Les 30 ans de la loi 101

«It's a crock of shit.»

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Loi 101 - 30e anniversaire - "satisfaction" anglaise

Louise Leduc - «It's a crock of shit.» [Don Donderi, professeur associé à l'Université McGill->8472], a laissé tomber cette phrase pour toute réponse à une demande d'entrevue sur la Loi 101, avant de raccrocher sans saluer. Traduction libre: la Loi 101, c'est un tas de merde.
Combien sont-ils à le penser aujourd'hui? Alliance Québec n'est plus. Le Parti égalité non plus. La paix linguistique semble s'être installée.
Brent Tyler, qui s'est présenté trois fois devant la Cour suprême pour contester certaines clauses de la Loi 101, explique (en français) qu'à son avis, il ne reste plus que «quelques irritants» à combattre. Et quand la Loi 101 coulera finalement des jours paisibles, elle finira par disparaître, croit-il fermement. «La "grosse bonne femme" de chez Eaton's n'existe plus; le magasin non plus d'ailleurs, fait observer Me Tyler. Dans la vraie vie, la grande majorité des anglos d'aujourd'hui parle français, et ils en sont fiers. Plus encore, un anglo sur trois a une francophone pour conjointe. Les deux solitudes, c'est fini. Je vous le dis: finalement, c'est l'amour qui va régler le problème!»
Marie McAndrew, chercheuse en éducation, s'est longtemps consacrée à l'étude de la francisation des immigrants, à l'école. Aujourd'hui? Il n'y a à peu près plus rien à dire sur le sujet: la question est à peu près réglée, croit-elle, si ce n'est de quelques ultimes soubresauts devant les tribunaux, comme cela a été le cas cette semaine. Signe des temps, Mme McAndrew travaille maintenant sur les accommodements raisonnables, notamment. «Par nos politiques d'immigration, 60% des nouveaux arrivants parlent déjà français. Le tiers des immigrants des cinq dernières années est musulman. Il est normal, dans ces conditions, que la religion fasse aujourd'hui davantage l'objet de débats que la langue.»
D'ailleurs, selon le mathématicien Charles Castonguay, qui étudie depuis plus de 30 ans les questions d'assimilation, «on exagère l'efficacité de la Loi 101 à franciser les allophones, dit-il. Ce que l'on oublie, c'est que tous ces immigrants - d'Afrique du Nord, d'Haïti ou d'Amérique latine, dont la langue est proche de la nôtre - parlent déjà français à l'arrivée. Nos politiques de sélection des immigrants ont joué pour beaucoup.»
Cela dit, M. Castonguay croit que «l'anglais comme langue d'assimilation à Montréal est beaucoup plus fort que ce que nous porte à croire un regard naïf sur les données de recensement».
Dans une étude soumise à l'Office de la langue française, M. Castonguay a calculé qu'entre 1971 et 2001, le pouvoir d'attraction de l'anglais a été deux fois plus fort que celui du français sur les allophones.
Marie McAndrew croit au contraire que la Loi 101 a atteint à peu près tous ses buts explicites. «Oui, quand deux Jamaïcains discutent, ça se passe souvent en anglais; mais la Loi 101 n'a jamais prétendu se mêler de pratiques linguistiques à l'intérieur de groupes donnés. Certains se disent: "C'est terrible, les enfants italiens continuent de parler anglais entre eux!" Peut-être, mais ces jeunes issus d'une immigration plus ancienne étudient en anglais en toute légitimité au Québec, parce que leurs parents ont fréquenté l'école dans cette langue.»
Des avancées et des reculs
Louise Beaudoin, qui a entre autres été ministre de l'Éducation et ministre responsable de la Charte de la langue française, note que «si 82% des Québécois ont aujourd'hui le français pour langue d'usage, c'est sûrement parce qu'on a gagné un minimum de terrain».
Seulement, elle croit qu'il faut maintenant s'assurer que «le français ne soit pas seulement la langue de l'école».
«Quand j'étais ministre de l'Éducation, j'ai dit non au cégep obligatoire en français, poursuit Louise Beaudoin. Je me disais qu'il y avait une amélioration et que ce n'était pas nécessaire. Aujourd'hui, alors que de plus en plus en plus d'allophones scolarisés en français jusque-là optent pour le cégep en anglais, c'est une vraie question.»
De la même façon, en ce qui a trait à la langue de travail, les choses pourraient être resserrées, estime Mme Beaudoin. «Est-il normal d'exiger d'un employé qu'il soit bilingue, s'il n'arrive qu'une fois de temps en temps qu'il doive parler à un Américain au téléphone?»
Nombreux ont été ceux, à l'instar de Louise Beaudoin, à relever qu'«on est passé de la domination d'une bourgeoisie anglophone à une mondialisation» tout aussi menaçante.
Ainsi, à la FTQ, Lola Le Brasseur, directrice de service de francisation des entreprises, relève combien les outils de travail - logiciels ou directives, notamment - sont de plus en plus en anglais. Au surplus, dénonce-t-elle, certaines entreprises se moquent des obligations de la Loi 101 et sont en processus de francisation depuis plus de 25 ans!
C'est le fait d'une infime minorité d'entreprises, surtout dans l'aérospatiale, dit pour sa part Gérald Paquette, porte-parole de l'Office de la langue française, selon lequel le respect de l'affichage à prédominance en français est par ailleurs presque totalement assuré.
Une langue commune
Charles Castonguay n'en pense pas moins qu'on perd de vue les grandes questions. L'idée initiale, dit-il, était de faire du français la langue commune au Québec. Or, dit-il, «si tous les ministres qui se sont succédé ont parlé dans leur discours de cette langue commune comme d'une évidence, on n'en sait trop rien. Quand un anglophone parle à un francophone à Montréal, dans quelle langue échangent-ils? Quand un allophone parle à un francophone? Ça, on aurait dû le mesurer de cinq ans en cinq ans, mais on ne l'a jamais fait. L'Office de la langue française ronronne, parle la langue de bois: les organismes et ministères chargés de veiller à l'application de la Loi 101 manquent de courage.»
Fait à noter, vérification faite, le ministère de l'Éducation ne collige pas le nombre d'allophones qui, ayant étudié en français jusque-là, optent ensuite pour le cégep en anglais.
De façon générale, il reste cependant, selon Claude Morin - ministre des Affaires intergouvernementales sous René Lévesque - que la Loi 101 «est celle qui définit le mieux l'identité québécoise. C'était une loi que ni le reste du Canada, ni Ottawa ne pouvait accepter. Pour eux, nous formions une minorité ethnique, et les minorités ethniques n'adoptent pas de Loi 101. Elles n'adoptent pas de loi de nation.»
Le danger, dit Louise Beaudoin, c'est aujourd'hui de laisser libre cours à «une espèce de démobilisation ambiante. Certains trouvent ça passéiste de protéger la langue française, pas très post-moderne. Eh bien! moi, je dis qu'on est en plein dans la modernité.»


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