Alors que la réforme du droit d’Asile et de l’espace Schengen est au cœur de la campagne pour les européennes, François de Lacoste-Lareymondie estime urgent de réviser en profondeur notre droit, afin de mieux réguler les flux migratoires et de redonner ses lettres de noblesse à la notion de frontières en Europe.
« Les mœurs, plus que les lois, font et caractérisent une nation », disait Charles Pinot Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française au XVIIIe siècle. De fait, avant d’être soumis à une même loi, un peuple est façonné par une même histoire qui le conduit à adopter, au fil du temps, des mœurs communes que forgent un passé et un héritage communs. Aussi les frontières ne sont rien d’autre que la marque territoriale de cette communauté en ce qu’elle a de spécifique à une nation donnée.
L’Europe, désunie par la diversité
L’immigration massive des trente dernières années et l’abandon de toute politique d’assimilation ont profondément changé le visage de notre pays, conduisant à y faire coexister des populations qui ne partagent plus ce même fond commun anthropologique. Et sous l’emprise d’un modèle américain, d’ailleurs mal assimilé, qui n’est pas celui des peuples européens, une certaine élite dirigeante en est venue à nier cette réalité fondatrice au profit d’un multiculturalisme dont les ravages menacent toujours plus la cohésion de notre société.
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Le constat est valable à l’échelle de l’Europe. De fait, on voit fleurir dans la plupart des pays du continent, des mouvements dits populistes qui regimbent plus ou moins fortement contre cette immigration massive que l’Union européenne a d’abord favorisée, puis a été incapable d’enrayer, et qui s’est amplifiée ces derniers temps, du fait de la déstabilisation du Maghreb et du Proche-Orient.
Schengen, Dublin, Frontex, ça ne marche pas
Soumise, dès l’origine, au principe inconditionnel de la libre-circulation, l’Union européenne a organisé, par la convention de Schengen (1990), la suppression des contrôles aux frontières internes des pays adhérents et institué un visa unique pour l’entrée et le séjour des résidents de courte durée. De sorte que les étrangers non communautaires disposant de ce visa peuvent passer d’un pays à l’autre, avec pour seule obligation celle de se déclarer aux autorités ; obligation peu sanctionnée et dont l’effectivité est incertaine.
Idem pour les demandes d’asile régies par le règlement dit « Dublin III » du 6 juin 2013. Les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée doivent être reconduits dans le pays où ils ont fait leur première demande, généralement l’Italie, la Grèce ou l’Espagne ; mais cette procédure de « réadmission » ne fonctionne pas, permettant ainsi à ces « dublinés » d’échapper à toute expulsion.
Les frontières extérieures de l’Union européenne les plus sensibles sont celles de ces mêmes trois pays. Or ceux-ci sont à la fois dépourvus des moyens nationaux nécessaires et dans l’incapacité de les renforcer en raison de l’état de leurs finances. Quant à l’agence Frontex, chargée de les suppléer, elle ne dispose que d’un budget de 320 millions d’euros, largement insuffisant, et n’a évidemment pas l’expérience opérationnelle ni la réactivité qui seraient celles d’une force nationale. Ainsi, ces frontières sont devenues de véritables passoires tandis que ces trois mêmes pays d’entrée ne voient d’issue que dans le transfert des immigrés arrivés chez eux vers d’autres destinations du continent.
En finir avec la politique allemande
Du côté de la prévention, la mission EUNAVFOR Med, qui a vocation à intervenir jusque dans les eaux territoriales libyennes afin de lutter contre les passeurs, ne le peut pas faute d’autorisation du conseil de sécurité de l’ONU et d’une autorité libyenne consistante ; de sorte qu’elle en était réduite à repêcher les naufragés jusqu’à ce que, récemment, sa mission et ses moyens soient réduits à une dimension symbolique.
