Jean Tremblay : tempête dans un verre d’eau bénite

Laïcité — débat québécois


J’ai déjà affirmé, dans une chronique récente, qu’il existait une catégorie d’individus, véritables bêtes de scène médiatique, dotés d’un talent aussi particulier que facultatif pour attirer sur eux l’attention des projecteurs par leurs comportements erratiques ou leurs prises de positions aussi stériles que controversées. Amir Khadir et le doc Mailloux me semblaient représenter ce qui se faisait de mieux en la matière, mais j’ai failli oublier, comme la majorité silencieuse dont il se réclame, jusqu’à l’existence de Jean Tremblay, le maire bigot de Saguenay. Heureusement, le rustique personnage a trouvé le moyen de se rappeler à notre si indélicate attention.




M Tremblay, dans le style coloré et emphatique qu’il partage d’ailleurs avec notre bon maire de Trois-Rivières, Yves Lévesque, a trouvé le moyen de mobiliser l’attention du Québec tout entier en s’en prenant aux origines algériennes de Djemila Benhabib. Cette dernière, en réponse à un journaliste, avait eu l’indélicatesse de confirmer qu’elle avait jadis pris position contre le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale, mais qu’elle s’était ralliée à la position du parti québécois dont elle défend les couleurs dans le comté de Trois-Rivières, non sans préciser son intention de revenir sur le sujet au sein de son parti. Elle n’a pas dit qu’elle allait s’immoler par le feu en cas de rejet de sa proposition, pas plus qu’elle n’a lancé d’ultimatum à sa chef. Elle a simplement manifesté son désir de discuter sereinement du sujet au sein des instances démocratiques du PQ. Quelle abomination !

«Ce qui me choque, ce matin (15 août), devait lancer l’éloquent maire Tremblay au 98,5, c'est de voir que nous, les mous, les Canadiens français, on va se faire dicter comment se comporter, comment respecter notre culture par une personne qui arrive d'Algérie, et on n'est même pas capable de prononcer son nom. » Le brave homme souffrirait-il d’analphabêtise ? Comme un réactionnaire en attire souvent un autre, Jean Tremblay devait trouver en Yves Lévesque, son siamois idéologique sur ce sujet, un appui sans équivoque : «Ça donne un portrait un peu de la situation de ce qu'une majorité des gens pensent de façon silencieuse au Québec, par rapport à tout au niveau de la charte sur la laïcité», a-t-il renchéri.

Heureusement que ces maires veillent au grain et défendent « nos » valeurs… J’aimerais maintenant savoir comment le médiumnique maire Levesque, si catégorique, arrive à entendre la voix de cette majorité… silencieuse et à s’en improviser l’un des porte-parole.

Un débat inévitable


Mais laissons là ces deux fantaisistes involontaires à leurs lubies. Il existe bel et bien au Québec des gens dotés de bon sens et de raison, n’ayant rien de bigots ni de fanatiques, qui voient dans le projet de charte de la laïcité du PQ une menace à leur identité culturelle, autant chez les Québécois de souche que d’adoption. N’oublions pas que c’est dans le sillon du débat sur les accommodements religieux, initié par l’Action démocratique du Québec, qui a mené à la houleuse commission Bouchard-Taylor, que le PQ a décidé de prendre position sur la laïcité, après la déconfiture de l’ADQ en 2008. Une telle manœuvre devait lui permettre d’attirer vers lui une partie des orphelins du parti de Mario Dumont.

Le but initial de la charte était de baliser les accommodements religieux, surtout islamistes, n’en déplaise à ces derniers, et de freiner la multiplication des cas inacceptables inaugurée avec le droit de porter le kirpan à l’école, quand cet objet rituel de la religion sikh demeure proscrit dans les aéroports, notamment, pour des raisons de sécurité évidentes. Cet aspect de la lutte en faveur de la laïcité met en opposition les tenants de la charte avec les militants de la laïcité dite ouverte, dont Québec solidaire et sa succursale féministe, la fédération des femmes du Québec, demeurent les figures les plus représentatives. La collègue d’Amir Khadir, Françoise David, co-leader de QS et ancienne présidente emblématique de la FFQ, semble d’ailleurs continuer à jouer les belles-mères, au sein de cet organisme, et à en orienter les destinées.

On se souviendra du débat passionné qui avait opposé Djemila Benhabib à la FFQ qui, comme QS, s’oppose à l’interdiction des signes religieux dans la fonction publique, alors que le conseil du statut de la femme lui, l’endosse. On se rappellera également la totale incohérence de la ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre, appuyant la position de la Fédération, désavouant par le fait même le CSF, dont elle était responsable. Françoise David devait aller plus loin encore dans l’errance idéologique en affirmant la « nécessité » de cours prénataux dont les pères seraient exclus, afin que les musulmanes puissent… briser l’isolement. Dans la même foulée, la FFQ devait aller jusqu’à appeler à la tolérance envers les gardiennes en milieu familial désireuses de porter niqab ou burqa !

