En finir avec les médecins tout-puissants

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Transformer les médecins en salariés payés à l'heure

La récente entente entre le gouvernement du Québec et les médecins spécialistes a fait couler beaucoup d’encre. Avec raison, les Québécois étaient en colère. Cependant, la hausse convenue de la rémunération est, d’une certaine façon, l’arbre qui cache la forêt. Le problème fondamental réside dans le système de rémunération en lui-même, bien plus que dans les différents tours de passe-passe pour en tirer maximalement profit.


Ce système est relativement complexe, bien que tous semblent sentir que quelque chose cloche.


Comprendre le « hold-up » médical sur le système


Il y a deux types de médecins, les omnipraticiens et les spécialistes. Les deux groupes sont représentés par des fédérations distinctes : la FMOQ pour les omni, la FMSQ pour les spécialistes.


Au chapitre de la rémunération, les médecins sont des entrepreneurs. Les hôpitaux leur prêtent le local et une partie de l’équipement (tables d’opération, machines d’échographie, TEP Scan, etc.).


Généralement –car il y a quelques exceptions- les médecins ne sont pas payés à l’heure mais à la performance, c’est-à-dire qu’ils facturent la RAMQ à l’acte. La rémunération varie en fonction du nombre de patients traités, et de la nature de l’acte en question. Ainsi, une consultation, une prescription ou une opération, pour ne donner que ces exemples, ne mènent pas à la même paye. Pour maximiser leurs profits, les médecins se sont assurés de conserver un maximum d’actes réservés. Et ils gagnent beaucoup d’argent. Le mieux payé parmi les spécialistes, le radiologue, fait 700 000 dollars par année.


La rémunération omet aussi l’évolution technologique liée aux actes en question. Avec le développement des machines, une radiographie (pour ne donner que cet exemple) nécessite, logiquement, beaucoup moins de temps aujourd’hui que dans les années 1980. Une rémunération véritablement liée à l’effort et au temps investis ne devrait-elle pas prendre en compte cette donne ?


Plusieurs milliers d’actes médicaux sont reconnus. Certains sont très similaires, mais mènent à des rémunérations très différentes. Ce serait à surveiller de près, car la RAMQ a très peu de vérificateurs, et les médecins confient souvent leur facturation à des firmes spécialisées là-dedans. (En voici un exemple, promettant de l’« optimiser ») Un peu comme quand vous allez voir votre comptable et lui demandez de jouer autant que possible avec vos relevés pour que votre rapport d’impôt soit le plus avantageux possible.  S’il est bien difficile de comprendre la manière dont la RAMQ fait ses vérifications, nous savons à tout le moins qu’il y a eu plusieurs scandales de surfacturation par le passé. Et, en 2014, seulement 2 pour cent des médecins se sont fait contrôler ! En 2015, la vérificatrice générale donnait par exemple le cas d’un médecin ayant réclamé  337 000 de dollars, et qui en a finalement obtenu trois fois moins. Imaginez le nombre d’abus ayant pu se produire dans les 98 pour cent de cas non-contrôlés...


Les médecins peuvent aussi s’incorporer, comme une business. En fait, la moitié d'entre eux sont incorporés. Ça coûte cher à l’État, car ça baisse le niveau d’imposition des médecins.


Ça crée une situation une situation très imprévisible au niveau des coûts assumés par l’État québécois. Vous vous souvenez, il y a deux ans, des 800 millions de dollars déboursés par erreur ? Les médecins ont tout simplement fait plus d’actes que ce que les calculs avaient anticipés.


Maintenant, on fait quoi ?


Les partis d’opposition proposent pour le moment de geler la rémunération. Cette proposition est nettement insuffisante, et n’amoindrirait le problème que de manière conjoncturelle, laissant intacte la course à la performance qui fait office de culture médicale. D’élection en élection, les politiciens promettent d’« investir en santé ». En fait, cet investissement a principalement bénéficié aux médecins : ils obtenaient 15,6 pour cent des 30,8 milliards $ dépensés en santé en 2011, ils ont maintenant 22 pour cent des 34,4 milliards dépensés en 2018.


Le vrai changement doit être structurel. Il faut que les médecins soient des employés de l’État et non pas des contractuels de celui-ci. Ils doivent donc être des salariés à part entière, payés à l’heure, et ce, pour plusieurs raisons majeures.


Tout d’abord, un service public est un service public, pas le théâtre d’une compétition entre entrepreneurs. Le travail du médecin est de se dévouer à sa profession, et donc de s’occuper de sa liste de patients. Le message ne devrait pas être « on espère que tu t’occupes de ta liste de patients et on va te payer en fonction de ton rendement ». Il va de soi qu’une consultation ne représente pas le même genre d’effort et de temps investi qu’une opération au cerveau, et c’est pourquoi des ordres de salaires seront nécessairement mis en place, comme dans n’importe quel autre secteur de la fonction publique. Certains systèmes de santé fonctionnent ainsi, dans le monde, et roulent beaucoup mieux que le nôtre.


Ce sera aussi plus facile à gérer au niveau de l’État. Le ministère de la Santé pourra savoir davantage à quoi s’attendre en termes de dépenses publiques quant au salaire des médecins. Le paiement à salaire facilite aussi la reddition de compte, parce que ce serait l’hôpital qui signerait le chèque plutôt que la RAMQ, favorisant donc un rapport plus étroit avec le lieu de travail et la  mise en place d’évaluations périodiques.


Advenant ce salutaire changement de cap, il y aurait plus de médecine familiale (vous savez, ce pour quoi vous attendez environ 2 ans...) et moins de cliniques sans rendez-vous. Avec le présent système, dans une clinique sans rendez-vous, la salle d’attente est pleine et le médecin cherche à traiter le plus grand nombre possible de patients pour facturer un maximum d’actes. C’est très payant. En changeant la rémunération, on relance au contraire la médecine familiale. En plus de créer une culture de proximité entre le médecin et le patient, faisant en sorte que le premier connaîtra véritablement le second et son état de santé, cela sauvera pas mal de temps à beaucoup de gens. Quand votre employeur vous demandera un papier du médecin pour prouver que vous étiez bien grippé le jour où vous n’êtes pas rentré travailler, vous n’aurez qu’à téléphoner à votre médecin de famille et vous n’aurez plus besoin d’aller dans une salle d’attente pendant 5 heures alors que vous avez mal à la gorge et à la tête.


Faire passer les médecins sous le régime du salariat est une proposition assez vieille. Elle ne sera pas facile à mettre en place : casser un lobby tout-puissant et une industrie extrêmement lucrative nécessite beaucoup de courage politique. Cependant, suite aux excès du gouvernement Couillard, on a l’impression que le momentum se présente véritablement, cette fois.


Le parti politique qui sera prêt à en faire la question de l’urne pourrait bien remporter la mise lors de l'élection du 1er octobre.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).