Oui aux bonnes relations avec nos voisins
Je ne suis pas contre la vertu. Par ailleurs, je pense que le Québec doit collaborer avec ses voisins et garder avec eux de bonnes relations. C'est vrai aujourd'hui et ce le sera davantage lorsque nous serons un pays indépendant.
D'ailleurs, si le gouvernement fédéral s'est toujours opposé farouchement à nos projets d'émancipation, une bonne entente et des intérêts économiques partagés, ainsi que la crainte d'impacts d'une opposition d'Ottawa à une indépendance démocratiquement acquise pourraient rendre nos voisins plus ouverts à nous laisser quitter le navire le jour venu, en autant que nos intérêts communs soient préservés.
Donc, il est important d'avoir de bonnes relations et développer des projets avec nos voisins terre-neuviens, quoi qu'il arrive. Toutefois, il devrait être hors de question d'aller plus loin pour le moment.
Concernant le contrat hydroélectrique de 1969 sur Churchill Falls, tous les tribunaux ont donné raison au Québec; la Cour suprême se prononcera définitivement en juin. Quel que soit le résultat, il semblerait qu'on songe, à Québec, à une renégociation globale sur l'électricité.
Il ne doit rien en être. Sauf si des négociations frontalières font partie des tractations.
Le problème principal qui nous concerne ici est celui de la frontière de la côte du Labrador.
Rappel historique
Pour rappel, l'entièreté de la péninsule du Labrador a été attribuée au Québec par l'Acte de Québec de 1774. Après des pressions, Londres octroie en 1809 la « côte du Labrador » à son dominion de Terre-Neuve, qui y pratique la pêche. Plusieurs lois québécoises vont confirmer les frontières du territoire du Québec jusqu'en 1912 mais la frontière avec le dominion de Terre-Neuve reste incertaine. Un différend frontalier fait rage entre les deux entités au début du 20e siècle. Le dominion du Canada (dont le Québec fait partie) considère que Terre-Neuve possède une bande de terre d'un mille le long de la côte; Terre-Neuve croit plutôt que la côte inclut tout le bassin versant de la mer du Labrador, qui s'étend profondément dans les terres.
Le conseil privé de Londres, dont l'impartialité a été par la suite remise en question, statue en faveur de Terre-Neuve en 1927. Non seulement cela, mais le Québec est victime d'un cas d'ultra petita, c'est-à-dire que Londres donne à Terre-Neuve un territoire plus vaste que sa requête initiale en fixant la frontière sud au 52e parallèle. Québec n'a jamais reconnu la frontière de la côte du Labrador, frontière qui n'a d'ailleurs jamais été précisément démarquée.
Les bonnes relations avec nos voisins sont dans notre intérêt. Avoir des frontières claires aussi.
S'il est dans notre intérêt d'avoir de bonnes relations avec nos voisins, il est tout autant important que le Québec possède des frontières clairement établies. Or, il subsiste plusieurs problèmes à ce niveau, que ce soit la frontière côtière avec le Nunavut ou encore la frontière maritime dans le Golfe du Saint-Laurent avec Terre-Neuve, sur laquelle toutefois certaines ententes ont pu être trouvées dans le passé. Pour en savoir plus sur le sujet, les passionnés devraient se procurer l'excellent ouvrage d'Henri Dorion et Jean-Paul Lacasse sur la question*.
Aucun gouvernement québécois n'a jamais reconnu la frontière de 1927. Toutefois, par leurs actes ou par la parole, certains gouvernements ont pris des positions pour le moins ambiguës. C'était le cas le 12 avril dernier lorsque le communiqué officiel du premier ministre Couillard évoquait « Terre-Neuve et Labrador » alors qu'on sait que le Québec ne reconnait traditionnellement son voisin que comme étant « Terre-Neuve ».
Il ne saurait y avoir d'autres négociations, en particulier sur l'électricité, sans négociation territoriale.
Il faut en finir avec ces ambiguïtés et ces imprécisions. Il est tout à fait souhaitable que le Québec fixe définitivement ses frontières. Qu'il s'agisse de la perspective d'un Québec province ou d'un Québec pays, d'ailleurs. Il est absolument primordial que le Québec, en tant que nation et qu'État, démarque et assure le contrôle de son territoire. Sans cela, comment peut-il prétendre être un véritable État ou devenir un pays indépendant?
Il ne saurait y avoir d'autres négociations, en particulier sur l'électricité, sans négociation territoriale. Le Québec devrait entreprendre rapidement des travaux sur ses frontières, de manière globale et une négociation définitive sur cette frontière-ci afin de régler ces dossiers et avoir enfin un véritable contrôle sur son territoire.
La ligne de partage des eaux doit être un plancher minimum non négociable avec Terre-Neuve concernant cette frontière.
Contrôle du territoire contre électricité
Non seulement le territoire québécois au nord du 52e parallèle fait partie du territoire innu, il est une extension géographique naturelle (bassin versant) qui permettra le développement de projets, hydroélectriques par exemple, dans le futur, notamment avec les communautés locales, dont les Premières Nations. Comme le rappelait un ancien cadre d'Hydro-Québec en 2016, Terre-Neuve a tout à gagner à une plus grande collaboration avec le Québec sur ses projets, entre autres hydroélectriques, sur la côte du Labrador mais également à l'ouverture des lignes et du marché québécois. La province pourrait ainsi profiter d'une expertise ainsi que d'un plus grand marché à sa portée.
Territoire contre électricité, voilà le principe de base qui devrait conduire toute prochaine négociation entre le Québec et Terre-Neuve. Ce serait l'occasion d'enfin réparer plusieurs erreurs historiques pour les deux parties et de clore un différend frontalier vieux de plus de 90 ans, qui ne favorise pas les bonnes relations de voisinage.
*Le Québec, territoire incertain (Éditions Septentrion).