La fin du fédéralisme rentable

Gare au gorille...

Le gorille de 400kg que les fédéralistes voulaient nous cacher

Chronique de Richard Le Hir


Les Américains ont une expression imagée pour parler d’un sujet très important dont personne ne veut reconnaître l’existence. C’est le « 800 pound gorilla in the room ».
Figurez-vous donc que la crise financière de 2008 a justement eu pour effet d’envoyer choir un gorille de 400 kg sur les genoux du gouvernement fédéral et des provinces qui menace même la survie du pays, s’il faut en croire une étude réalisée par le professeur Tom Courchesne de l’Université Queen’s, un éminent spécialiste des relations fédérales-provinciales.
C’est du moins ce que rapporte le National Post ce matin dans un article qui ébranle sérieusement les colonnes du fédéralisme canadien et dont on imagine facilement qu’il ait pu être publié à contrecoeur et la mort dans l’âme.
Lisez bien (caractères gras du soussigné)

TORONTO — In just three years, Ontario has become the second-largest recipient of equalization payments in the country, with $2.2-billion set to flow into its “have-not” coffers this year.
Only Quebec, which takes in $7.8-billion in such payments, receives more.
More ominously, Ontario’s burgeoning take threatens to destabilize Confederation, says one of the country’s leading academics, by creating problems for Quebec, Manitoba and the Atlantic provinces.
Tom Courchene, an economist at Queen’s University and a senior scholar at the Institute of Research on Public Policy says those other have-not provinces will find themselves increasingly squeezed out of a fixed pot of equalization money as Ontario takes a bigger share of the pie.
Federal equalization payments to Ontario have risen 534% in the two years since the province received its first payment. The program has been capped at Canada’s GDP growth since 2009.
Courchene says, that as a result, a “crowding out” effect will make flaws in the oft-criticized federal program harder to ignore.
“The poorer Ontario is, the less other provinces are going to get,” he says. “It’s a big issue and it’s going to get bigger.”
Matthew Mendelsohn, director of the Mowat Centre for Policy Innovation, says Ontario’s growing equalization take will likely cause tension between recipient provinces and the federal government.

Des tensions ? Quel bel euphémisme ! Regardez bien la chicane « pogner » dans les mois qui viennent !
Pour ceux d’entre vous pour qui ce développement constituerait une nouvelle, je me permets de vous citer un de mes articles publiés ici même sur Vigile le 26 mars 2010, soit il y a plus de quinze mois, au lendemain du dépôt du budget ontarien 2010 – 2011 :

Les malheurs de l’Ontario
La nouvelle donne change complètement la dynamique du système


