Il n'y a que des avantages

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Photo: Alain Roberge, Archives La Presse

Le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) doit bientôt présenter à la ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, un avis sur la norme linguistique, c'est-à-dire sur la variété de français que l'État québécois devrait choisir comme modèle pour la langue de l'administration et de l'enseignement.
Depuis des décennies, deux positions s'affrontent. Selon les uns, les Québécois doivent s'approprier la norme commune à tous les francophones, indépendamment de leurs appartenances nationales, le «français standard international». Selon les autres, ils doivent opter pour une norme propre, nationale, «endogène» (créée sur le territoire québécois), le «français québécois standard».

Lors de la création de l'Office québécois de la langue française (OQLF), c'est la norme internationale qui avait été choisie comme modèle: «La norme, affirmait-on alors, qui, au Québec, doit régir le français dans l'administration, l'enseignement, les tribunaux, le culte et la presse, doit, pour l'essentiel, coïncider à peu près entièrement avec celle qui prévaut à Paris, Genève, Bruxelles, Dakar et dans toutes les grandes villes d'expression française.» Il s'agissait de la norme des élites francophones, urbaines et internationales. Cette norme laissait la place à une certaine variation en fonction des besoins d'expression de chaque nation.
Mais depuis une trentaine d'années, ce sont les «endogénistes» qui tiennent le haut du pavé, imposant leurs vues dans les organismes chargés des politiques linguistiques. La voix des partisans du français standard international a été étouffée et leurs propositions ne sont plus prises en compte depuis longtemps.
Dans ce contexte, le discours prononcé par le président du CSLF, Conrad Ouellon, devant le congrès de la Fédération internationale des professeurs de français en juillet dernier présente un intérêt particulier, car on peut présumer, sans faire injure aux autres membres de l'organisme, que s'y trouvent déjà probablement la plupart des thèmes, sinon des positions que l'avis présentera à la ministre. (...)
Déficit important
Répondant à la question de savoir quelle langue on doit enseigner dans les écoles, non seulement M. Ouellon reconnaît l'existence du «français standard international», mais il affirme que c'est cette variété de français qui doit être enseignée: «La question, dit-il, n'est pas nouvelle et la réponse demeure la même: c'est le français standard, avec sa norme internationale commune.» Quand il assigne comme objectif pour tout francophone «la pleine maîtrise du français et de ses divers niveaux de langue», on ne peut que l'approuver. On sait que les jeunes Québécois présentent un déficit important en vocabulaire et utilisent involontairement de nombreux anglicismes. Pourra-t-on dire de nos élèves qu'ils maîtrisent le français tant qu'ils emploieront des centaines de formes inconnues et incomprises de leurs camarades des autres pays francophones, tant qu'ils ignoreront autant de termes couramment utilisés par ces derniers? Comment pourrait-on atteindre cet objectif de pleine maîtrise de la langue sans enseigner le français standard international?
Justement, les résultats d'un sondage effectué par l'OQLF nous apprennent que, pour 77% des Québécois, le français enseigné dans les écoles du Québec doit être le français international. Dans la même ligne, pour 88% des sondés, on devrait utiliser les mêmes grammaires et les mêmes dictionnaires partout dans la francophonie. Le président du CSLF n'a pas pu ne pas tenir compte de ces éléments d'information.
On le voit: la société est prête. Le choix du français standard international comme norme linguistique ne présente que des avantages. Il fournirait immédiatement aux enseignants et aux élèves un modèle linguistique et des ouvrages de référence, sans attendre une hypothétique description d'un «standard québécois» qui fasse consensus. Il nous intégrerait encore plus à notre communauté linguistique naturelle, la communauté francophone internationale. Il élargirait notre marché linguistique et culturel; améliorerait nos communications avec les autres francophones; favoriserait l'intégration des immigrants francophones; motiverait les anglophones à apprendre le français.
Espérons que les membres du CSLF tiendront compte de ces éléments avant d'arrêter leur décision et que la ministre saura répondre aux voeux majoritaires des Québécois et défendre les intérêts supérieurs d'un Québec qui a un impérieux besoin de prolongement international pour survivre en tant que nation francophone.
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Lionel Meney
M. Meney est linguiste et lexicographe. Il est l'auteur du «Dictionnaire québécois-français» (Guérin, Montréal) et de «Main basse sur la langue. Idéologie et Interventionnisme linguistique au Québec» (à paraître).

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Linguiste et lexicographe, Lionel Meney a été professeur titulaire à
l’Université Laval (Québec). Il est l’auteur du « Dictionnaire
québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones » (Guérin, Montréal, 1999) et de « Main basse sur la langue : idéologie et interventionnisme linguistique au Québec » (Liber, Montréal, 2010).





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