«VIVE LE QUÉBEC LIBRE»

Écrire l’histoire à partir d’un balcon

De Gaulle - « Vive le Québec libre ! » - l'Appel du 18 juin 1940

Martin Pelchat - « C’était l’année d’l’amour, c’était l’année d’l’Expo », chantait Beau Dommage. La suite n’est pas dans la chanson, mais dans tous nos livres d’histoire, car c’était aussi l’année du «Vive le Québec libre ! »



Une phrase du général de Gaulle que personne n’avait vu venir, avant ce soir du 24 juillet 1967, mais qu’on cite et commente encore, 40 ans plus tard. Tapez-la dans Google et vous obtiendrez plus d’un million d’occurrences, à quelques centaines de milliers de résultats des 1,5 million récoltés par « René Lévesque ».
Le président français était parti de Québec, ce jour-là, et avait gagné Montréal en voiture par le chemin du Roy en saluant des milliers de personnes dans une vingtaine de villes et de villages pavoisés de drapeaux fleurdelysés, de tricolores, et des armoiries des anciennes provinces de France. Vers 19 h 30, du balcon de l’hôtel de ville de la métropole, devant un micro qui ne devait pas se trouver là et dont le maire Jean Drapeau aurait préféré le tenir éloigné, il s’est adressé à la foule en lui confiant ce « secret que vous ne répéterez pas » : « Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la libération ».
Conclusion historique
Poursuivant son crescendo récompensé par les cris des 15 000 à 20 000 personnes venues l’entendre, il a ajouté avoir constaté « quel immense effort de progrès, de développement et par conséquent d’affranchissement vous accomplissez ici ». La table était mise pour une conclusion historique. « Vive Montréal! Vive le Québec ! » Et après une pause bien calculée, son fameux : « Vive le Québec libre! »
Claude Morin, qui était alors à l’hôtel de ville avec le groupe de conseillers du premier ministre Daniel Johnson —l’ex-ministre péquiste était à l’époque sous-ministre aux Affaires fédérales-provinciales — témoigne de l’onde de choc. « Dans l’espace de 30 secondes, le Québec a été connu sur toute la planète. Je ne dis pas que les gens s’en souviennent aujourd’hui, mais cet épisode est dans tous les livres sur De Gaulle. Il ne faut jamais oublier que c’était à l’époque le plus prestigieux chef d’État qui existait. » Un tonique pour le mouvement indépendantiste, certes, mais aussi « une espèce de déclaration universelle concernant l’existence du Québec et de la nation québécoise », résume Claude Morin.
Atmosphère de libération
Marcel Masse aussi était à l’hôtel de ville, ce soir-là. Il était le ministre que Daniel Johnson avait délégué à l’accueil des chefs d’État pendant Expo 67. En traversant Montréal, estime-t-il, le général avait pu sentir l’atmosphère de « libération psychologique» des francophones. « Tu sentais que pour une rare fois, les francophones pouvaient se déclarer tels sans aucune hésitation et avec fierté. Ça se sentait tellement que ça a marqué dès les premiers moments le général de Gaulle.»
La déclaration était-elle préméditée ? Claude Morin, sur la foi notamment d’entretiens qu’il avait eus avec des conseillers du président quelques mois plus tôt, à Paris, en préparant la visite, dit : «Ce n’est pas un accident. C’est entendu qu’il voulait laisser un message dont on se rappelerait. Ils (ses conseillers) ne savaient pas quoi, parce que De Gaulle préparait lui-même son message.»
Dans un ouvrage publié en 2000, Alain Peyrefitte, confident du général, écrit que De Gaulle a fait part de ses intentions à l’amiral Philippon, son chef d’état-major particulier, sur le pont du Colbert, pendant la traversée de l’Atlantique. L’amiral a raconté à Peyrefitte cette conversation : « Il m’a dit qu’il était en train d’écrire le discours qu’il allait prononcer : “Que diriez-vous si je leur criais : Vive le Québec libre? ” Je lui ai répondu : “ Oh, vous n’allez pas faire ça, mon général ! — Eh bien, je crois que si ! Ça dépendra de l’atmosphère. ”»
Déjà, en mars, lorsque De Gaulle réfléchit à l’invitation faite par Daniel Johnson, il fait une confidence à Peyrefitte et à Pierre Messmer, son ministre des Armées. « Si j’y vais, ce sera pour faire l’Histoire. »
Avec le recul, Claude Morin considère que le général et certains membres de sa garde rapprochée voulaient aller plus vite que le Québec n’était prêt à aller. « Il aurait été d’accord, je pense, avec ce qu’on appelle la souveraineté-association. Parce qu’il y a même un endroit où il dit qu’il souhaite d’excellentes relations entre le Québec et le reste du Canada, évidemment un Québec qui soit maître de ses affaires. (...) Le problème qu’il y avait, c’est qu’il fallait expliquer à la France : oui, c’est formidable, mais il y a des choses qu’on ne peut pas faire, soit que notre monde ne veut pas, soit que le gouvernement ne veut pas ou ne peut pas. Donc, il faut savoir jusqu’où on peut aller trop loin, mais pas aller trop loin parce qu’on risquait de tout mettre en cause. »
Marcel Masse, qui a plus tard été ministre fédéral, considère pour sa part que c’est un coup de pouce au Québec plutôt qu’aux indépendantistes que le général a voulu donner en 1967. La célèbre phrase, juge M. Masse, est venue en quelque sorte « occulter » l’interprétation qu’on a faite de sa position concernant le Québec et le Canada, qui relevait plus à son avis du désir « d’aider le Québec dans sa relation avec le Canada ». « À partir de là, la négociation Québec-Canada était internationalement publique. Il l’a internationalisée. Et nul n’aurait pu le faire comme il l’a fait. » Rappelant que le Parti libéral se déchira par la suite et que l’Union nationale perdit une partie de ses électeurs aux mains du Parti québécois et des libéraux, M. Masse ajoute que le passage du général «a été un élément majeur de l’évolution des partis politiques », tant au Québec qu’à Ottawa.


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