Ébranler les fondations

Harper, un stratège remarquable? Non, un simple plombier de la dilapidation des recettes de l'État... en vue de la privatisation des services publics.



En vertu de la loi, les prochaines élections fédérales auront lieu le 19 octobre 2015. À voir aller les conservateurs, on croirait qu'elles sont imminentes. Ils viennent de lancer leur première publicité négative — ce ne sera sûrement pas la dernière — contre le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae. La cible: son bilan économique à la tête de l'Ontario.
Selon le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Jason Kenney, il n'y a rien là de choquant. M. Rae a toujours dit être prêt à discuter de son bilan, les conservateurs ne font que le prendre au mot. «Je ne pense pas qu'il s'agit d'une campagne perpétuelle, mais d'un débat démocratique perpétuel», a-t-il dit sur les ondes de la CBC. (Comme si on pouvait amalgamer matraquage publicitaire et débat intelligent...)
Mais on peut aussi prendre M. Kenney au mot quand il dit être prêt à débattre du bilan de son propre gouvernement. À une semaine de la présentation du budget fédéral, il y a effectivement matière à réflexion.
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Les conservateurs répètent volontiers, et à raison, que le Canada a été un des derniers pays frappés par la dernière crise économique et qu'il en est sorti plus vite que tout le monde grâce à des fondations très solides.
Le gouvernement Harper aime en prendre le crédit, mais la vérité est qu'il n'a jeté aucune de ces fondations. Tout ce qui a fait la force du Canada durant la dernière crise découlait de politiques macro-économiques et budgétaires prises par les libéraux de Jean Chrétien et les conservateurs de Brian Mulroney.
Brian Mulroney a donné aux libéraux des outils essentiels pour effacer le déficit: introduction de la taxe sur les produits et services (TPS), élimination du déficit de fonctionnement (avant paiement des intérêts sur la dette), adoption d'une politique monétaire anti-inflationniste toujours en vigueur aujourd'hui, prévisibilité accrue des dépenses à travers une désindexation partielle (depuis disparue) de la plupart des transferts aux particuliers.
La principale contribution libérale a été l'élimination du déficit et la réduction constante de la dette. Les libéraux ont aussi résisté à ceux qui souhaitaient, comme les conservateurs, voir le Canada suivre l'exemple américain en matière de déréglementation du système financier. Et les libéraux ont maintenu les dépenses sous contrôle. De leur élection à l'élimination du déficit en 1997-1998, les charges de programmes ont représenté une part décroissante de notre économie. En 1997-1998, elles équivalaient à 13 % du produit intérieur brut (PIB), soit 1,9 % de moins que deux ans auparavant. À partir de là et jusqu'à la fin des mandats Chrétien et Martin, le poids des charges a oscillé entre 12,1 et 12,8 % du PIB et n'a dépassé ce seuil qu'une seule fois, l'année où le gouvernement a versé aux provinces des fonds frais pour la santé et a indemnisé deux provinces pour l'harmonisation de la TPS.
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Depuis qu'ils ont pris le pouvoir, les conservateurs n'ont jamais réussi à faire mieux. Depuis 2006, les charges de programmes ont toujours représenté 13 % ou plus du PIB. Les dépenses n'ont cessé d'augmenter année après année, même avant la crise. À leur première année au pouvoir, elles ont bondi de 13 milliards. L'année suivante, de 11 milliards.
Le plan de relance économique a fait exploser le déficit en 2009-2010, mais il serait mal venu d'en faire le reproche aux conservateurs alors que tout le monde exigeait une politique interventionniste. On peut toutefois critiquer l'ampleur du déficit encouru. Il aurait pu être moins lourd si le gouvernement n'avait pas pris, dès ses premiers budgets, des décisions affectant ses revenus.
La réduction de la TPS, déplorée par presque tous les économistes pour son manque d'effet de levier, prive le gouvernement canadien d'environ 12 milliards de dollars de revenus par année. Les diminutions d'impôt aux entreprises ont d'abord été applaudies, mais pas celles accordées par la suite, alors que le gouvernement était dans le rouge. Avec les deux dernières baisses, Ottawa a renoncé à des revenus annuels allant de 4,5 à 6 milliards.
Fait à noter, le gouvernement Harper a affiché des déficits mensuels avant même que le pays n'entre en crise économique. En avril 2008, le ministère des Finances faisait état d'un déficit mensuel de 0,9 milliard attribuable à un recul des revenus «principalement sous l'effet d'une baisse des rentrées de l'impôt sur le revenu des sociétés et de la taxe sur les produits et services». Le mois d'août suivant, on rapportait un second déficit mensuel, cette fois de 1,7 milliard.
Plus méconnu encore est le fait que, depuis deux ans, Ottawa a renoué avec les déficits de fonctionnement, ceux-là mêmes que Brian Mulroney avait réussi à effacer en 1987-1988 et qu'on n'avait jamais revus depuis, même durant la récession du début des années 1990. Ce n'est donc pas la facture du plan de relance économique qui explique à elle seule le déficit total de 55,6 milliards en 2009-2010. Le déficit de fonctionnement de 26,2 milliards, cette année-là, y a aussi contribué.
Le gouvernement Harper dit devoir sabrer parce qu'il n'arrive plus. Mais il n'arrive plus parce qu'il a miné, en toute connaissance de cause, certaines des fondations jetées par ses prédécesseurs. Cela sert toutefois sa vision des choses. Quand l'État a moins de moyens, il est plus facile de faire accepter d'en réduire la taille.


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