En sursis

Le premier ministre a perdu cette semaine un peu plus de son autorité morale

Charest en fin de régime - L'art de ne rien faire

L'autorité morale n'est pas affaire de mérite ni même de pouvoir. C'est plutôt de l'ordre de l'influence et de la confiance que l'on suscite. Or, si le gouvernement libéral minoritaire a été sauvé in extremis, le premier ministre Jean Charest risque malgré tout de sortir affaibli de ce bras de fer, ayant échoué à convaincre la population du bien-fondé d'une baisse d'impôt.
Depuis son accession au pouvoir en 2003, Jean Charest connaît des problèmes de synchronisme. Quand la population était tout ouïe, le nouveau premier ministre, lui, mettait en place ses idées en restant sourd aux états d'âme du peuple. À l'inverse, lorsqu'il s'est retrouvé minoritaire le 26 mars dernier, M. Charest, bousculé par la popularité de l'ADQ, s'est montré réceptif aux attentes de la population, reculant dans le dossier du mont Orford, défendant le poids démocratique du Québec à Ottawa, exigeant un retour au travail des syndiqués d'entretien de la Société de transport de Montréal et annonçant jeudi dernier la mise en place d'un bulletin de notes chiffré et uniforme dans les écoles de la province. Mais la population ne l'écoute plus. «Le lien de confiance qui unit normalement la population et le premier ministre, cette aura de légitimité, semble avoir disparu. Il voudrait donner des tartes aux pommes que la population n'en voudrait pas», estime Daniel Marc Weinstock, professeur de philosophie politique et directeur du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal.
Selon M. Weinstock, le premier ministre est prisonnier d'une perception négative. «Il n'y a aucune rationalité là-dedans. M. Charest est le contraire d'un politicien qu'on pourrait appeler téflon: tout lui colle à la peau. Il est blâmé pour tout et n'obtient le crédit pour rien», constate le philosophe.
Le communicateur-conseil Michel Fréchette abonde dans ce sens. «Que ce soit juste ou injuste, ça importe peu. Dans le monde des perceptions, Jean Charest n'a plus d'ascendant. Un chef peut se maintenir en poste en autant que les gens le suivent et lui accordent de la crédibilité. Tu cesses d'être premier ministre quand la population ne t'écoute plus», soutient M. Fréchette.
Le sondage Léger Marketing publié lundi par Le Devoir démontrait que Jean Charest était complètement déclassé par rapport à ses adversaires. Seulement un électeur sur cinq croit que M. Charest fait un meilleur premier ministre que ne le seraient ses adversaires Mario Dumont et la chef pressentie du PQ, Pauline Marois. Au chapitre des intentions de vote, le Parti libéral du Québec se retrouve en troisième place. Et comme si cela ne suffisait pas, la baisse d'impôt proposée par le gouvernement Charest n'obtient pas l'appui de 70 % de la population.
«C'est la première fois qu'un premier ministre n'est pas capable de vendre une baisse d'impôt, qui devrait pourtant être une mesure sympathique. C'est un signal considérable que M. Charest ne peut pas ignorer. Il doit s'interroger sur son autorité morale», croit Michel Fréchette.
On assiste en quelque sorte à une grande débandade de la popularité de Jean Charest. Et lorsque celui-ci s'est braqué sur le budget, rappelant que sa décision d'accorder des baisses d'impôt de 950 millions était immuable, il n'a fait qu'attiser un certain malaise à son endroit. Comme le souligne M. Weinstock, Jean Charest n'a pas fait la transition entre le statut d'un gouvernement majoritaire et minoritaire.
Mais Jean Charest n'est pas le seul politicien à ne pas avoir rectifié le tir, souligne Michel Fréchette. Ce dernier émet des doutes quant à la maturité des politiciens et des partis politiques du Québec pour ce qui est de gérer par consensus. La crise politique des derniers dix jours en est la démonstration. «On ne peut vivre avec un gouvernement otage de son opposition. Le premier ministre doit chercher à dénouer l'impasse, mais ses "vis-à-vis" ont la responsabilité de se montrer raisonnables», analyse M. Fréchette, qui voit d'ailleurs dans l'intransigeance de Mario Dumont une certaine arrogance.
