Contrairement à ce que soutenait cette semaine son chef Philippe Pichet, le SPVM a demandé et obtenu un mandat pour placer sur écoute le chroniqueur Patrick Lagacé et le journaliste Vincent Larouche, a appris La Presse.
C'est ce qu'on peut conclure à la lecture d'une déclaration sous serment et d'une autorisation judiciaire que La Presse a obtenu.
Leurs « communications privées pourront être interceptées », a écrit le juge Marc Bisson, de la Cour du Québec, dans un mandat d'écoute signé en mai dernier et valide pour 60 jours. La police ne s'est donc pas contentée - comme elle l'affirme - d'obtenir le droit de fouiller les relevés téléphoniques du chroniqueur et de le géolocaliser.
Ces nouvelles révélations proviennent de l'autorisation judiciaire, ainsi que d'une déclaration sous serment des policiers qui voulaient l'obtenir. Elle a été demandée dans le cadre de l'enquête sur des policiers arrêtés et accusés pour une affaire présumée de fabrication de preuve, l'été dernier. Le mandat a été autorisé le 27 mai 2016. On ignore s'il a été utilisé et si les deux journalistes de La Presse ont finalement été écoutés. Ils n'ont pas reçu un avis de 90 jours les prévenant qu'ils avaient été écoutés, comme le prévoit la loi.
Le mandat cite en toutes lettres les noms des deux journalistes de La Presse dans une liste d'une quinzaine de personnes - surtout des policiers - qui peuvent faire l'objet d'écoutes.
Pourtant, cette semaine, le directeur du SPVM, Philippe Pichet, a déclaré devant les médias qu'il n'avait jamais été question d'écoute électronique de Patrick Lagacé dans ce dossier. « Je vous rappelle que dans ce dossier-là, il n'a jamais été question d'écoute électronique et il n'y a pas eu de surveillance physique pour le journaliste », a-t-il déclaré. Le 28 octobre dernier, l'enquêteur Normand Borduas avait juré en entrevue à La Presse avoir obtenu les mandats « les moins invasifs » possible, en faisant référence à l'enregistreur de numéros. Ni lui ni ses deux enquêteurs venus rencontrer La Presse il y a une semaine n'ont jamais parlé d'un deuxième journaliste visé.
Alors qu'un mandat relatif à l'enregistreur de numéros (DNR en anglais) ne permet d'obtenir que la liste complète des interlocuteurs d'une personne, un mandat d'écoute va plus loin et autorise les policiers à mettre la main sur le contenu des communications. Une telle autorisation relève d'un juge de la Cour du Québec plutôt que d'un juge de paix. Lundi, La Presse avait révélé l'existence de 24 premiers mandats de surveillance du cellulaire de Patrick Lagacé, dont trois de type DNR.
Dans une réponse par courriel hier, le SPVM a continué de nier.
« M. Lagacé n'a pas fait l'objet d'un mandat d'écoute. Nous ne commenterons pas davantage ce dossier puisque des processus judiciaires [sont] en cours. »
- Darren Martin McMahon-Payette, porte-parole du SPVM
« Le SPVM entend offrir sa pleine collaboration à la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal, au comité d'experts mis en place par le gouvernement du Québec et aux commissaires de la nouvelle commission d'enquête déclenchée récemment », a-t-il poursuivi.
COLMATER LES FUITES
La déclaration sous serment rédigée par les enquêteurs du SPVM démontre que la police tenait notamment à savoir si des informations obtenues par les journalistes de La Presse émanaient de policiers. D'ailleurs, les fuites journalistiques occupent une bonne partie de l'enquête sur fabrication de preuve par des policiers, baptisée Projet Escouade.
Dans sa déclaration sous serment, l'enquêteur Normand Borduas des Enquêtes spéciales invoque notamment le règlement sur la discipline interne des policiers et policières du SPVM. Il relève quatre reportages ou articles décrivant des situations embarrassantes pour le SPVM diffusés et publiés dans différents médias dès le début de janvier 2016 et fait état de contacts entre l'un des policiers accusés, Fayçal Djelidi, et Patrick Lagacé, puis entre ce dernier et Vincent Larouche.
C'est un reportage sur le vol, en décembre 2015, de la mallette de l'ancien commandant des Affaires internes et actuel commandant du groupe Éclipse, Patrice Vilcéus, dans laquelle se trouvaient des clés USB contenant des informations délicates, qui semble avoir mis le feu aux poudres. « Plusieurs articles publiés dans les journaux et sur le web font état de cet événement et donnent des détails connus par peu d'individus », affirme l'enquêteur Borduas. Or, ce reportage a été diffusé par TVA et non pas par La Presse.
Un autre article écrit par Vincent Larouche et publié dans La Presse le 9 janvier 2016 fait état d'une plainte portée par un ancien policier du groupe Éclipse contre son commandant, Patrice Vilcéus, pour ingérence politique dans un dossier d'arrestation. L'enquêteur note que le 4 janvier 2016, Djelidi et Patrick Lagacé ont eu deux échanges téléphoniques. « Le lendemain, 5 janvier, un appel est effectué entre les appareils liés aux journalistes Patrick Lagacé et Vincent Larouche. Les deux n'avaient pas communiqué à l'aide de ces appareils depuis le 13 décembre 2015 », écrit l'enquêteur Borduas, ajoutant plus loin que Lagacé et Larouche ont eu deux appels entre 20 h 22 et 21 h 10, le 10 janvier, lendemain de la publication de l'article sur la possible ingérence politique dans le dossier de l'arrestation faite par le groupe Éclipse.
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