Enfin, la question de la répartition des réfugiés est totalement bloquée, entre les pays de première entrée (Italie, Grèce, Espagne) qui demandent la mise en œuvre de quotas d’accueil obligatoires à l’échelle de l’Union, et la plupart des autres (sauf l’Allemagne) qui s’y refusent. Mais ce n’est pas pour autant que les opposants sont prêts à consentir un effort financier significatif en faveur des premiers.
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Le sujet est d’importance majeure ; mais on n’en saisit pas tous les enjeux si on néglige le fait que la ligne de clivage passe aussi entre les pays qui ont impérativement besoin de main d’œuvre à bon marché pour maintenir l’appareil de production et leur structure exportatrice (au premier rang desquels l’Allemagne), et les pays où le chômage de masse persiste et qui, au contraire, ont besoin d’exporter leurs propres excédents de main d’œuvre. De fait, c’est en adéquation avec les revendications allemandes que le commissaire européen aux Migrations et Affaires intérieures Dimítris Avramopoulos déclare que « l’accueil de l’immigration de masse est non seulement un impératif moral mais aussi un impératif économique et social pour notre continent vieillissant ».
Revoir Dublin
Face à un tel défi, il est urgent de revoir, en priorité, tout le dispositif d’asile résultant des accords de Dublin : on sait qu’il est largement détourné en raison des avantages et protections dont bénéficient les demandeurs, d’ailleurs avec la complicité des passeurs – qui connaissent toutes les ficelles – et de beaucoup d’associations où la naïveté se combine trop souvent aux bons sentiments. Aussi est-il impératif :
– de revoir la procédure d’examen des demandes et des recours pour qu’elle ne dépasse pas trois mois (c’est autant un devoir d’humanité que d’efficacité), durée pendant laquelle les candidats devront rester là où ils sont, sous peine de rejet automatique, pour n’avoir plus à gérer le système absurde de relocalisation et de réadmission ;
– de fournir toute l’aide financière, matérielle et humaine requise aux pays de première admission, en veillant à ce que soit évité tout laxisme dans le traitement des dossiers ;
– de systématiser la reconduite immédiate aux frontières en cas de rejet pour que cessent de traîner dans la nature des immigrés sans statut.
Limiter Schengen
D’une manière générale, il faudrait généraliser l’installation de hotspots dans les pays de forte migration pour instruire sur place les demandes d’asile et éviter les arrivées massives de migrants économiques qui détournent le droit d’asile de sa finalité, quitte à exercer de fortes pressions à cette fin. L’asile ne devant être que temporaire, il faudrait également organiser le retour systématique des réfugiés dans leurs pays d’origine dès stabilisation de la situation locale.
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En parallèle, il convient de réviser le code frontières Schengen afin d’autoriser le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures pour une durée laissée à la libre appréciation de chaque État, en cas de faillite constatée et répétée d’un État de l’espace, dans la gestion du flux migratoire et aussi longtemps que dure cette faillite. Aujourd’hui, les dérogations ne peuvent dépasser deux ans, ce qui est nettement insuffisant. De même, il faudrait s’opposer à l’extension de l’espace Schengen en direction de la Roumanie, ce qui créerait un véritable appel d’air migratoire.
Agir en amont
Du côté de la prévention, il faut se donner les moyens, fussent-ils unilatéraux, d’intervenir dans les eaux territoriales des pays incapables d’enrayer l’embarquement de flux de migrants, notamment la Libye, et d’y reconduire d’office les navires à leur point de départ. Et en parallèle, conditionner l’aide internationale au développement, notamment avec les pays maghrébins et africains, à la lutte contre l’immigration clandestine dans le pays d’origine.
Toutes ces décisions qui touchent aux prérogatives régaliennes de chaque État devraient faire l’objet d’un vote à l’unanimité qui devrait être sanctuarisé dans un tel domaine, au sein du Conseil européen, qui devrait également bannir toute notion de sanction financière. C’est à ce prix que l’on pourra convenablement traiter la question migratoire en Europe.