Il est des chroniques désespérées, comme des cas. Quoi qu'il écrive, l'auteur est certain de se faire incendier. Il n'y peut rien. Comment passer sous silence les centaines de courriels contradictoires, mais tous virulents, qui inondent notre boîte depuis le début de l'attaque israélienne de Gaza, le 27 décembre 2008 ? Mais comment les citer sans déclencher illico une nouvelle vague de protestations tout aussi véhémentes ? La violence des messages reçus laisse à vrai dire peu d'espoir : le sujet est maudit.
Jamais, dans d'autres domaines, le journal ne se fait à ce point insulter, maudire, voire menacer. "C'est écoeurant d'être aussi antisémite", dit par exemple Geoura Stern, tandis que Slama Hamadi nous traite de "journal sioniste" - toutes deux refusant de donner leur adresse postale. D'un côté, un anonyme (signé "en direct d'Israël") écrit : "Un jour la vérité éclatera au grand jour... et vos bureaux aussi, je l'espère, par la même occasion." De l'autre, "Cheikh Yassine" tonne : "Soyez certains que nous vous frapperons là où ça fait le plus mal !" Il y a pire, hélas !
Il serait vain de se satisfaire de cet équilibre de l'injure et de conclure que, se faisant honnir des deux bords, le journal a donc une juste position sur cette guerre. Ces courriers, par leur excès même, s'annulent. Cela, par parenthèse, explique que LeMonde.fr, comme la plupart des sites d'information, n'a pas ouvert ses articles aux réactions des lecteurs -, qui nous le reprochent.
Le comptage strict n'a guère plus de sens. Certes, une large majorité de lecteurs (plus de trois sur quatre) défendent les Gazaouis et nous reprochent une indulgence excessive vis-à-vis d'Israël. Mais le courrier ne vaut pas sondage, et, en temps de guerre médiatique, les groupes de pression faussent la donne. La médiation n'a pas pour objet de départager les uns et les autres, seulement de prendre en compte les remarques les plus pertinentes afin de pousser la rédaction à un salutaire exercice d'introspection.
Les plus graves critiques portent sur deux éditoriaux publiés au tout début du conflit. "Dans l'éditorial "Gaza angle mort", le 26 décembre, j'ai lu le bout de phrase suivant : "... aux tirs de roquettes palestiniens sur Israël (...) qui entrent dans la catégorie des crimes de guerre..." Je me suis demandé si j'avais bien lu, remarque Colette Georges (Rochefort-du-Gard, Gard). Il y a hélas eu mieux ! Dans l'éditorial du 30 décembre intitulé "Un bain de sang inutile", vous avez osé écrire : "... aux tirs de roquettes qui arrosent le territoire d'Israël depuis un mois (...). Que ces tirs, visant des zones civiles, constituent autant de crimes de guerre ne fait de doute pour personne..." Le thème est le même : une condamnation unilatérale du Hamas ! Mais cette fois vous désinformez. En effet, le territoire israélien n'est pas "arrosé" par des roquettes puisque celles-ci ne franchissent que de courtes distances."
Remarque similaire d'Henri Saviot (Lagos, Pyrénées-Atlantiques), à propos du deuxième éditorial, maladroitement titré "Un bain de sang inutile" (un bain de sang peut-il être utile ?) : "Ces tirs de roquettes inadmissibles ont fait 2, 3, peut-être 4 morts, et un nombre équivalent de blessés : c'est un "crime de guerre" (7e ligne). Qu'une puissante armée fasse en réplique 300 à 400 morts, des milliers de blessés : c'est "l'attaque la plus meurtrière" (ligne 22). Si par malheur notre beau pays a un ennemi, je souhaite que ce dernier se contente de "crimes de guerre" et surtout pas d'"attaques meurtrières.""
Dans le même numéro du 30 décembre, un titre de "une" - "Que peut vraiment Israël face aux islamistes du Hamas ?" - a aussi choqué. "En assimilant le Hamas à ses islamistes, le coupable paraît plus facile à désigner. Aurait-on pu titrer : "Que peut vraiment l'Etat (?) palestinien face à l'extrême droite d'Israël ?", remarque Jacques Couffignel (Bor-et-Bar, Aveyron). Le choix, en ces temps de folie meurtrière, aurait simplement mérité une délicatesse d'écriture."
Autre reproche adressé au journal, cette fois par les supporteurs d'Israël : celui d'en "faire trop", sur Gaza. Trop d'articles, trop de "photos dégoulinantes de sang et de souffrance" (François Chevaleyre, Orly, Val-de-Marne). Ainsi David Haddad (courriel) remarque : "Israël compte 5 millions d'habitant. En additionnant la Palestine, ça fait environ 10 millions d'habitants. Au maximum, cela représente environ 0,2 % de la population mondiale pour un territoire grand comme la Corse... Pourtant, en ce moment, vous consacrez à ce sujet 50 % de vos articles d'information internationale."
Dans le même temps, nombre de lecteurs regrettent que nous ayons sous-traité (une brève) les manifestations de soutien qui se sont déroulées dans le monde au cours du week-end des 3 et 4 janvier...
Tollés contradictoires encore après la publication, les 6 et 7 janvier, dans les pages "Débats", de deux tribunes. L'une, [d'André Glucksmann, intitulée "Une riposte excessive ?", a soulevé l'indignation->17201]. Faute de place, il nous est impossible de citer ici les très nombreux argumentaires contraires - sans compter les qualificatifs peu aimables adressés à l'auteur. La seconde opinion, de Dominique Eddé, intitulée "Logique de purification ethnique à Gaza", a fort logiquement scandalisé le camp adverse.
Seule (et maigre) consolation : sur les 118 articles consacrés à ce conflit depuis deux semaines, quatre seulement concentrent le maximum de critiques. Pour le reste, il s'agit surtout de remarques de détails, témoignant de la passion avec laquelle nos lecteurs ont épluché le journal, lisant tout, jusqu'aux brèves, légendes, cartes, courriers, etc. Notons aussi que les informations sont très peu contestées, l'essentiel des griefs portant sur les opinions - ce qui témoigne de l'intolérance croissante des lecteurs vis-à-vis de tout ce qui ne va pas dans leur sens.
Merci enfin à Maurice Hommet (Vigneux-sur-Seine, Essonne), seul lecteur à se déclarer satisfait : "Certains accusent Le Monde de parti pris pro-israélien. Je ne ressens pas un déséquilibre aussi marqué. Beaucoup d'articles dans la partie "Débats" reflètent la diversité des opinions (...). Une relation des faits est à ce jour cruciale. Un tournant géopolitique apparaît : l'utopie du "Grand Israël" a vécu et il faudra bien donner une terre et un état viable aux Palestiniens."
Courriel : médiateur@lemonde.fr
Véronique Maurus
Chronique de la médiatrice
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé