En pleine campagne pour les élections législatives au Canada, Justin Trudeau se retrouve empêtré dans le scandale du «blackface». Qu’il soit accusé ou absous, le premier ministre est dans une tourmente qui en dit long sur l’état d’esprit de la société canadienne.
La campagne électorale canadienne vient d’être troublée par un de ces mini-scandales dont notre époque pharisienne a le secret, mélange d’insignifiance mesquine et de grandiloquence outrée. Il suffit d’un mot de travers, d’un chant tribal de supporteurs de foot en goguette, d’un regard torve, d’un lapsus calamiteux, de l’ébauche d’un geste que l’on décrira comme « inapproprié », pour que s’emballe la tapageuse machine à scandalite chronique que sont devenus nos médias, y compris ceux que l’on dit « sociaux », faute de voir avec lucidité qu’ils sont les premiers facteurs de cette asociabilité dans laquelle sombrent nos sociétés.
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La campagne électorale venait donc à peine de commencer au Canada quand les médias se sont mis à diffuser en boucle deux photos du premier ministre Justin Trudeau, vieilles de près de vingt ans, sur lesquelles il apparaît déguisé en Aladin et le visage maquillé de noir. Il n’en fallut pas plus pour qu’aussitôt journalistes et commentateurs autorisés parlent de blackface et que le premier ministre libéral, qui brigue un second mandat lors de ces élections, se retrouve sur la défensive. La suite était elle aussi prévisible: l’accusation infamante de racisme fut lancée contre celui qui a fondé toute sa communication politique sur l’image d’un dirigeant cool, ouvert, et à l’écoute de toutes les minorités, tant ethnoculturelles, religieuses, que sexuelles.
L’arroseur arrosé
Il n’a d’ailleurs pas trop à se plaindre, car, malgré cette bévue qui est aujourd’hui considérée à l’égal d’un péché mortel ou d’un crime de lèse-majesté, personne ou presque ne réclame sa démission et lui-même a exclu d’en arriver là. Même les leaders d’association qui sont censées représenter les Noirs du Canada, d’ordinaires fort sourcilleux, lui ont accordé benoîtement l’absolution. Ces associations, d’habitudes si promptes à crier au racisme, se révèlent tout à coup bien indulgentes : Justin Trudeau n’est pas raciste, affirme-t-on, c’est un ami des Noirs, un allié dans la lutte contre la discrimination, etc. Il est vrai qu’on ne mord pas la main qui nous nourrit et que, depuis quatre ans qu’il est en place, le gouvernement libéral ne s’est pas privé pour arroser d’argent cette nébuleuse d’associations qui sont supposées être la voix des différentes communautés ethnoculturelles. Dans le Canada multiculturel que nous a légué l’ancien premier ministre Trudeau père, c’est une façon commode d’acheter des voix.
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Ces associations, les médias et les internautes n’ont pas eu la même indulgence à l’égard d’autres candidats qui ont quant à eux trébuché parfois pour moins que ça. Depuis le début de cette campagne électorale, plusieurs d’entre eux, issus de différents partis, ont dû se retirer après qu’on a mis à jour leurs frasques supposées : l’un d’eux pour avoir, par exemple, fait circuler une quinzaine d’années plus tôt un mème jugé islamophobe (c’était au moment où l’affaire des caricatures de Mahomet battait son plein au Danemark). L’ère de la transparence, c’est aussi l’ère de la délation généralisée aidée par des outils de recherche qui peuvent transformer chacun d’entre nous en fin limier, en justicier virtuel et en lyncheur depuis son clavier.
Génuflexions devant un pseudo-racisme
C’est aussi ce moment historique où le temps s’écrase, véritable collapsus temporel où passé et présent s’interpénètrent violemment : le général confédéré Robert Lee fait post-mortem les frais du mouvement Black Lives Matter ; un peu plus et Victor Hugo serait poursuivi par la vindicte des #moiaussi ! Trudeau, qui reprochait au Père fondateur de la Confédération canadienne, John A. McDonald, d’avoir voulu, en homme de son époque, « civiliser » les Indiens, reçoit la monnaie de sa pièce : le voilà dénoncé pour un maquillage que personne ou presque ne tenait pour raciste il y a vingt ans !
Ce qui devrait étonner davantage, c’est l’étrange porosité des consciences à ces accusations de blackface et de racisme. Celles-ci fusent désormais et sont reçues tout naturellement comme si elles relevaient de l’évidence. Personne sur la scène médiatique ou parmi les responsables des communications du Parti libéral du Canada n’a ainsi osé remettre en question l’accusation lancée contre son chef, en disant simplement qu’il ne s’agissait pas de blackface et encore moins d’un acte raciste. On aurait pu alléguer également que ce n’était qu’une peccadille et que se déguiser en Aladin pour une soirée costumée ne causait de tort à personne. Mais non ! En s’excusant avec des sanglots dans la voix et par la négation répétée de son racisme supposé, Justin Trudeau a plutôt choisi d’accréditer ces accusations ubuesques et renforce ainsi le pouvoir de nuisance de ces activistes de la « guerre des races » qui en font ensuite leurs choux gras.
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Bref, l’accord de l’opinion publique, journalistes en tête, et du premier ministre concerné lui-même, avec ces accusations de blackface et de racisme infondées, ce frétillement scandalisé qui a accompagné la diffusion de ces photos d’un Justin Trudeau déguisé en Aladin en disent long sur les faiblesses morale et intellectuelle d’une société nord-américaine dont l’esprit critique est en berne depuis des décennies au point qu’elle n’est plus capable de se défendre intelligemment face à cette invasion du non-sens dès que celui-ci se présente sous l’étiquette d’un progressisme supposé. Déjà contaminée par le mal, on peut espérer que l’Europe saura trouver, dans un sursaut de lucidité, des moyens raisonnables pour résister à cette insignifiance dont est porteur entre autres tout un vocabulaire frelaté.