Jour de budget hier en Ontario. À voir le peu de cas que semble en faire le Globe and Mail aujourd’hui, on pourrait croire qu’il ne s’est rien passé. À peine une chronique de Jeffrey Simpson pour signaler l’événement. Mais quelle chronique ! Intitulée « Ontario lifted Canada up. Now it’ll drag it down » , on y lit en filigrane l’incroyable portrait du déclin de la province qui était encore il y a peu le moteur de l’économie canadienne. Et la conclusion de Simpson est tellement noire que je risquerais de me faire taxer d’exagérer si je ne le citais pas au mot « The crumbling of Ontario, in other words, will continue. No sympathy will be found outside the province for its plight, but the repercussions will be felt across the country. » Crumbling, l’effritement !
L’Ontario en train de s’effriter ! On croit rêver. C’est pourtant exactement la situation que je vous ai annoncée dans deux textes diffusés sur Vigile le mois dernier : « Attention, M. Charest ! La Reine est toute nue », et « Terminus : Tout l’monde descend ! » Ne me manquait que la confirmation du Canada anglais de la justesse de mon analyse. Avec la chronique de Jeffrey Simpson, c’est maintenant chose faite. Et soyez assuré que lorsqu’il recevra un petit appel d’Ottawa pour lui souligner l’usage que les indépendantistes québécois peuvent faire de ses propos stratégiquement inopportuns, il reviendra sur ses propos pour tenter de les atténuer. C’est en fait comme ça que les choses se passent dans ce « beau » pays qu’on voudrait tant à Ottawa qu’il soit aussi le nôtre.
Mais revenons sur les chiffres du budget ontarien pour tenter de comprendre un peu mieux ce qui se passe. Après un déficit pour l’année en cours qui avoisine les 21 milliards, le ministre des Finances de l’Ontario, avec ses lunettes les plus roses, prévoit une accumulation de déficits pour un total de plus de 100 milliards au cours des six prochaines années. Et il s’agit de prévisions auxquelles les observateurs informés n’accordent aucune crédibilité car elles reposent sur des hypothèses beaucoup trop optimistes quant à l’évolution des taux d’intérêt, au rythme de progression des dépenses de santé, à l’inflation, à la capacité de la province de contrôler les salaires de sa fonction publique, à la capacité du gouvernement fédéral de maintenir ses transferts aux niveaux actuels, pour ne nommer que les facteurs les plus importants.
D’ici trois ou quatre ans seulement, le fardeau de la dette de l’Ontario en proportion de son PIB aura rejoint le niveau de celui du Québec. Dans un tel contexte, on peut facilement comprendre que tous les avantages de l’Ontario sur le Québec vont fondre comme neige au soleil, et que le Québec se trouvera alors en bien meilleure position que l’Ontario du fait de son hydro-électricité alors que l’Ontario sera prise avec son éléphant blanc du nucléaire.
En fait, et on la voit maintenant foncer sur nous comme un autobus, la prochaine crise du système fédéral sera celle de la capacité d’Ottawa, dans le contexte de la crise financière dont le début remonte à 2008, de maintenir les transferts aux provinces. En 2008-2009, l’Ontario a reçu un peu plus de 16,5 milliards, et ce chiffre n’incluait aucune somme au titre de la péréquation. En 2010, le montant ses transferts fédéraux à l’Ontario atteindra les 23 milliards si le fédéral est en mesure de maintenir son effort au niveau actuel, ce qui dépendra largement de la conjoncture des prochains mois. Vu le degré d’inter-relation de l’économie ontarienne avec l’économie américaine (80%), toute lenteur ou simplement langueur dans la reprise aux États-Unis aura des conséquences très graves sur la croissance au Canada. Et il existe maintenant des signes que ce sera le cas.
Dans les années qui viennent, la preuve de la rentabilité du fédéralisme va être très difficile à faire, et la preuve de sa non rentabilité va être beaucoup plus facile à faire. C’est aussi la fin du chantage à l’exode, car la vie ne sera pas plus facile ailleurs. En fait, elle pourrait même l’être moins, si l’on en juge par le renversement de négatif à positif du solde migratoire interprovincial depuis deux ou trois ans. Quand je dis que la conjoncture ne sera jamais meilleure pour que le Québec devienne indépendant, c’est de ça que je parle. J’espère qu’il y a quelqu’un qui m’entend.

Et le pire des scénarios que j’évoquais alors est justement en train de se réaliser :

« Vu le degré d’inter-relation de l’économie ontarienne avec l’économie américaine (80%), toute lenteur ou simplement langueur dans la reprise aux États-Unis aura des conséquences très graves sur la croissance au Canada. Et il existe maintenant des signes que ce sera le cas. »

Comprenez bien que je ne cherche pas à monter en épingle mes talents de prévisionnistes. Le raisonnement que j’ai fait à cette époque était à la portée de toute personne raisonnablement informée de ces questions. Vous pouvez donc être assurés que le gouvernement fédéral le savait et que tous les gouvernements provinciaux, y compris le nôtre, le savaient aussi.
Vous comprenez donc que cette question a été délibérément laissée dans le noir lors de la dernière campagne fédérale, et ça vous permet de comprendre à quel point le Bloc Québécois dormait « sur la switch ». Et le PQ, le nez collé à terre sur des bébelles d’amphithéâtres au lieu de l’avoir sur les véritables enjeux, risque de subir le même sort.
Ce n’est pas parce que l’enjeu de la péréquation n’est pas « sexy » qu’il n’est pas le plus déterminant de tous. Depuis le temps qu’on nous bassine avec le fédéralisme rentable…
Alors non seulement le fédéralisme ne sera plus rentable, mais en plus il faudra se farcir Harper ! Vous en voulez des claques ?


