Financer la souveraineté ?

Malheur aux vaincus

On parle ces jours-ci du «financement de la souveraineté avec des fonds publics». Ce débat est absurde.
D’un côté, les péquistes croient que financer une campagne de publicité est une stratégie souverainiste inspirante. Petite confidence, chers amis péquistes : parler de souveraineté, ce n’est pas la même chose que mener une politique souverainiste.
Dans un cas, on fait du marketing et on blablate dans la joie en se convainquant qu’on touche ainsi les coeurs et les âmes. Vite! Bombardons les médias sociaux de capsules web!
Dans l’autre, on mène des politiques qui poussent au maximum la défense de l’autonomie québécoise, quitte à entrer en contradiction avec l’ordre constitutionnel canadien.
Par exemple, on engagerait un projet de loi sur la laïcité conforme aux exigences de la société québécoise, quitte à risquer son invalidation par la Cour suprême qui est gardienne du multiculturalisme comme religion d’État, quitte ensuite à utiliser la clause nonobstant pour assurer son application, si nécessaire.
On verrait alors la question nationale se reconstituer sur des bases solides. Encore faut-il en avoir le courage et ne pas voir la politique comme une activité relevant de la tranquille gestion des jours paisibles.
De l’autre, les fédéralistes s’imaginent que le financement hypothétique d’études concernant l’extension de l’autonomie québécoise dans la fédération (une politique qui relève de la «gouvernance souverainiste» ou de l’autonomisme) ou la validité d’un Québec indépendant relève de la propagande souverainiste.
Petite confidence, chers amis fédéralistes : le Québec n’est pas une province comme les autres et il est normal qu’il mette à jour les études concernant ses intérêts nationaux, d’autant que si le Québec n’est pas encore indépendant, il n’est pas impensable qu’il le devienne un jour. Cela relève du sens le plus élémentaire de l’État de l’y préparer.
J’ajoute que si le gouvernement entend vraiment mener un programme d’affirmation identitaire et nationale, il va de soi qu’il étudie son application, d’autant qu’il se confrontera à l’ordre fédéral dont vous êtes par ailleurs de fervents défenseurs.
J’ajoute une chose : l’État fédéral fait une promotion active et constante du fédéralisme et de l’identité canadienne au Québec. Il mène une propagande active, en fait, pour convaincre les Québécois que le Canada est un idéal moral et qu’il serait non seulement mal avisé, mais immoral de le quitter. Il cherche à transformer la mentalité collective de mille et une manières, en amenant les Québécois à s’identifier d’abord au Canada plutôt qu’au Québec. Ne nous étonnons pas : il s’agit de la raison d’État.
Mais à quand remonte la dernière fois où les fédéralistes québécois ont dénoncé la promotion du fédéralisme au Québec, même si le Québec n’a toujours pas signé la constitution de 1982? À quand une dénonciation par nos fédéralistes de la promotion de l’identité canadienne au Québec? À quand une dénonciation du gaspillage des fonds publics alors que les ponts se craquellent et que l’argent manque pour les réparer?
Mais nos fédéralistes ne le feront pas, n’est-ce pas? Ils se sont convaincus que la plus simple expression du principe du Québec d’abord était une concession faite aux vilains séparatistes. Le nationalisme, ils n’en veulent plus.
Comme je le notais ce matin dans ma précédente entrée de blogue, ils croient désormais que le Canada est bien tel qu’il est, qu’il ne s’agit plus de le réformer de quelque manière que ce soit, d’autant qu’ils savent bien que le Canada anglais ne veut plus entendre parler de quelque manière de la question québécoise. E
t puisqu’ils ne veulent pas gérer la frustration inévitable des Québécois qui constateraient encore une fois que le Canada ne veut pas s’ouvrir à leur vision du pays, fondée sur la thèse des deux peuples fondateurs, ils décident de parler de tout autre chose, en décrétant la question nationale désuète.
À travers tout cela, la question nationale devient franchement ésotérique et incompréhensible pour le commun des mortels qui ne voit pas trop comment cette controverse chicanière permet de mieux comprendre l’intérêt public au Québec.
Les souverainistes «version PQ» servent souvent bien mal leur cause et les fédéralistes servent mal le Québec. Ne soyons pas surpris que Jean-Martin Aussant capte aujourd’hui une part de l’idéalisme souverainisme et enthousiasme une part significative de la jeunesse universitaire: Aussant ne semble pas pris dans cette vision querelleuse de la question nationale, même si je suis le premier à croire que le souverainisme de Aussant tombe dans un autre piège, en laissant croire que seule une approche «technicienne» et «économique» de la souveraineté serait à même de la faire progresser. Mais c’est une autre question dont je parlerai ailleurs bientôt.
À travers cela, surtout, je constate une régression du sens de l’État au Québec, dans les deux camps. Ce n’est pas surprenant : l’appauvrissement du politique est probablement la conséquence inévitable d’une nation historiquement épuisée qui n’a pas saisi l’opportunité historique de réaliser l’indépendance entre 1960 et 2000, quand les circonstances étaient très favorables et qui, aujourd’hui, se disloque, se disperse, se provincialise, et dédramatise paradoxalement chacune de ses régressions.
Un peuple n’échoue pas son indépendance sans en payer le prix. Psychologiquement, il se laisse atteindre par la défaite et les gens se replient de plus en plus dans l’intimité, dans la vie privée, comme s’ils voulaient fuir une chose publique vidée de sens, et où s’expose seulement les calculs cyniques et les idées courtes. Nous sommes de moins en moins une nation et de plus en plus une société d’individus atomisés.
J’y reviens. Cette défaite a affecté les forces politiques dans leur représentation du pays.
Les souverainistes eux-mêmes ont intériorisé le cadre canadien même s’ils espèrent encore en sortir, sans trop savoir comment. Ils espèrent l’indépendance mais n’ont plus la moindre idée du chemin qu’il faut suivre pour chercher à nous y conduire.
D’autant qu’ils sont souvent prisonniers d’une quête de respectabilité «politiquement correcte» autodestructrice qui les amène systématiquement à chercher à plaire à leurs adversaires, et à se faire une fierté de se moquer de leurs plus fidèles alliés. Les souverainistes s’autoneutralisent, autrement dit. Ils veulent un pays, mais ne savent plus trop ce que cela veut dire.
Les fédéralistes, quant à eux, sont devenus allergiques à toute forme conséquente de nationalisme, et ont accepté l’ordre de 1982 qu’ils avaient d’abord et avant tout dénoncé. J’y reviens : nos fédéralistes ne se font plus d’illusion sur le Canada et le Québec.
Certains deviennent même indifférents à la simple question de l’identité québécoise, comme on le voyait dans le débat à la chefferie libérale, quand un des candidats voyait dans la bilinguisation de la vie quotidienne à Montréal un signe d’ouverture sur le monde et qui se montrait au même moment indifférent à la maîtrise du français chez les immigrants.
Ça va bien au Québec, n’est-ce pas ? Malheur aux vaincus, comme disait l’autre.


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