Julie Snyder: L'ennemie de trop

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Vengeance et petitesse

Julie Snyder en mène large. Sous l’œil des caméras ou derrière son bureau (où j’ai du mal à l’imaginer songeuse et calme…), elle n’a jamais eu froid aux yeux. Elle en a bousculé beaucoup. Ses projets pharaoniques ont lancé et relancé plusieurs carrières. Elle a fait couler beaucoup d’argent dans une industrie qui s’étiolait au gré du piratage et de l’anglophilie. Des artistes branchés qui la snobaient sont tour à tour venus se prêter au jeu des millions d’auditeurs un dimanche soir ou un autre. L’industrie a dû s’adapter à Julie Snyder plus que Julie Snyder à l’industrie. Dès que Productions J ou la constellation Quebecor étaient abordés en Conseil d’administration de l’ADISQ, la tension grimpait d’un gros cran.
Gérant d’Éric Lapointe, j’ai eu l’occasion de bâtir avec Julie une relation professionnelle complice, sans complaisance et mutuellement avantageuse. C’est une femme d’affaire pugnace et visionnaire que rien n’arrête. C’est dans cet environnement que j’ai pour la première fois rencontré Pierre-Karl Péladeau avec qui j’allais avoir, comme président de l’ADISQ, des affrontements dangereux pour ma petite entreprise mais qui allaient se transformer en respect mutuel et cordial.
Le couple qu’elle forme avec Pierre-Karl Péladeau allait déranger davantage que la somme de ses parties et distiller malgré eux une controverse qui sied aux personnages. Les deux sont de sincères amoureux des arts québécois. On les adule, on les déteste, mais on ne les ignore pas. Elle est souverainiste. Il paraît que son chum l’est aussi. Elle a forcé la main de l’ancien ministre de la Santé dont les plumes allaient bientôt voler au vent. Il n’y a pas que Monsieur qui ait la mèche notoirement courte.
Des concurrents trouvent qu’elle en mène en effet large et protègent une règle qui la disqualifie pendant de nombreuses années du programme de crédits d’impôts, la vache à lait qui garantit des profits substantiels au club étanche des producteurs d’émissions télévisées réputés indépendants. Les fous des productions J écartés, ses concurrents ont un avantage singulier. On ne dira certainement pas que c’est le talent des autres qui a fait son succès: elle persiste et empile les bombes télévisuelles. Ce n’est pas non plus TVA qui lui a appris la belle folie.
Bousculé par sa propre impatience électorale (je n’ai pas fait partie de cet exercice, alors je suppose…), le Parti québécois de Pauline Marois corrige en février 2014 une injustice qui faisait bien sourire les Libéraux de Jean Charest, mais s’expose ainsi à des accusations de favoritisme. De retour au pouvoir, à peu près les mêmes Libéraux ont la table mise pour se venger de la petite peste séparatiste et de son chum devenu un vindicatif adversaire politique (lire le texte de Radio Canada). Ce faisant, on fait du partenaire de chambre à coucher un facteur de disqualification de programmes normés de crédits d’impôts et on rétablit une règle qui ne vise qu’une seule personne, une seule entreprise. C’est complètement sans-dessein ou complètement mesquin. La culture et les arts québécois n’appartenant à aucun parti politique, quelqu’un, quelque part devra se pencher sur ce geste honteux.
Dans l’intervalle, si le rugueux Pierre-Karl Péladeau est plus facile à craindre qu’à aimer, Julie, elle, est une icône des variétés télévisées. Pour chaque chroniqueur aseptisé qui la méprise – encore davantage en couple – cent mille Québécois l’aiment. On compte des dizaines de soirées de télévision au Québec où il y a eu plus de gens pour regarder Julie Snyder qu’il y en a eu pour voter pour le Parti libéral du Québec lors d’une journée d’élections.
Si le sens du devoir ou la justice avaient requis du gouvernement qu’il affronte Julie Snyder, on aurait respecté le courage. Au contraire, en agissant ainsi, le gouvernement Couillard provoque l’entrée en scène volcanique d’une ennemie à sa façon plus redoutable encore que son pourtant terrible conjoint. L’ennemie de trop.


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