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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    21 juillet 2011

    J'ai quelques textes dans la banque sur les malheurs de l'Ontario
    http://www.vigile.net/Le-21e-siecle-ne-sera-pas-ontarien
    http://www.vigile.net/Quebec-7-Ontario
    http://www.vigile.net/Le-mythe-du-Quebec-pauvre-10

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juillet 2011

    Monsieur Le Hir
    I ne s'agissait pas pour cette partie de mon commentaire de votre texte mais de celui de Frederic Picard.
    "Car la seule solution serait de déconnecter le dollar Québécois du dollar canadien. C’est en soit une hérésie pour les fédéralistes et les souverainistes. (Pas pour les indépendantistes, toutefois)."
    Reste que le fait de ne pas posséder sa propre monnaie permet peu d'assurer la souveraineté d'un état. Voir le Guatemala qui utilise le dollar us. En ce qui concerne l'Europe le problème n'est pas tant l'euro lui-même que l'impossibilité pour les pays-membre d'effectuer des dévaluations autres que monétaire, car rien n'a été prévu pour ceci dans le traité de Lisbonne.
    Je suis d'accord avec Pierre Cloutier émettre de la monnaie est un pouvoir régalien qui ne peut-être laissé à personne, et franchement un Québec indépendant soumis au diktat de la Banque du Canada ca fait un peu désordre...

  • @ Richard Le Hir Répondre

    20 juillet 2011

    Réponse au Sapeur Camember
    Jusqu'ici, je croyais que le Sapeur Camember était le personnage principal d'une vielle bande dessinée rigolote, mais à vous lire, je commence à me demander si vous n'êtes pas un martien.
    Il faut en effet venir de loin pour ne pas savoir qu'il n'a jamais été question pour un Québec indépendant de se doter de sa propre monnaie. Et d'ailleurs, mon texte ne fait aucune mention de cette possibilité.
    Au début, le dollar canadien fera l'affaire, et cet état de fait fera l'affaire des Canadiens qui en seront les premiers ravis. Plus tard, c'est à voir, et l'on peut en dire autant de tous les pays européens aujourd'hui face à l'euro. Bien malin en effet celui qui saurait ce que l'avenir nous réserve dans le contexte actuel.
    Comme le disent si bien les Anglais, "Let's wait and see", et arrêtez de jouer aux incendiaires, sinon nous serons obligés de nous demander si vous êtes de bonne foi.
    Richard Le Hir

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juillet 2011

    J'ai un peu de mal à comprendre cette disons....joie a la suite de l'énoncé des malheurs de nos voisins ontariens. Le principal client du Québec étant l'Ontario, rien de ce qui se passe là-bas ne peut nous être indifférent.
    Les industries manufacturières canadiennes et québécoises vont être obligées de se délocaliser car elles paient pour un "pétro-dollar" canadien (besoin d'avoir des dollars canadiens) pour acheter du pétrole canadien à la hauteur de 250.000.000 de dollars chaque jour !!!
    A noter que la baisse du dollar US (-35 %) les 2 dernières années ne peut aider la cause du dollar canadien et je soupconne la banque centrale canadienne de vendre du dollar canadien pour éviter que le cours de celui-ci n'explose.
    Je ne vois pas en quoi un dollar québécois, à la condition de pouvoir le créer et si il s'établit comme une monnaie crédible, pourrait améliorer la situation car une dévaluation de fait, si elle permet d'améliorer la compétitivité à l'exportation aurait la conséquence immédiate de faire exploser les déficits qui sont encore libellés...en dollars canadien, sans compter l'inflation (produits alimentaires, importations, etc.)
    Si la FED aux Etats-Unis décide de démarrer un QE3 (Quantitative Easing, imprimer de la monnaie...), le QE2 étant maintenant terminé, on peut facilement imaginer que l'inflation monétaire qui va s'en suivre n'arrangera en rien le cours du dollars.
    Le modèle québécois de PME/PMI se trouvera en difficulté et je ne vois aucune raison pour que par miracle, il passe a travers l'orage...

