Est-il encore possible de débattre au Québec?

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L'émotivité empêche tout débat rationnel


Le Québec ne sait plus débattre...  


Est-on encore capable de débattre au Québec? Est-il possible de discuter avec des gens avec qui on est en désaccord sans que cela finisse en foire d’empoigne? En insultes?    


J’ai de sérieux doutes là-dessus. Et chaque jour qui passe ajoute à mon scepticisme.    



Ensaf Haidar

AFP

Ensaf Haidar




Le cas «Ensaf Haidar»  


Si la conjointe de Raif Badawi a longtemps prêché par la discrétion, cette époque est manifestement révolue! De ça j’ai déjà traité ici. Je suis de ceux qui croient que c’est une bonne chose que Ensaf Haidar intervienne sur la place publique, qu’elle opine dans nos débats.   


La semaine dernière, quand La Presse, par la plume du journaliste Marc Thibodeau, a publié un texte qui liait Mme Haidar à un auteur «extrémiste», j’ai durement critiqué la chose. J’ai même traité ce texte de «torchon».    


Je maintiens ce que j’ai écrit. En lisant ce texte, j’avais l’impression de lire Xavier Camus. La culpabilité par association. Surtout, dans le texte de Thibodeau, on référait à deux organisations très douteuses afin de qualifier l’auteur Spencer «d’extrémiste».    


Il s’agit du Southern Poverty Law Center (SPLC) et du Council on American-Islamic Relations (CAIR). Le Washington Post, loin d’être la dernière des feuilles de chou, a été très critique du SPLC, un organisme qui a perdu toute crédibilité selon lui, allant même jusqu’à le qualifier «d’organisation haineuse».    


Toute proportion gardée, c’est comme si on tentait de faire de l’organisation d’Adil Charkaoui une source crédible dans un texte. Gros doutes.    


Dans le cas de CAIR, le FBI l’a associé dans le passé au financement d’organisations terroristes...    


Bref, La Presse s’appuyait, selon moi, sur des sources très, très inclinées idéologiquement pour faire le procès d’une rencontre d’Ensaf Haidar, surtout sans relater l’autre côté de la médaille quant à ces deux groupes.    


On peut débattre de ça. Des gens ont écrit des trucs pour justifier la position avancée dans La Presse, d’autres ont critiqué avec véhémence.    


Aucun problème avec ça.    



Patrick Lagacé

PHOTO D'ARCHIVES, AGENCE QMI

Patrick Lagacé




Par exemple, Patrick Lagacé a publié un texte où il émettait de gros doutes et posait quelques questions – légitimes selon moi – quant à la stratégie de relation publique d’Ensaf Haidar, notamment en ce qui a trait à son combat principal, la libération de son mari Raif Badawi.   


Encore une fois, on peut en débattre. Personnellement, j’étais et je demeure en désaccord avec le point de vue de Lagacé.    


Est-ce que ça fait de lui mon ennemi à abattre et dois-je le frapper d’une fatwa idéologique pour autant? Non.    


Je respecte Patrick Lagacé, je l’ai souvent écrit. Ce journaliste, qui jouit de tribunes importantes, et des responsabilités que cela implique, s’est mouillé dans le passé; il a confronté l’ex-ministre Sam Hamad pour le meilleur intérêt public, il a posé des questions cruciales sur la corruption et la collusion – notamment l’indépendance du système judiciaire, etc.   


Il arrive que je cite ces textes-là de Lagacé, je les trouve pertinents.   


Cette fois-ci, j’étais en désaccord, je l’ai exprimé sur mes réseaux sociaux :    


« J'ai lu le texte de Patrick Lagacé ce matin et j'aimerais ajouter ceci...  


En 2017, quand l'ambassadeur saoudien avait envoyé promener le Canada en lui disant de se mêler de ses affaires en réponse aux préoccupations de la ministre des Affaires étrangères concernant l'emprisonnement de Raïf Badawi, la porte-parole d'Amnistie internationale avait dit ceci :  


«Selon Amnistie internationale, cette nouvelle rebuffade saoudienne prouve que le Canada - en particulier son premier ministre - doit «intensifier ses efforts» pour faire libérer le blogueur.  


Car les pressions exercées en coulisses «de façon à ne pas froisser les autorités saoudiennes» n'ont «de toute évidence pas porté fruit», a fait valoir la porte-parole Anne Sainte-Marie.»  


J'ai de sérieux doutes quant aux canaux conventionnels comme moyen de faire libérer le mari d'Ensaf Haidar. Des appuis de dirigeants qui se sont dits sympathiques à sa cause, Ensaf Haidar en accumule depuis des lunes. Cela ne change rien à l'intransigeance des barbares saoudiens.  


C'est le propre des régimes dictatoriaux de se câlisser bin raide des canaux conventionnels de la diplomatie. Combien ont cessé de vendre armes aux Saoudiens en représailles des atrocités commises au Yémen?  


Ensaf Haidar a longtemps usé de discrétion, cela ne lui a pas apporté beaucoup de réconfort. Elle sort les griffes et dénonce les travers de ceux qui lui ont volé son mari, leur délétère idéologie, exportée de par le monde, ne l'oublions pas.  


Elle mérite notre appui.  


(PS : avant de taper sur Patrick Lagacé, j'invite à consulter les références de son texte. C'est la bonne manière de procéder. J'en ai partagé d'autres concernant Spencer, et ceux qui le qualifient «d'extrémiste». La réalité s'exprime le plus souvent en teinte de gris et non en noir ou blanc.)»   


Depuis, sur les réseaux sociaux, ces formidables déversoirs de haine et de mépris trop souvent, les choses ont dégénéré.    


Spenser qui traite Lagacé de «fasciste», les détracteurs, nombreux semble-t-il, d’Ensaf Haidar qui ont répliqué à coup d’accusations de racisme et d’islamophobie, évidemment.    


Je me suis mis à avoir des doutes sur Spencer, sur la manière de réagir d’Ensaf Haidar aussi. En même temps, à la suite du texte initial de La Presse, la conjointe de Raif Badawi a reçu des menaces, elle a eu sur le dos la gang de Camus, et reçu la condamnation du groupe de Charkaoui...   


Rien pour élever le débat.   


Et la marde a pogné. De la grosse marde laide de réseau social.    


Autant retourner à l'époque des discussions de taverne. T'as le goût d'une bière Pat?   


Pour le collectif Démantèlement tranquille, j’ai fait appel à Marie-France Bazzo car j’avais beaucoup aimé sa perspective quant à notre difficulté à débattre. Le mot de la fin lui revient, puisé de son texte dans ce collectif :    


«Le débat est un formidable outil démocratique. C’est un muscle. Sauf qu’au moment où nous en aurions eu besoin pour défendre des valeurs auxquelles nous tenons, nous nous rendons compte que le muscle est atrophié [...] Remusclons-nous de toute urgence. Notre démocratie s’en portera mieux.»