Devant de tels délires, défendus autant par des Québécois de souche que d’adoption, comment ne pas ressentir l’impérieuse nécessité d’une charte de la laïcité ? On objectera qu’il existe déjà une charte des droits et libertés au Québec affirmant la préséance de l’égalité homme femme sur les pratiques religieuses. Fort bien, mais que fait-on dans le cas du kirpan ? En quoi le fait de le porter ou non à l’école peut-il être questionné à la lumière de l’égalité homme femme ? Aucun rapport. Les détracteurs de la charte sur la laïcité invoquent également le fait que la charte canadienne des droits et libertés aurait préséance sur elle. La clause dérogatoire, ça pourrait finir par servir, non ? Il s’agit là d’un droit consenti par notre constitution. Pourquoi tergiverser, quand la nécessité fait… loi ?

Laïcité, priez pour nous !


Comme si une seule société distincte ne suffisait pas, l’épisode d’Hérouxville, survenu en 2007, avait révélé l’émergence de deux Québec. L’un, métropolitain, se voulait ouvert aux communautés culturelles, mais pestait dès qu’un accommodement religieux devenait déraisonnable. L’autre, régional, redoutait qu’un climat similaire ne prévale dans ses communautés et demandait un encadrement préventif des accommodements religieux, voire leur suppression. Toutefois, le pourcentage de Québécois opposés aux accommodements religieux avoisine maintenant les 85 %, toutes régions confondues.

La séparation entre la religion et la politique étant un fondement de notre société, la laïcité, proposée comme solution tout-terrain aux accommodements déraisonnables, comporte une part d’arbitraire qui générera inévitablement sa part de débordements. En effet, chacun ne comprend manifestement pas le concept de la même façon.

Il y a la laïcité à la Boisclair, qui affirmait en 2007 que le crucifix n’avait pas sa place à l’Assemblée nationale, mais condamnait, en campagne électorale de la même année, la décision d’un arbitre de proscrire le hijab lors d’un match de soccer. M Boisclair avait cru judicieux d’ajouter alors que le port du kirpan à l’école ne le dérangeait pas. Bref, la laïcité est ici comprise comme devant s’appliquer exclusivement aux Québécois dits de souche pour s’effacer devant les demandes des communautés ethniques, même les plus abusives ou farfelues.

Dans cette optique, la question du crucifix à l’Assemblée nationale n’a pas fini de semer la controverse selon la façon dont on l’envisage. Pour plusieurs, dont moi, il demeure préférable – mais pas essentiel - de le retirer car il fut placé dans le plus important lieu politique québécois par Maurice Duplessis afin de sceller l’alliance que ce dernier avait conclue entre l’État et l’Église. On devrait alors aussi retirer la croix du drapeau québécois, également instauré sous Duplessis ? Non. Pourquoi ? Inutilement compliqué, contrairement à décrocher du mur un objet de culte. Les défenseurs du maintien du crucifix invoquent quant à eux qu’il fait partie de notre patrimoine, une conception qui, si elle implique une part d’amnésie historique, reste cependant défendable, d’où la difficulté de trancher.

C’est d’autant plus vrai qu’il existe une laïcité d’intention, réticente aux accommodements religieux accordés aux communautés culturelles, mais attachée aux traditions au point de préserver des rituels aussi accessoires que la prière au conseil de ville, bien que la question ait été tranchée. Les maires Lévesque et Tremblay demeurent des archétypes très vivaces de ce genre de positionnement. Que l’on cherche à préserver nos églises, à titre de patrimoine historique et architectural, demeure le signe d’un attachement plus que légitime à nos racines et à notre passé. Devant la désertion des églises, on n’hésite pourtant pas à liquider ces richesses, témoins de nos traditions, sans susciter de controverses comparables à celles provoquées pendant des années à propos de la prière au conseils de ville de Trois-Rivières et plus tard de Saguenay.

Instaurer une société laïque demeure un enjeu de société incontournable. Reste à savoir où tracer la ligne entre une laïcité qui reste tolérante, sans prêter le flanc aux abus de minorités parmi les minorités culturelles, et la cohérence que nous devons exercer en évitant que notre religion n’envahisse des sphères auxquelles elle doit rester étrangère. Mais qui suis-je pour me prononcer ainsi ? Ma mère est algérienne, je suis anti-islamiste et mon nom est difficile à prononcer (dites « Keslé », comme Nestlé, la compagnie de chocolat). Maire Tremblay, priez pour moi !


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2 commentaires

  • Olivier Kaestlé Répondre

    22 août 2012

    C'est une personne souffrant d'un handicap physique qui m'avait suggéré d'abandonner l'expression "accommodements raisonnables", qui désignait également l'aménagement des lieux publics en fonction des besoins de gens de sa condition.
    Autant je suis opposé aux accommodements déraisonnables consentis aux intégristes religieux et à la dérive qu'ils impliquent au plan du respect de la personne, autant, en fonction de ce critère même, il m'a paru nécessaire d'opter pour l'expression "accommodements religieux", qui circonscrit davantage la problématique dont je traite dans ce texte. Merci de votre commentaire, RD.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 août 2012

    Bravo pour votre excellent texte...!
    Vous parlez correctement d' "accommodements religieux", un usage de + en + fréquent et meilleur que "accommodements raisonnables" trop souvent utilisé (à tort) pour qualifier ce qui est, au contraire, la plupart du temps DÉraisonnable...!