La réforme d’un mode de scrutin est probablement la promesse moins bien respectée au Québec depuis 50 ans. Déjà en 1970, le PQ de René Lévesque la promettait avant de la renvoyer aux calendes grecques au début des années 80.
Ces temps-ci, c’est au tour de la CAQ de jongler avec cette patate chaude. Essayer de réformer un système qui t’a propulsé au pouvoir, c’est une mission compliquée, voire impossible.
Beaucoup voient la réforme du mode de scrutin comme une occasion de régler tous les problèmes de confiance et de représentativité envers la politique. Un genre de coup de baguette magique.
En théorie, l’idée est bonne : chaque vote aurait un impact similaire sur la représentativité à l’Assemblée nationale. Le vote péquiste dans le comté Westmount-Saint-Louis –– ou le vote libéral dans Matane-Matapédia aurait un effet sur le nombre de sièges distribué à chaque parti. Ça, c’est le bon côté de la réforme.
En pratique, c’est autre chose. La réforme du mode de scrutin comporte son lot d’angles morts desquels il faut aussi débattre.
1. La venue de partis politiques indésirables
Un des principaux arguments pour passer du système uninominal à un tour vers une proportionnelle mixte est d’assurer une représentation plus juste des plus petits partis à l’Assemblée nationale. Que chaque force politique soit représentée à Québec lorsqu’il dépasse un score plancher. Les récentes discussions tournaient aux alentours d’un score 5% pour avoir un siège.
Voilà où se pointe le danger : si un groupe comme La Meute réussissaient à dépasser le plancher, ne seriez-vous pas inquiet de leur entrer dans notre assemblée ? Aux dernières nouvelles, le groupe « La Meute » comptait encore plusieurs dizaines de milliers d’adhérents sur Facebook.
Certes, on a souvent répété que la dernière campagne électorale québécoise n’a pas eu grand-chose à nous faire rêver, mais elle a eu au moins le mérite de ceci : jamais les idées racistes, sexistes et xénophobes n’ont trouvé un réel relai dans les partis politiques.
Ne l'oublions pas : ce sont les systèmes proportionnels ont permis l’entrée des partis d’extrême droite dans les différents parlements européens. C'est une fois installés dans les parlements que ces partis sont devenus des forces crédibles et respectables pour l’électorat. La rentrée au parlement français du Front national s'est justement produit à la suite d’un changement de scrutin à l’élection de 1986. On connaît la suite.
2. Ce n’est pas vrai que la participation électorale augmente systématiquement
C’est probablement le mythe le plus ancré : la participation électorale augmente lorsque les électeurs sont appelés à un scrutin proportionnel. Ça devrait être la logique même, puisque tous les votes auraient maintenant un sens.
Or quand on analyse les publications politiques à ce sujet, le type de scrutin a peu d’incidence sur la participation électorale.
L’Allemagne, l’Israël et le Pays-Bas, des pays avec un scrutin proportionnel, sont tout autant été touchés par la baisse de la participation électorale dans les dernières années. Les seuls pays dont les taux de participation sont demeurés élevés sont ceux où le vote est obligatoire. Voilà là un chantier que nous devrions peut-être explorer. *
3. Les deux classes de députés
Le plus récent scénario proposé par la ministre de la Justice, Sonia Lebel, s’appuierait sur les délimitations des 78 circonscriptions fédérales, en plus d’en ajouter deux pour les Îles-de-la-Madeleine et Ungava. Autrement dit, 80 candidats seraient élus au suffrage universel et 45 autres proviendraient de listes.
Les questions maintenant : qui sera sur cette liste ? Qui décidera de l’ordre de priorité des listes ? Comment seront-ils élus ? Quels électeurs représenteront-ils ?
Les « candidatures de listes » ne deviendraient-elles pas l’apanage des candidats-vedettes, qui ne seraient élues seulement si leur parti faisait un score avantageux ? On privatiserait donc l’élection de certains députés en créant deux classes d’élus, ceux élus par les listes et ceux élus directement par la population.
4. Représentativité des régions
On l’oublie souvent, mais le travail d’un ou d’une députée ne consiste pas seulement à siéger à l’Assemblée nationale et à poser une question de temps en temps au Salon bleu.
Les députés font un travail de terrain pour intervenir sur des enjeux de leur circonscription et par la suite agir comme un relai à Québec. Ça ne fait peut-être pas le clip médiatique, mais le travail de représentation que font les députés pour modifier des projets de loi est nécessaire.
En diminuant le nombre de comtés et donc en les agrandissant, c’est justement ce travail de représentation qui pourrait être affecté.
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Ces réserves sur la réforme du mode de scrutin ne doivent pas être interprétées comme l’apologie de notre système actuel. Il est vieux, imparfait et surtout perfectible.
Il s’agit peut-être en contrepartie d’un mal nécessaire.
*Source : « Panorama de la société 2016, indicateurs de la cohésion sociale » par l’OCDE