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juillet 2011


    Il ne restera plus à Jean Charest qu'à laisser tomber le
    "fédéralisme rentable" pour le remplacer par l'autonomie
    québécoise plus rentable.
    La question est: jusqu'ou ira cette "autonomie"?
    JRMS

  • Frédéric Picard Répondre

    20 juillet 2011

    L'Ontario et le Québec sont doublement affectées par le fédéralisme canadien. L'Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve produisent des quantités non-négligealbes de pétrole. Pétrole acheté par des américains. Les américains achètent donc des dollars canadiens pour payer le précieux liquide.
    Résultat: Le dollar canadien augmente
    En contrepartie, les entreprises manufacturières, qui comme le nom le dit, nécessitent de la main d'oeuvre, misaient autrefois sur des salaires bas (en dollars à 70 sous américains). Aujourd'hui, ces entreprises manufacturières ont perdu leur compétitivité. Elles ne peuvent tout simplement pas compétitionner pour un bien qu'elle vendaient il y a à peine 5 ans 85 sous et qu'elles doivent vendre 1.05 aujourd'hui. Or ces entreprises sont au Québec et en Ontario.
    C'est ce qu'on appelle en économie la maladie Hollandaise. Contrairement à la Hollande, le pétrole est concentré géographiquement dans une, voir 3 provinces au maximum. Ces trois provinces ont donc des économies florissantes, monoindustrielles et font augmenter la valeur du dollar. Le Québec, l'Ontario et les maritimes (exception de Terre-Neuve) elles, font plonger le dollar. Résultat: Un dollar trop abaissé pour l'Alberta qui surchauffe et doit payer ses plongeurs à Fort McMurray 22$ de l'heure...
    Un dollar trop remonté pour les exportateurs Ontariens ou Québécois, qui ferment les uns après les autres.
    Il est là le Gorille, à mon avis. Tout le monde le voit, personne ne fait rien, idéologiquement, parce qu'on refuse de voir les choses de face. Un peu comme l'Euro, on laisse le dollar canadien s'enfoncer petit à petit par idéologie (fédéraliste). Car la seule solution serait de déconnecter le dollar Québécois du dollar canadien. C'est en soit une hérésie pour les fédéralistes et les souverainistes. (Pas pour les indépendantistes, toutefois).

  • Pierre Cloutier Répondre

    20 juillet 2011

    [1] C'est justement le temps d'ici là de préparer et de présenter à la population un projet de pays en vue des prochaines élections.
    [2] C'est justement le temps de jeter aux poubelles le "projet de province" du Plan Marois.
    [3] La farce a assez duré. Un peu de courage, que Diable!
    [4] Le PQMarois a beaucoup nui au Bloc avec sa "chouveraineté ronronnante et mollassonne" au lieu de prendre le taureau par les cornes et profiter de la déconfiture du Canada.
    [5] On ne va pas attendre que le Canada implose pour en sortir. Cela, c'est de la lâcheté.
    Pierre Cloutier

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    20 juillet 2011

    Le Canada anglais, au lieu de créer pour lui-même son propre modèle économique, a préféré s'asseoir, disons, dans une situation relativement confortable, de vassal. Une économie étant une sorte de sous-États-Unis d'Amérique.
    Ils en paient maintenant le prix.
    Le Québec, notamment, a été bien moins touché par la récente crise économique américaine, justement grâce à ce modèle québécois, tant conspué par Johnny Charrue et les radios-poubelles de Québec. Et la stupide organisation «Liberté Québec», du petit journaleux qui joue au droitiste néo-conservateur américain, Éric Duhaime.
    Apprécions donc un peu ce que nous avons, grâce aux efforts du temps de la Révolution tranquille, au lieu de rêver bêtement de se jeter dans la gueule du loup, en tant que Québécois!