Le gouvernement caquiste s’est révélé incapable jeudi de nommer un seul appui dans le Québec inc. à sa réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).
Toutefois, une majorité de Québécois est derrière l’initiative gouvernementale, a fait valoir le premier ministre François Legault. Il en veut pour preuve sa page Facebook où, selon lui, 90 % des personnes expriment leur accord au resserrement des conditions d’admission au PEQ et, par ricochet, au certificat de sélection du Québec.
« En général, le programme d’immigration est accepté par les Québécois », a affirmé le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon.
L’élu, qui a siégé à de nombreux conseils d’administration au cours des dernières années, n’a toutefois pas pu désigner un seul allié issu du Québec inc., en ce qui concerne les nouvelles restrictions à l’immigration. « Allié, comment on définit un allié ? Le programme dans son ensemble, les gens l’appuient. […] Je n’ai pas posé la question [aux gens d’affaires] », a-t-il répété, disant avoir adopté une approche holistique.
M. Legault ne s’étonne pas de l’absence d’appui à sa réforme en immigration, qui comprend l’abaissement temporaire des seuils d’immigration en 2019, au sein du patronat. « C’est sûr que Michel [Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain] veut le plus de main-d’oeuvre possible. C’est un jeu d’offre et de demande. Plus il y a de main-d’oeuvre au Québec, plus on peut garder les salaires bas, plus on est capable de trouver des employés à 12, 15 $ l’heure », a-t-il déclaré.
Il faut faire attention. Elle est complexe, la réforme. [...] Même pour un ministre — et je sais compter —, il faut s’asseoir puis bien y réfléchir
Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) dément cette allégation. Le seul et unique objectif du rehaussement des seuils d’immigration est de « pallier de façon minimale » la pénurie de main-d’oeuvre qui frappe de plein fouet le domaine manufacturier au Québec. Quelque 16 000 emplois sont vacants, selon MEQ.
M. Legault n’est pas surpris non plus de voir les cégeps et les universités tomber à bras raccourcis sur sa réforme du PEQ. « C’est sûr que les recteurs et les cégeps sont financés par étudiant. Donc, les étudiants qui sont dans des domaines où il n’y a pas de besoins, ça rapporte du financement », a-t-il dit au terme d’une semaine mouvementée à l’Assemblée nationale.
« Je ne travaille pas pour Michel Leblanc. Je ne travaille pas pour augmenter à tout prix la clientèle des cégeps et des universités, je travaille pour les Québécois », a-t-il ajouté.
Le chef du gouvernement caquiste est « chaque jour de plus en plus isolé », a déploré le chef de l’opposition officielle, Pierre Arcand. « Il ne peut pas affirmer qu’il fait ça pour le monde des affaires et combler les besoins de main-d’oeuvre. Ils sont tous contre », a-t-il fait valoir durant la période des questions.
« Confusion » dans le message
Selon M. Fitzgibbon, le gouvernement n’est pas à l’abri de tout reproche depuis le dévoilement du plan en immigration de la CAQ par le ministre Simon Jolin-Barrette le mercredi 30 octobre. « Il y a un peu de confusion sur tout cela au niveau des communications », a-t-il dit dans une mêlée de presse. « Il faut faire attention. Elle est complexe, la réforme. Quand on regarde les entonnoirs où les gens peuvent arriver, c’est très complexe. Même pour un ministre ― et je sais compter ―, il faut s’asseoir puis bien y réfléchir », a-t-il ajouté.
De son côté, le ministre Pierre Dufour, s’enorgueillissait jeudi matin d’être parvenu à apaiser les craintes suscitées par la réforme en immigration en Abitibi-Témiscamingue. Il répète à qui veut l’entendre que le recteur de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Denis Martel, a été rassuré par ses paroles réconfortantes.
Il n’en est rien, a rétorqué le principal intéressé au Devoir. « Il n’interprète pas très bien la conversation qu’on a eue ensemble », a mentionné M. Martel, se disant « vraiment pas aussi rassuré ».
Le recteur se dit inquiet parce que plusieurs des programmes de l’UQAT ― la maîtrise en gestion durable des écosystèmes forestiers et la maîtrise et le doctorat en génie minéral, par exemple ― ne figurent pas sur la liste des domaines de formation admissibles au PEQ.
Aussitôt adoptée, aussitôt ignorée
Le gouvernement « a l’obligation morale » de respecter la motion adoptée mercredi soir, alors que seulement trois élus caquistes étaient présents au Salon bleu, lui demandant d’« annule[r] dès maintenant » sa réforme du Programme d’expérience québécoise (PEQ), ont plaidé le Parti libéral du Québec et Québec solidaire.
« Ils ont levé le verre dans un cocktail de financement plutôt que de lever la main en chambre pour défendre ce que je considérerais comme quelque chose d’indéfendable », a déclaré le chef intérimaire du PLQ, Pierre Arcand, en mêlée de presse. « Soit il fait amende honorable et tout le Québec va l’applaudir, soit il s’entête, il s’empêtre et ce n’est que le début de ses problèmes », a affirmé le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois.
Le gouvernement caquiste n’a pas l’intention de donner suite au voeu de l’Assemblée nationale, a indiqué M. Legault jeudi avant-midi. « Les motions, c’est seulement un souhait, ce n’est pas un ordre », a-t-il ajouté, citant librement l’ex-président de l’Assemblée nationale Jacques Chagnon.
Le whip du gouvernement, Éric Lefebvre, a tenu à préciser que seulement quatre députés s’étaient éloignés de la colline Parlementaire pour aller « au cocktail de financement » en soutien à la candidate caquiste à l’élection partielle dans Jean-Talon, Joëlle Boutin, cocktail qui se déroulait dans un restaurant de Sillery. « Faut comprendre qu’il y avait quatre commissions parlementaires. J’avais une trentaine de députés et ministres qui étaient dans des commissions parlementaires », a-t-il expliqué.
Le chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, estime que le peu de députés présents démontre le malaise causé par la réforme du PEQ au sein du caucus caquiste. Une explication balayée du revers de la main par le whip adjoint du gouvernement, Sylvain Lévesque.
Avec Isabelle Porter