matière de nationalisme, il se contente d’un discours minimaliste qui ne va pas au-delà du «respect du Québec». Cela suffira-t-il? En fait, en ce moment, c’est peut-être le Bloc québécois qui semble le mieux placé pour croître politiquement quand la campagne commencera vraiment. Les Québécois semblent intéressés à renouer avec lui. Il pourrait profiter du renouveau nationaliste qui caractérise le Québec depuis près d’un an. Sans s'effondrer, le PLC pourrait sous-performer. 


Il faudrait toutefois pousser plus loin la critique du trudeauisme. Yves-François Blanchet, sans le moindre doute, est parvenu à reconstruire une organisation politique que plusieurs disaient morte et il n’est pas exclu de penser qu’il pourrait se retrouver avec la balance du pouvoir en cas de gouvernement conservateur minoritaire. Il mène bien sa barque et surprend favorablement: il est convainquant comme chef du Bloc. Les circonstances ne lui sont pas défavorables: le nationalisme québécois peut trouver un espace de déploiement à la fois sur la question écologique et sur la question économique. Il n’en demeure pas moins que le discours bloquiste manque de vigueur dans sa critique du régime canadien, et plus particulièrement, dans sa critique du multiculturalisme. Mais nous le savons, les souverainistes, depuis le dernier référendum, sont mal à l’aise avec la question identitaire, et c’est justement en la récupérant à l’avantage que les caquistes sont parvenus à déclasser les péquistes. C’est peut-être en se délivrant de ce malaise que le Bloc parviendra à canaliser à son avantage l’élan nationaliste des Québécois. 





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