Histoire, idéologie et stupidité: leçon d’histoire à Joseph Facal

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L'obsession raciale de la gauche multiculti devient tout simplement délirante...


Dans sa chronique du 2 mars 2019 intitulée Art, idéologie et stupidité, Joseph Facal critique le film Marie, Reine d’Écosse, dont l’action se passe entre 1561 et 1587, et qu’il trouve «ultra-politiquement correct». Du film, la seule chose qui retient prioritairement son attention, c’est la présence des Noirs. Il écrit :   


«Dans chacune des scènes se déroulant dans les deux cours royales, on voit, en arrière-plan, plusieurs acteurs d’origine africaine.   


Si quotas de “diversité” il y avait, ils ont été fracassés.   


Ces acteurs ne jouent pas des rôles d’esclaves ou de domestiques, mais de gentilshommes à la cour.   


Pardon? À la fin du 16e siècle? En Angleterre et en Écosse?   


Les Britanniques ne mettent pas les pieds en Afrique avant le milieu du 17e siècle, 100 ans plus tard, lorsqu’ils voient le potentiel économique de l’esclavage.   


Je répète : c’est 100 ans plus tard, et ce sont des esclaves qu’ils ramènent, pas des nobles.»  


Après avoir regardé le film, il est exagéré d’affirmer que «dans chacune des scènes se déroulant dans les deux cours royales, on voit, en arrière-plan, plusieurs acteurs d’origine africaine». En vérité, j’ai peiné à trouver beaucoup de Noirs dans ce film. En revanche, j’y ai vu beaucoup de Blancs. Mais la couleur est dans l’œil de celui qui regarde. Je vous laisse aller le regarder pour vous faire votre propre idée. Car, là n’est pas l’objet de ma réplique.   


À la lecture de la chronique de M. Facal, c’est la négation de la présence noire en Angleterre et en Écosse avant le 17e siècle qui m’a fait sourciller. Ce n’est pas tant l’ignorance de M. Facal qui me préoccupe que le fait d’induire en erreur des milliers de lectrices et lecteurs du Journal de Montréal.  


Comment M. Facal peut-il s’étonner de la présence noire en Angleterre alors que les chercheurs anglais ont établi en 2018 que l’ancêtre des Anglais, l’homme de Cheddar dont l’origine remonte à 10 000 ans, avait la peau noire. En passant, ce n’est pas la découverte du siècle puisque nous savons déjà que les Noirs sont sortis de l’Afrique pour peupler la terre, et que les humains, quelle que soit leur carnation, sont d’origine noire. Par ailleurs, ces chercheurs ont prouvé que l’apparition de la peau blanche des Européens est récente dans l’histoire de l’humanité.  


Pour l’instant, laissons l’homme de Cheddar dans son lointain passé et considérons notre ère. Dès le début de notre ère, en effet, de nombreuses sources qui témoignent de la présence des Noirs en Europe ne manquent pas. En voici quelques-unes que je suggère à M. Facal:    


C’est la meilleure source basée sur une approche historique rigoureuse qui montre, par exemple, que les Africains noirs étaient en Grande-Bretagne avant les Anglais blancs.     



  • Benjamin Hendrickx, Un roi africain à Constantinople en 1203, Byzantina, Vol.13, No 2 (1985).    


Cet article porte sur le périple du roi nubien Moïse Georges qui rendit visite au roi Alexis III de Constantinople lors d’un pèlerinage qui le conduisit à Saint-Jacques de Compostelle, à Rome et à Jérusalem.    



  • Grégoire Fauconnier et Ver-Ndoye Nail, Noir : Entre peinture et histoire, Omniscience, 2018    


Pour les auteurs, cet ouvrage revisite l’histoire de l’art à travers la représentation des Noirs dans la peinture européenne du XIVe au milieu du XXe siècle.    



  • Natou Pedro Sakombi, Du sang bleu à l’encre noire : sur les traces de la monarchie et de la noblesse noires d’Europe, Éditions Emergo, 2015.    


Ce n’est pas un ouvrage historique, mais un essai qui recense les preuves de la présence des Noirs dans l’aristocratie et la noblesse en Europe et interpelle les historiens et les archéologues.     



En outre, voici quelques exemples de preuves de la présence des Noirs en Europe bien avant le 16e siècle extraites des sources précitées :    



  • Dans les quatre volumes de L’histoire de l’Irlande qu’il a publiés entre 1835 et 1846, Thomas Moore a écrit ceci : «Une armée de gens du Nord, appelés les Dubh-Gals, ou les étrangers noirs, car appartenant à une race différente de ceux que nous connaissons en Irlande, débarquèrent avec une force terrible en l’an 850; ils attaquèrent les Fin Gals, les étrangers blancs qui peuplaient déjà Dublin».  

  • Dès le 3e siècle, l’armée romaine était composée notamment de soldats africains nubiens et Garamantes. Ces derniers étaient particulièrement réputés pour leur bravoure militaire. Les Garamantes étaient des soldats africains issus de la région centrale du Sahara appelés aussi les Tubu. Aujourd’hui les Tubu habitent principalement au nord du Tchad et au sud de la Libye. Ils sont encore réputés pour leur bravoure militaire. Sous l’Empire romain, ces soldats noirs ont participé à la conquête de ce qui est aujourd’hui la Grande-Bretagne. Avec le temps, et suite à la chute de l’Empire romain, ces soldats et chevaliers noirs ont fini par s’intégrer à l’aristocratie et à la noblesse européenne.  

