L'encadrement des élus municipaux

Éthique : un projet incomplet

Éthique et politique

Les citoyens se méfient des politiciens en général et des élus municipaux en particulier. Les scandales qui ont secoué l'hôtel de ville de Montréal au cours des derniers mois leur ont fourni des raisons supplémentaires de douter de la probité de leurs élus. Pour dissiper le cynisme ambiant, Québec a décidé de mettre un peu d'ordre dans les règles qui encadrent le monde municipal.
Dans son rapport sur l'éthique en milieu municipal rendu public mardi dernier, le groupe de travail dirigé par Florent Gagné propose une série de mesures pour encadrer la conduite des élus. Les codes d'éthique, les règles de conduite et la menace de sanctions vont-ils éradiquer les comportements douteux et contestables de certains élus municipaux? Rien n'est moins sûr, estiment plusieurs spécialistes de l'éthique.
Ancien directeur général de la Sûreté du Québec et ex-sous-ministre au sein de plusieurs ministères, Florent Gagné suggère l'adoption de codes d'éthique pour chacune des 1109 municipalités au Québec, la création de postes de commissaires à l'éthique pour les grandes villes et les municipalités régionales de comté (MRC) ainsi que l'imposition de sanctions pour les élus et les entrepreneurs qui contreviennent aux nouvelles règles de conduite.
Des scandales récents survenus à Montréal ont tourné les projecteurs sur l'éthique et provoqué subitement un état d'urgence dont il fallait s'occuper sans tarder. La bougie d'allumage de tout ce branle-bas: les vacances de l'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Frank Zampino, sur le yacht de Tony Accurso sous le soleil des Caraïbes. Tony Accurso, faut-il le rappeler, est propriétaire de Simard-Beaudry, l'entreprise qui, avec la firme Dessau, a décroché le contrat des compteurs d'eau de 356 millions de dollars au sein du consortium Génieau.
L'épisode Zampino a fait beaucoup de bruit, mais les villes québécoises, petites ou grandes, ne sont pas à l'abri des conflits d'intérêts, apparents ou évidents, de la corruption et du copinage. Ancien éditorialiste à La Presse, Pierre Gravel occupe depuis 2004 le poste de conseiller en éthique à la Ville de Longueuil. «Au niveau municipal, il y a un rapport de proximité qui vient obscurcir ces notions qui paraîtraient beaucoup plus claires dans une grande ville ou à Québec», explique-t-il. Selon lui, il est facile pour un ministre ou un sous-ministre de reconnaître un lobbyiste, mais pour l'élu municipal d'une petite ville, le «service» demandé par une vieille connaissance rencontrée par hasard peut ne pas être perçu comme du lobbyisme.
Les rats et le fromage
Malgré les perceptions négatives, le monde municipal n'est pas aussi corrompu que les citoyens peuvent le croire, a tout de même affirmé Florent Gagné mardi. «On n'est quand même pas au Québec dans une situation de corruption généralisée. La démocratie municipale est très saine, bien vivante et encadrée par des lois relativement bien formulées. Mais là comme ailleurs, tout n'est pas parfait.»
Cette affirmation fait bondir Jean-Claude Leclerc, professeur en journalisme et chroniqueur en éthique et religion au Devoir. «C'est une farce monumentale parce que les gens ne vont plus voter», lance-t-il en évoquant le taux de participation famélique aux élections municipales de 2005. «Si la démocratie était si saine et si vivante, on n'aurait pas besoin de codes d'éthique. Mais l'absence de démocratie fait que les rats sont dans le fromage. Là, on veut poser des trappes, mais on n'ose même pas le dire.»
Son jugement à l'égard du rapport de M. Gagné est lapidaire. Il est inconcevable à ses yeux qu'on demande à ceux qu'on veut surveiller d'établir eux-mêmes les règles. Le groupe de travail qui planchera sur le projet de loi promis par Québec est composé des représentants des villes et ce sont les conseils municipaux eux-mêmes qui rédigeront leurs codes d'éthique, qui nommeront leur commissaire à l'éthique, qui jugeront de la culpabilité de l'un de leurs membres et qui imposeront les sanctions aux fautifs. «On demande aux conseils municipaux d'agir comme un tribunal alors qu'ils sont des foires d'empoigne partisanes», signale M. Leclerc.
Différents codes ?
De même, Jean-Claude Leclerc comprend mal le concept d'autonomie que le rapport de Florent Gagné applique à l'éthique. Pourquoi la Ville de Sherbrooke aurait-elle un code d'éthique différent de celui de Montréal ou de Saint-Grégoire? Selon lui, les élus doivent être aussi honnêtes dans un village que dans une grande ville. «Il est certain que la conscience individuelle a un rôle à jouer en éthique, mais si on mise seulement là-dessus et non sur des mécanismes de sanctions, tous les gens honnêtes vont respecter les règles et tous les bandits vont continuer de s'y soustraire», résume-t-il.
Le verdict de l'avocat Julius Grey à l'égard du rapport de M. Gagné est beaucoup moins sévère. À son avis, les recommandations formulées par le groupe de travail constituent un pas dans la bonne direction. Mais elles comportent tout de même d'importantes lacunes. Pour lui aussi, l'idée de confier au conseil municipal le soin de décider du sort d'un élu pris en faute apparaît inconcevable, car seul un scandale étalé sur la place publique pourra convaincre les élus de sévir contre un des leurs, dit-il.
Les sanctions et une institution indépendante et crédible pour les imposer deviennent alors indispensables. «Un code d'éthique en soi a besoin de dents, insiste-t-il. Les bonnes intentions, on les a toujours eues. Il n'y a jamais eu une époque où on disait que nos politiciens, fédéraux, provinciaux ou municipaux, avaient le droit de faire tout ce qu'ils voulaient.»
Les recommandations de Florent Gagné ont été accueillies avec enthousiasme par les représentants des villes et le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard. Ces mesures, ont-ils dit en choeur, sont susceptibles de rétablir la confiance des citoyens. Le ministre a d'ailleurs promis d'y donner suite rapidement en faisant adopter une loi en 2010.
Les lois, c'est bien beau, mais les principes d'éthique s'appliquent dans un champ plus large qui devient d'ordre moral, rappelle Pierre Gravel. «Ce n'est pas parce que ce n'est pas interdit que c'est bien», dit-il. À titre de conseiller en éthique, les élus et les cadres de Longueuil peuvent le consulter lorsqu'ils sont confrontés à une situation potentiellement embarrassante. Les problèmes sont parfois complexes,
mais dans d'autres cas, les dilemmes se règlent rapidement.
À un élu qui lui demandait s'il pouvait accepter une invitation pour assister à un match du Canadien dans la loge d'une firme d'ingénieurs même si aucun contrat n'était en jeu, M. Gravel lui a répondu: «S'il y avait un photographe du Journal de Montréal qui vous prenait en photo avec un verre à la main et que vous étiez certain que la photo allait paraître le lendemain, iriez-vous?»
Assurément, l'éthique constituera un thème de choix lors de la campagne électorale de l'automne. Et comme s'est plu à le rappeler Gilles Vaillancourt, maire de Laval, plus tôt cette semaine, la plus grande sanction en matière d'éthique, c'est le verdict des citoyens à l'occasion des élections.


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