J’étais de passage à Shawinigan, ce matin, devant la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) locale. J’y étais invité pour donner une conférence sur l’état de la cause souverainiste. Ma conclusion : oui les temps sont difficiles pour les nationalistes québécois. Le peuple québécois est abimé par deux défaites référendaires et la nouvelle époque dans laquelle nous entrons pousse à plusieurs égards à la dissolution des nations, et plus encore des petites. Certains sont tentés de se délivrer de la condition québécoise comme on se libérerait d’un trop lourd fardeau. D’autant plus que le politiquement correct qui domine le climat idéologique est malsain. Demain l’indépendance? On l’espère sans trop y croire dans un horizon rapproché. Mais ce n’est pas une raison pour désespérer- je distingue évidemment le désespoir du pessimisme raisonnable qui propose un examen lucide de la situation politique, pour avoir ensuite une meilleure emprise sur elle. C’est justement quand les circonstances sont difficiles qu’il faut savoir exactement ce à quoi qu’on croit, qu’il faut savoir aussi quelles sont nos convictions inébranlables, celles dont on ne peut s’éloigner sans se renier. C’est en situation de «crise historique» qu’il faut savoir quels sont les fondamentaux d’une cause politique, et savoir s’y tenir, ce qui ne nous dispense pas d’intelligence stratégique, de souplesse politique et de courtoisie démocratique. De là l’importance d’avoir une pensée politique bien appuyée, aussi bien philosophiquement qu’historiquement.
C’était un très beau moment. Et comme il se doit, la période de questions était tonifiante. C’est là qu’un public se révèle, et qu’on comprend si le conférencier était sur la même tonalité que le public. J’en suis revenu avec un bonheur authentiquement politique, celui qui vient du partage d’une espérance collective et du sentiment de travailler ensemble pour le bien commun (j’étais à ce point enthousiaste que j’ai fait jouer en boucle pendant une bonne demi-heure dans la voiture ). Je suis toujours touché par la qualité humaine des militants des SSJB dans les régions du Québec. Je le constate à chaque fois que je les rencontre. Il y a chez eux un dévouement remarquable à la cause nationale, qu’ils font vivre dans une organisation politique qui hérite du vieux nationalisme québécois, celui qui précède la Révolution tranquille, mais qui est parvenue à le moderniser, à le débarrasser de ces scories, à lui donner un nouveau souffle. Plus largement, et mon propos n’est plus ici limité à une seule organisation, je suis toujours ému par la profondeur du militantisme souverainiste au Québec, même si chez les souverainistes comme partout ailleurs, on trouve évidemment dans les marges un petit lot d’excités monomaniaques. Sans ces militants, sans ce mouvement, le Québec serait une société riche de moins de possibles.
Le mouvement nationaliste demeure le mouvement politique le plus profondément enraciné dans la société québécoise. C’est qu’il est directement connecté à la question la plus existentielle qui soit : celle de notre survie comme peuple, celle de notre indépendance politique. Il n’y a pas de cause politique plus noble que l’indépendance de son pays. Cette cause touche aux «affects» politiques premiers, ceux qui lient un homme à une réalité qui le transcende, un «monde commun» dans lequel il nait et qui lui survivra. Avec les SSJB et les SNQ, ce mouvement politique trouve son noyau historique le plus solide. On y ressent directement l’aspiration nationale, comme si les militants qui y circulent étaient directement connectés à ses sources existentielles. Les partis souverainistes s’effondreraient-ils que l’idée d’indépendance survivrait dans ces sociétés qui l’ont d’ailleurs conservé à leur manière pendant longtemps – on a oublié au Québec à quel point, avant la Révolution tranquille, les sociétés nationales ont joué un rôle fondamental. C’est là qu’elle se replierait pour un jour renaître. Avec le PQ, le mouvement souverainiste trouve une machine capable de concourir pour le pouvoir, de l’obtenir et de l’exercer, ce qui ne veut pas dire qu’il ne commet pas d’immenses erreurs – mais c’est une autre question sur laquelle je reviens souvent, d’ailleurs. Avec Option nationale, le mouvement nationaliste fait la preuve de son possible renouvellement auprès des jeunes générations qui se réapproprient à leur manière la cause souverainiste. Les souverainistes ont une vertu fondamentale : ils conservent vivante l’idée que le peuple québécois pourrait être un jour pleinement maître chez lui et qu’il en est capable. L’indépendance représente l’expression la plus forte de notre pulsion de vie collective. Qui sait, le peuple québécois pourrait bien un jour y parvenir.
La politique n’est pas simplement une technique gestionnaire et comptable. Elle engage la nature humaine et peut en révéler la meilleure part, comme la pire. Il y a une part de «sacré» en politique. Une part de transcendance, si on préfère. C’est parce que l’homme le sait qu’il s’y investit non seulement avec des intérêts, mais avec des idéaux. C’est pour cela aussi que la politique est aussi passionnelle. Et les militants de ce matin étaient de cette trempe. Alors je le redis : oui, c’était une très belle journée. Et je confesse tout mon respect pour ces militants qui s’inscrivent dans une histoire plus vaste qu’eux et qui la poursuivent. Le militantisme vient avec des sacrifices, même s’il n’est pas sans engendrer un bonheur spécifique. On se moque trop souvent de la base militante souverainiste, que l’on caricature comme une collection de «purs et durs» socialement infréquentables. À tort. Mais vraiment à tort. Doit-on vraiment traiter de purs et durs tous ceux qui croient suffisamment à l’indépendance pour en faire la promotion active, et ne pas considérer cette conviction comme une croyance sans conséquences politiques?
Et d’un coup, la situation des partis politiques me vient à l’esprit. Lorsque je pense aux militants souverainistes, qui travaillent si fort à réanimer l’idée d’indépendance et à la propager, je me dis que les appareils partisans devraient travailler à faire converger ces énergies plutôt qu’à les neutraliser dans une lutte fratricide et autodestructrices entre des gens partageant sur l’essentiel les mêmes convictions fondamentales. Sur l’essentiel, les souverainistes ne s’entendent-ils pas? De là, ne devraient-ils pas réapprendre à travailler ensemble?
Éloge du militant souverainiste
De l'importance d'avoir une idée claire de l'objectif historique
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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