  • Le roi Charles II Stuart (1630-1685) était appelé le «garçon noir» par sa mère en raison de sa peau sombre.   

  • La figure des Noirs dans la peinture et les arts constitue une autre preuve de la présence des Noirs en Europe. Le site web suivant recense les peintures sur lesquelles figurent des Noirs en Europe avant notre ère : https://medievalpoc.tumblr.com/search/pre-1000s    


Qu’est-ce qui explique donc le fait que l’on parle peu de l’histoire des personnes noires européennes de cette époque? L’on a perdu peu à peu leurs traces en raison du phénomène de métissage avec les Blancs, mais aussi de la vaste entreprise de blanchiment de l’histoire européenne (Lire Helen Young, Where Do The «White Middle Age» Come from? ). Qui plus est, à partir de la traite négrière, la construction de la figure du Noir en «étranger et sauvage» prit de l’ampleur. En soutenant qu’avant la traite négrière, les personnes noires étaient connues comme des esclaves ou des domestiques, et non pas comme de gentilshommes à la cour en Europe, M. Facal perpétue cette figure construite du Noir et véhicule un négationnisme et un racisme éculés très en vogue auprès des suprémacistes blancs, comme le démontre Helen Young.   


En clair, affirmer qu’avant la traite négrière, il n’y avait pas de personnes noires en Europe est faux. Certes, la traite transatlantique (ainsi que la traite orientale, qu’on a souvent tendance à oublier) et la colonisation européenne de l’Afrique constituent deux moments de rupture fondamentale sans lesquels on ne peut pas comprendre la trajectoire actuelle de l’Afrique et des diasporas noires. Toutefois, gardons-nous de réduire l’histoire des peuples africains à ces deux phénomènes, fussent-ils capitaux.   


L’Afrique n’a jamais cessé de participer aux échanges mondiaux et d’en être une actrice majeure. Ainsi, l’Afrique australe et la Chine entretenaient de riches échanges commerciaux dès le 9e siècle. Au 12e siècle, le roi navigateur Abubakar II de l’empire du Mali en Afrique de l’Ouest avait conduit une expédition dans les Amériques. Bien avant que les Européens ne mettent pied dans les Amériques, son empire entretenait des échanges avec les peuples autochtones des Amériques. L’égyptologue Cheikh Anta Diop et le sinologue Martin Bernal ont démontré que la civilisation grecque d’où est née la civilisation européenne contemporaine a des origines afro-asiatiques. La Grèce antique s’abreuvait en science, en philosophie, etc. dans l’empire du Kemet (Kemet signifie «terre noire». «Ta Mery», qui signifie Terre bien-aimée, est une autre appellation de cet empire), le vrai nom de l’Égypte antique pharaonique qui était un empire noir. Runoko Rashidi et, surtout, Ivan Van Sertima (lire They Came Before Colombus : the African Presence in Ancient America) soutiennent l’influence de l’empire du Kemet (ou Ta Mery) sur la civilisation précolombienne olmèque qui remonte à 2500 avant J-C. En bref, il y a des pans de l’histoire de l’Afrique à explorer, à faire connaître et à partager.  


Pour justifier leur entreprise d’exploitation des Africains, les Européens ont occulté et travesti l’histoire de l’Afrique et des Noirs, et blanchi celle de l’Europe. Tout comme l’obsession anti-noire a contribué hier à travestir l’histoire des Noirs, elle peut pousser aujourd’hui à écrire des chroniques vaseuses qui induisent en erreur. Alors que nous venons de clore le Mois de l’histoire des Noirs, M. Facal a manqué manifestement une belle occasion de s’instruire de cette histoire. Enfin, le privilège d’écrire des chroniques s’accompagne de l’obligation de l’honnêteté intellectuelle. Il en va de la réputation du chroniqueur et du médium, en l’occurrence du Journal de Montréal.  


RÉPONSE DE JOSEPH FACAL  


Mbaï-Hadji Mbaïrewaye s’est donné pour mission de faire connaître et de revaloriser la contribution au patrimoine de l’humanité de toutes les personnes d’origine africaine.   


C’est une cause noble, légitime et nécessaire.   


Mais elle ne l’autorise pas à me faire dire ce que je ne dis pas.   


Mon interlocuteur insiste sur la présence africaine en Europe pendant des siècles. Qui a prétendu le contraire?   


Mon propos était plutôt que les gens issus de ce continent n’étaient pas, à l’époque dépeinte dans le film, des conseillers proches des souverains européens, des diplomates ou des militaires de haut rang dans les armées royales.   


Les références données par mon interlocuteur ne prouvent pas le contraire.   


En ce sens, la distribution du film se veut moins une évocation fidèle de la réalité qu’une inscription assumée dans le nouvel effort hollywoodien, par ailleurs légitime, pour faire davantage de place à la diversité, ce que la réalisatrice, Josie Rourke, a elle-même reconnu quand on lui en a fait la remarque.