Harper se fait «Big Brother»

par Virginie Roy

Dérives démocratiques - la société confrontée à sa propre impuissance

Je suis présentement en train de lire un livre passionnant, 1984 du renommé George Orwell. Vous me direz que je suis en retard dans mes lectures, puisqu’il a été publié un peu avant 1950. C’est que les romans fantaisistes et de science-fiction ne m’intéressent habituellement pas du tout. Pourtant, je me réjouis de ne l’avoir lu que cette année. En effet, il est, bizarrement, plutôt d’actualité.
Dans 1984, Big Brother est le chef de l'État d'Océania, et il est aussi le grand surveillant, omniprésent sur les affiches et les «télécrans», qui ont la capacité de surveiller ce que les gens font dans leur domicile privé. Selon la légende, Big Brother est le créateur du parti, ainsi que l’auteur de la révolution. Depuis, l’information est contrôlée, les livres d’histoire sont falsifiés, la liberté d'expression n’existe plus. Toutes les pensées sont minutieusement surveillées, et d’immenses affiches trônent dans les rues, indiquant à tous que «Big Brother vous regarde».
Bien entendu, l’année 1984 est passée depuis un bon moment déjà et, à première vue, rien de ce qu’écrivait Orwell n’est arrivé. Pourtant, je n’ai jamais vécu d’un gouvernement autant d’exemples de censures, de cachoteries, de remaniement de nouvelles, de belles paroles… le gouvernement conservateur semble s’être créé un plan à la Big Brother. Le meilleur exemple est celui du rapport de Santé Canada, publié dans la controverse vendredi dernier, qui a pour sujet les conséquences du changement climatique sur la santé des Canadiens.
Un rapport publié en catimini
«Il est prévu que les changements climatiques augmenteront les risques pour la santé des Canadiens par l’entremise de plusieurs voies telles que les aliments qu’ils consomment, l’air qu’ils respirent et l’eau qu’ils boivent, ainsi que par l’exposition aux événements météorologiques extrêmes et aux maladies infectieuses qui se retrouvent dans l’environnement naturel», peut-on lire dans le rapport de Santé Canada. N’est-ce pas là un rapport important, voire alarmant? Pourtant, il a été publié en retard et en catimini, même s’il était prêt depuis un moment.
Cette situation est le reflet d’une nouvelle tendance en politique. En effet, l'arrivée au pouvoir des Conservateurs a signé la fin de la communication transparente avec le public. Les journalistes ont d’ailleurs été les premiers à remarquer le mutisme et le jonglage avec les mots. À Ottawa, les ministres n'accordent presque plus d'entrevues et ne répondent plus aux questions des journalistes après la période de questions. Les réunions du conseil des ministres ne sont plus annoncées, ce qui évite aux élus de devoir répondre aux médias à la sortie de la salle du cabinet. Recevoir une information anodine est maintenant un jeu complexe et long, voire irréalisable.
La semaine dernière, la vis a été serrée davantage. Une fois de plus, les journalistes ont dû confronter «Big Brother» dans le but de prendre connaissance du fameux rapport de Santé Canada. Sa publication devait d’abord être faite au printemps, mais pour une raison inconnue, le gouvernement a préféré repousser la date de parution. À ce moment, les auteurs du rapport ont d’ailleurs tenu à souligner leurs inquiétudes. Ils avaient peur que leur rapport ne soit jamais publié. Finalement, il a été publié en catimini sur le site de Santé Canada, vendredi dernier. C’est la deuxième fois cette année qu’un rapport d’une importance majeure est publié discrètement.
Le communiqué de presse remis aux journalistes, quant à lui, allait dans le même sens. Ainsi, le gouvernement n’a donné que le titre du rapport, sans information supplémentaire. Par contre, le gouvernement Harper, avec un doigté exceptionnel, a su compléter le communiqué en se lançant des fleurs. Bien entendu, le rapport de Santé Canada, un brin alarmant, est plutôt embarrassant pour un gouvernement qui jusqu’à il n’y a pas longtemps, ne voulait rien savoir du changement climatique et du respect de l’environnement… préférant s’agenouiller devant les compagnies de sable bitumineux de l’Alberta.
Mais ce n’est pas tout, si une personne désire consulter le rapport, il doit le commander par courriel ou par téléphone, et donner son nom et sa profession, un moyen détourné pour rendre l’information difficile d’accès. Pourtant, les conclusions de ce rapport ne devraient surtout pas être cachées au public, premières victimes du changement climatique.
De plus en plus, le gouvernement tend vers une idéologie à la Big Brother. Ce n’est pas nouveau: qui contrôle l’information, détient le pouvoir. À Ottawa, le travail des journalistes n’a jamais été aussi difficile. La collecte de l’information des autres journalistes à travers le pays non plus. Gageons que Stephen Harper a lu bien avant moi 1984… et qu’il tente, avec un succès relatif, d’appliquer la doctrine ici même au Canada.


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