Ignatieff, futur chef?

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"Le pays a changé, le parti a changé, et j'ai changé." Tel est le constat de Michael Ignatieff, alors qu'il repart en campagne pour la deuxième fois en deux ans, avec cette fois de meilleures chances de l'emporter.
Il a raison. Le pays, les libéraux et lui-même ont changé.
On ne lui reproche plus d'avoir passé le plus clair de sa vie adulte en dehors du Canada: il s'est fait élire, il s'est distingué à la Chambre des communes en tant que chef adjoint de l'opposition, il a traversé honorablement la dernière campagne électorale, il a appris à ne pas dire tout ce qui lui passait par la tête et a cessé de confondre l'arène politique avec les séminaires qu'il animait naguère en toute liberté.
L'intellectuel déconnecté qui revenait au pays avec la vaniteuse ambition de décrocher instantanément le leadership suprême est devenu un politicien. Il est passé par la dure école de l'action et du travail obscur, sur le terrain, dans les assemblées de cuisine et les locaux électoraux. Bref, il a gagné ses galons, en même temps que la petite dose de modestie nécessaire pour faire carrière dans le monde politique canadien, où l'on a la fibre égalitaire et où l'on se méfie des vedettes qui affichent trop d'assurance.
La victoire d'Obama ne lui nuit pas, non plus. Les Canadiens souffrent actuellement d'un syndrome aigu d'envie à l'endroit de leurs voisins qui se sont donné un leader inspirant et brillant. Déjà en 2006, les élites torontoises voyaient en Ignatieff le successeur de ce Pierre Elliott Trudeau dont elles avaient la nostalgie, parce qu'à l'instar de l'ancien premier ministre, Ignatieff incarnait un modèle atypique - un intellectuel sophistiqué, cosmopolite, parfaitement bilingue - un cérébral avec du charisme. Aujourd'hui, à la nostalgie de Trudeau s'ajoutera le facteur Obama.
Enfin, Ignatieff s'est aussi délesté du boulet que constituait, au Canada anglais, son appui à la notion de "nation québécoise", puisque l'idée a été reprise par le gouvernement Harper - et donc banalisée. Au Québec, il passera pour un précurseur. Ailleurs, on ne parle plus de cette histoire. L'autre question qui l'avait rendu impopulaire - son appui à la guerre en Irak, en 2003 - est-elle aussi plus ou moins oubliée, d'autant plus qu'il a avoué par la suite s'être trompé.
Cette fois-ci, Ignatieff part gagnant. Parce qu'il n'y a que trois candidats en lice, il échappera aux jeux de coulisses qui ont permis à Stéphane Dion de l'emporter même s'il avait à peine recueilli le quart des votes au premier tour. En effet, plus il y a de candidats, plus l'issue d'un scrutin est aléatoire.
Cette fois, Ignatieff n'aura que deux adversaires: le jeune député acadien Dominic LeBlanc, qui n'a aucune chance sinon celle de se faire connaître, et Bob Rae... un grand ami devenu un grand rival.
À l'heure actuelle, les observateurs prévoient la victoire d'Ignatieff, et nul plus que Rae n'en est conscient, la preuve en étant qu'il a amorcé la campagne par un petit coup d'éclat maussade, refusant qu'une première rencontre avec des délégués ontariens se fasse à huis clos, comme le souhaitaient Ignatieff et les organisateurs de la réunion. Rae a quitté les lieux en trombe, la mine boudeuse.
Bob Rae, lui aussi, a fait ce qu'il pouvait pour devenir un libéral bona fide, lui à qui l'on reprochait d'être un transfuge du NPD. Mais il a beau jouir de l'appui du clan Chrétien (dont son frère John était l'un des principaux organisateurs), son passé d'ancien premier ministre néo-démocrate lui colle à la peau.
Si Ignatieff peut compter sur les délégués du Québec, Rae devrait pouvoir compter sur l'Ontario, sa province natale qui est aussi le château fort du PLC. Mais en Ontario, justement, on garde un souvenir amer de la mauvaise administration du gouvernement Rae, au début des années 90. Rae a en outre le désavantage de projeter une image de politicien traditionnel - quoiqu'exceptionnellement doué: l'homme est brillant, cultivé, bilingue, bien des crans au-dessus de la moyenne des politiciens canadiens. Mais en politique, le succès est souvent une question de timing.


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