Mais là où il y a des politiciens, il y a de la politique. «Les considérations stratégiques ont pris le pas sur le sens de l'État au cours de la semaine», croit Anne-Marie Gingras, professeure de science politique à l'Université Laval. Mais elle refuse d'accuser les seuls politiciens. Issus de la population, ces derniers ne sont pas différents et se montrent souvent plus sensibles aux droits individuels qu'aux droits collectifs. «C'est notre conception de la politique qui fait défaut. On a souvent le sentiment que la solidarité a foutu le camp. Mais ce n'est pas totalement noir ou blanc. D'ailleurs, la population semble avoir une vision plus collectiviste en ne souhaitant pas de baisse d'impôt», indique la politologue.
Mais attention, prévient Anne-Marie Gingras, il y a le monde réel et celui construit par les observateurs de la scène politique: médias, intellectuels, maisons de sondage, entre autres. Elle reconnaît toutefois qu'il y a une «certaine fatigue» qui semble s'être installée par rapport à Jean Charest.
Et ce dernier aura vraisemblablement fort à faire pour rétablir son autorité morale aux yeux de la population, mais également à ceux de ses troupes en général, et de ses députés en particulier. Lors du cocktail tenu après la présentation du budget de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, les invités du monde des affaires et des finances ont pu constater les nombreuses interrogations des députés libéraux quant au leadership de leur chef. Puis, au fur et à mesure que la crise se prolongeait, les inquiétudes des libéraux s'accentuaient.
Jean Charest est-il un chef en sursis? Martine Tremblay, qui a été chef de cabinet de René Lévesque au moment de son départ en 1985, et aujourd'hui conseillère spéciale chez HKDP, un cabinet-conseil en communication et affaires publiques, croit que le chef libéral aura de plus en plus de difficulté à s'extirper du tourbillon. «J'ai assisté à la perte d'autorité d'un chef. La grogne prend un certain temps à s'installer, mais les effets sont réels. Rapidement, les ordres ne sont plus suivis. Il y a une paralysie dans la prise de décision», raconte Mme Tremblay.
Selon elle, la situation risque de nourrir les rumeurs et les réflexions des uns et des autres. Des prétendants s'activent déjà, sûrs qu'ils bénéficient d'une certaine autorité, de celle qui permet d'animer une équipe et encore plus de gagner la confiance de la population. Philippe Couillard, Claude Béchard et Pierre Paradis affichent leurs ambitions.
Michel Fréchette ne croit toutefois pas qu'un putsch puisse être en préparation. «Les libéraux ont toujours eu l'élégance qui manquait aux péquistes envers leur chef», dit-il. Chose certaine, les gestes d'éclat sont toujours périlleux pour un parti. «Ça donne une impression de déroute», ajoute Daniel Marc Weinstock.
Pendant ce temps, les adversaires adéquistes et péquistes n'attendent que le moment de faire un croc-en-jambe fatal à Jean Charest. Et il vaudrait mieux que ce soit avant un changement de garde, histoire de faire le plein du mécontentement anti-Charest. «Le PQ et l'ADQ ne se sont souciés que de leur avenir au cours de la dernière semaine. Ils ont calculé comment récupérer l'érosion de la perte d'autorité de M. Charest. La question n'est plus de savoir s'ils vont défaire le gouvernement, mais plutôt quand», affirme Daniel Marc Weinstock.
La nécrologie de Jean Charest a été écrite plus d'une fois. Bagarreur, il s'est toujours relevé, armé de cette force intangible qui semble aujourd'hui lui faire défaut. «L'autorité morale, c'est un état de fait. Tu en as autant que les gens t'en donnent», rappelle Michel Fréchette.


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