OTTAWA ET LES VALEURS MOBILIÈRES

Entêtement ontarien

Belle illustration de la technique du fait accompli

Dans l’évolution du dossier des valeurs mobilières, on revoit à l’oeuvre une dynamique foncière de la fédération canadienne contemporaine : quand Ottawa veut centraliser une compétence, il n’a qu’à se montrer patient ; diviser les provinces, s’allier la plus forte et les plus faibles, demander pour la forme à la Cour suprême son opinion, puis isoler le Québec. Et il finit par mettre tout le monde devant le fait accompli.
Le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier, a parlé d’« acharnement politique » pour décrire la volonté du gouvernement Harper de créer un organisme des valeurs mobilières unique au Canada. « Acharnement », le terme était bien choisi. Mais il semblait en faire une fixation propre au gouvernement Harper. Or, bien avant l’arrivée des conservateurs au pouvoir, les gouvernements fédéraux ont réclamé une telle centralisation. Car réglementer les valeurs mobilières de façon pancanadienne, c’est une autre manière de consolider le rôle de la métropole du ROC (ou ce qu’on peut appeler — faute de mieux — la nation canadienne-anglaise), Toronto, comme centre financier du Canada. Le gouvernement à Ottawa, qu’il soit conservateur, libéral, néodémocrate (ça pourrait arriver un jour), cherchera toujours à atteindre cet objectif. La Cour suprême du Dominion a eu beau explicitement statuer en 2011 que la précédente tentative du gouvernement Harper était anticonstitutionnelle sur le plan du partage des pouvoirs (articles 91 et 92), rien n’y fait, Ottawa persiste. Il a simplement troqué les mots « national » par « coopératif » dans l’intitulé de son projet afin de se conformer à une brèche dans le renvoi de 2011. Puis il a opté pour les tractations intergouvernementales afin d’arriver à ses fins.

Pourtant, comme l’a bien dit le ministre des Finances Carlos Leitao, le projet d’Ottawa, auquel viennent d’adhérer officiellement deux autres provinces (la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick) même s’il reste indéfini, est une solution qui se cherche un problème. Plusieurs experts font valoir que le système actuel de « passeports » réglementaires entre les 13 organismes de réglementation au Canada (dont l’AMF au Québec) fonctionne bien. Il était piquant, en 2006, au moment où le gouvernement Harper relançait le projet centralisateur, de voir l’Organisation de développement économique (OCDE) placer le Canada au deuxième rang pour l’efficacité de sa réglementation des valeurs mobilières. Devant les États-Unis. D’ailleurs, le système canadien à 13 entités (mais harmonisé grâce à l’informatique contemporaine) a, mieux que plusieurs autres pays dotés d’un système centralisé, traversé la crise économique de 2008. Quant à la protection des investisseurs, la Securities and Exchange Commission n’a pas empêché, bien au contraire, les Bernard Madoff.

Ce projet du gouvernement Harper est le dernier en date d’une longue liste de gestes entrant en contradiction avec ce qu’il avait baptisé avec fierté « fédéralisme d’ouverture ». À Québec, le 19 décembre 2005, ses phrases résonnaient comme des promesses solennelles : « Nous reconnaîtrons l’autonomie des provinces et les responsabilités culturelles et institutionnelles spéciales du gouvernement du Québec. »

Il y eut le « strapontin » du Québec à l’UNESCO, la reconnaissance de la nation québécoise au Parlement (et non dans la Constitution). Mais le fédéralisme d’ouverture n’a pas eu d’autres effets politiques que ces quelques symboles. Nomination des juges fédéraux, réforme du Sénat, registre des armes à feu, réglementation de la main-d’oeuvre, Fonds des travailleurs, etc. : les dossiers où le gouvernement Harper s’est comporté de manière non fédérale (fédérale au sens d’unité dans la diversité), en centralisateur, sont légion. D’ailleurs, après presque une décennie au pouvoir, qu’est-il advenu de cette promesse formelle de Stephen Harper de 2005: « Nous allons encadrer le pouvoir fédéral de dépenser, dont ont tellement abusé les libéraux fédéraux. » Un pouvoir tellement « exorbitant », insistait-il, qu’il a « donné naissance à un fédéralisme dominateur, un fédéralisme paternaliste ». Espérons que la tenue d’un Conseil des ministres fédéral extraordinaire à Québec, en septembre, pour rappeler la conférence de Québec de 1864 (et préparer le 150e anniversaire du Dominion) ne fera pas oublier aux Québécois ces nombreuses promesses brisées ; dont la création d’un organisme pancanadien des valeurs mobilières n’est que la plus récente illustration.

Plusieurs à Toronto, à Ottawa, diront que Québécois et Albertains bloquent le projet fédéral par pur protectionnisme. Mais s’ils croient à ce point qu’une réglementation centralisée est un progrès, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Puisque l’économie est continentale, abolissons toutes les agences canadiennes et adhérons à la Securities and Exchange Commission à Washington. Quoi ? Vous protestez ? Toronto perdrait des emplois ? Le Canada, de l’autonomie ? Mais vous êtes affreusement protectionnistes !


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