Entente de Charlottetown: Bourassa ne voulait pas d'un référendum

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La stratégie de Robert Bourassa, gagner du temps pour contrer la monté souverainiste

Des archives devenues récemment accessibles racontent aussi que Daniel Johnson était réfractaire à la stratégie de son chef après l'échec du lac Meech.
En 1991, Robert Bourassa aurait voulu que le Québec adhère à la Constitution canadienne, souscrive à l'entente de Charlottetown, sans avoir à passer par un référendum. Poids lourd au sein du gouvernement libéral, Daniel Johnson était réfractaire au plan d'action de son patron.
Récemment libérées du secret après le délai de 25 ans prévu par la loi, les délibérations du Conseil des ministres à l'époque de la commission Bélanger-Campeau jettent une lumière inédite sur la stratégie de Robert Bourassa, dans les mois qui ont suivi le naufrage de l'accord du lac Meech, en juin 1990.
UN RAPPORT QUI DÉRANGE
Lors de leur réunion du 20 mars 1991, les ministres de Robert Bourassa apprennent les conclusions de la commission Bélanger-Campeau, qui seront rendues publiques une semaine plus tard. Après neuf mois de travail, les commissaires sont parvenus à un consensus sur une proposition double, destinée à exercer de la pression sur le Canada anglais, qui venait de répudier l'entente conclue à Meech. La Commission concluait que deux avenues s'offraient aux Québécois : la tenue d'un référendum sur la souveraineté du Québec, en juin ou en octobre 1992, ou l'examen par une commission parlementaire spéciale d'une offre constitutionnelle « liant formellement le gouvernement du Canada ».
La pilule est dure à avaler pour bon nombre de ministres entrés en politique dans un parti très clairement fédéraliste. Curieusement, le regretté Claude Ryan, l'éminence grise du gouvernement à l'époque, intervient peu. « C'est qu'il a une espèce de statut particulier, il était au courant de toutes les décisions, dans les moindres détails, il n'intervient pas beaucoup parce qu'il sait à l'avance où s'en va le premier ministre », explique aujourd'hui Jean-Claude Rivest, conseiller du premier ministre qui participait à ces discussions.
« Pour le premier ministre, le scénario le plus vraisemblable, c'est que le Québec recevra une offre substantielle de la part du gouvernement fédéral et qu'elle sera soumise à la commission parlementaire prévue à cet effet », indique le procès-verbal de la réunion. Gil Rémillard, ministre responsable du dossier, explique que le projet de loi « prévoirait deux voies », le Canada pourrait faire des offres constitutionnelles qui pourraient, après études, être acceptées par Québec.
« Dans le cas contraire, il y aurait la tenue d'un référendum sur la souveraineté à la fin de 1992. » - Gil Rémillard
Deux ministres, Lucienne Robillard et André Bourbeau, s'interrogent sur le respect des exigences du rapport Allaire, fruit d'un comité de libéraux qui, au début de 1991, avaient réclamé une longue liste de transferts de compétences d'Ottawa vers Québec. André Vallerand se demande, lui, s'il sera possible « de proposer autre chose que la souveraineté totale si l'offre du reste du Canada n'est pas acceptable ».
Bourassa, à maintes reprises, se fait rassurant : le gouvernement aura toujours la possibilité de modifier sa loi, la ratification d'offres fédérales « écartera l'obligation de tenir un référendum sur la souveraineté ». Une élection générale est prévisible pour 1993 ; si la population du Québec rejette la proposition du Canada, « on devra aller en élections ». « L'avantage de procéder par une loi, c'est que le gouvernement est maître de son contenu et qu'il peut l'amender ultérieurement », résume la transcription.
LES DOUTES D'UN POIDS LOURD
Président du Conseil du trésor, Daniel Johnson ne cache pas son embarras devant la stratégie compliquée de Bourassa.
« Pour M. Johnson, toutes ces questions sont complexes et il s'agit d'un geste solennel. » Avant d'aller de l'avant avec une telle loi, qui cautionne l'option souverainiste, il est nécessaire d'obtenir « un consensus au Conseil des ministres ». Le PLQ a pu se rallier derrière le rapport Allaire, très revendicateur, mais M. Johnson « ne croit pas que le processus législatif suggéré fasse consensus au Conseil des ministres et au caucus ».
Même avec la possibilité d'amendement, « le gouvernement sera quand même lié lorsque cette loi sera adoptée ». Ce projet de loi, poursuit-il, « doit être chargé des valeurs qui ont amené des membres du Conseil des ministres à se lancer en politique ».
Cette loi doit aussi « respecter l'évolution historique du Parti libéral. Un consensus se dégage dans la population », lui réplique Bourassa. Encore une fois, il se fait rassurant : « L'adhésion à un tel processus législatif donnera au gouvernement le temps de convenir d'une entente constitutionnelle avec le reste du Canada. »
Publiquement, M. Johnson avait montré qu'il n'était pas enthousiaste devant la stratégie ; il allait comparer l'entente de Charlottetown à une « pizza » où chaque gouvernement avait réclamé un ingrédient. Mais il n'y a pas eu de collision entre MM. Johnson et Bourassa, se souvient Jean-Claude Rivest. « Je n'ai pas de souvenirs précis, je ne me souviens pas qu'il y avait un problème avec Johnson. Il n'y a pas eu de crise, ce n'est pas comme quand M. Bourassa avait décidé de recourir à la clause dérogatoire sur la langue d'affichage, là il y avait eu une vraie collision », avec Claude Ryan notamment, observe M. Rivest. Trois ministres anglophones, Clifford Lincoln, Richard French et Herbert Marx, avaient démissionné.
BOURASSA : GAGNER DU TEMPS
M. Bourassa ne voulait pas de référendum, et « il est certain qu'il préférerait une clause résolutoire dans la loi qui libérerait le gouvernement de l'obligation de tenir un référendum sur la souveraineté en cas d'acceptation de l'offre du reste du Canada », retient le preneur de notes. « M. Bourassa, à ce moment-là, n'était pas encore sûr du contenu de l'entente de Charlottetown. Il voulait avoir l'entente du lac Meech, les cinq conditions du Québec », explique M. Rivest.
Robert Bourassa était bien perplexe, « sceptique » devant l'avenue d'un référendum. « C'est Brian Mulroney qui insistait » pour avoir ce test pancanadien qui lui aurait donné une seconde vie politique si l'ensemble des Canadiens avait cautionné le projet. Il aurait préféré l'éviter, mais il comprenait qu'après Meech, M. Mulroney avait été accusé d'avoir travaillé en secret, et qu'il n'avait d'autre choix que de consulter la population, explique M. Rivest.
À maintes reprises dans les délibérations, Robert Bourassa insiste sur la nécessité de gagner du temps. « Le temps, c'était tout pour lui. Avec Bourassa, deux plus deux ça fait quatre... mais pas tout de suite ! », ironise M. Rivest.
« Je ne commenterai pas des échanges vieux de 25 ans », s'est contente de dire Daniel Johnson, joint par La Presse.
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