Les loups sont sortis du bois

Duplessis (5): Autonomie, autonomie...

Les masques sont tombés

Tribune libre

La campagne électorale de l’Union nationale de 1956 porte sur les droits des provinces canadiennes que Duplessis qualifiera de « la grande question de l’heure ». Il résume le débat avec le mot autonomie qu’il répétera sans cesse.

Le 1er juin, comme toujours, la campagne débute à Trois Rivières au Colisée des expositions. Encore une fois le décor est spectaculaire et la tribune est remplie de tous les ministres et députés de l’Union Nationale. La foule déborde à l’extérieur alors que Duplessis débute son discours. « Les loups sont sortis du bois, les masques sont tombés » dit-il pour signifier le thème de son allocution.

Il rappelle l’histoire du Québec et du Canada et la constitution canadienne adoptée lors de la création de la Confédération et explique que cette dernière donne à chaque province, et à la province de Québec en particulier, le statut de gouvernement responsable et le droit de prélever des impôts. Ceci dans le but de permettre qu’elle administre ses affaires dans l’accomplissement de ses devoirs et l’exercice de ses obligations parmi lesquelles, il y a le contrôle absolu de ses écoles, de ses hôpitaux et de ses ressources naturelles.

Duplessis dénonce Godbout et les libéraux qui ont voulu rapatrier tous les impôts à Ottawa. Il cite Sir Wilfrid Laurier, « un bon libéral », comme il aime à dire, qui affirmait que « la province de Québec n’est pas une province comme les autres et que c’est à cause de sa position exceptionnelle et unique sur le continent américain que la forme confédérative a été choisie ». Sir Wilfrid ajoutait « c’est un principe faux et désastreux en vertu duquel un gouvernement perçoit les argents et un autre les dépense » c’est-à-dire qu’Ottawa donnerait des subsides et que Québec en vivrait.

Duplessis qualifie la politique des subsides de tutelle et de curatelle comme si la province de Québec n’avait pas atteint la majorité ou est prodigue. Il parle des conférences auxquelles il a participé depuis 1945 à Ottawa et dit qu’en fait ce furent des « circonférences » où on tournait toujours autour du même pot. En réponse à Ottawa qui demande sans cesse aux provinces de céder des droits additionnels en retour d’avantages monétaires, Duplessis dit que « même si la chaîne est dorée, elle n’est pas moins pesante et elle n’est pas moins signe d’esclavage ». La foule l’ovationne, debout sur les chaises.

Duplessis résume la dernière proposition d’Ottawa à la province de Québec, pour les cinq prochaines années : maintenir ses droits fiscaux à 10% de l’impôt fédéral, fixer à 19,1% ses taxes sur les corporations et à 50% celles sur les successions (« des droits qui appartiennent exclusivement à la province, des droits qui touchent à la vie familiale et à nos traditions » dit-il !).

Il souligne que les ministres fédéraux libéraux Lapointe et Jean Lesage défendent la position d’Ottawa et affirment que c’est réglé, mais Duplessis affirme haut et clair que ce sont des retailles et des miettes, « je ne signerai jamais rien, tant que je serai premier ministre et tant que les électeurs me feront confiance, qui correspond à une renonciation, ou une diminution des droits de la province ». Il souligne que les canadiens-français descendent d’une race héroïque qui a la volonté de vivre et de survivre et qu’il ne vendra pas sa race pour une entente temporaire de cinq ans… Il crie « L’Union Nationale veut tout notre butin et nous nous sommes prêt, mesdames et messieurs ». L’enthousiasme est à son comble.

Comme dans ses autres élections, l’Union Nationale ne présente aucun programme officiel et parle, en plus du thème de l’autonomie, de ses réalisations dans les domaines du logement, des hôpitaux, de la croissance industrielle…

Il rappelle le thème de son discours « les loups sont sortis du bois, les masques sont tombés », et souligne que c’est là que l’on voit les politiciens qui acceptent la proposition d’Ottawa, qui abandonnent les positions passées du Québec, qui acceptent le manque de garanties, qui sont des serviteurs d’Ottawa, et qui sont prêts à vendre leur province pour que leur parti subsiste. Il dénonce Lapalme, le chef d’opposition à l’assemblée législative, qui appuie la position d’Ottawa tout en affirmant que Duplessis ne parle d’autonomie que pour faire ses élections, pour ameuter les préjugés et soulever les passions.

Duplessis lui répond en rappelant sa jeunesse, sa carrière d’avocat qui était très profitable et l’abandon de la profession qu’il aimait; sa vie de sacrifices qu’impose-le poste de premier ministre et la liberté qu’il a perdue depuis 29 ans; l’éloignement de sa famille et la séparation nécessaire avec les amis qu’il estime et avec qui il a grandi. Il termine en affirmant qu’il n’a « jamais eu besoin de la politique pour vivre », qu’il est en politique avec sincérité et désintéressement et qu’il met avec plaisir son expérience au service de ses compatriotes. Il réitère que c’est grâce à cette grande expérience qu’il est capable de diriger sa province qui se développe à pas de géants et reconnaître clairement les positions que doit prendre le Québec pour son avenir. Il termine son discours sous de longs applaudissements. Interminables…

Georges-Emile Lapalme, chef du parti libéral, fait un appel à tous ceux qui s’opposent à Duplessis, libéraux, créditistes, nationalistes, indécis et indépendants pour créer une force capable d’expulser l’Union Nationale du pouvoir et faire revivre la démocratie au Québec. Les créditistes répondent positivement et une entente est conclue. Leur mouvement, l’Union des électeurs, ne présentera pas de candidats et les créditistes appuieront les libéraux si la doctrine du Crédit Social devient le thème de la campagne des libéraux et qu’ils s’engagent à l’appliquer dès la prise du pouvoir.

Lapalme se donne comme thème de campagne « Être libéral, c’est être socialement juste ! Il a un programme intéressant : création du ministère des ressources naturelles, gratuité scolaire et gratuité des livres de classe, droit d’affiliation et de sécurité syndicale; octrois statutaires aux écoles, aux municipalités et aux hôpitaux.

Sur la question constitutionnelle, il préconise de meilleures relations avec le gouvernement du Canada et l’abolition de la double imposition des impôts. Plusieurs québécois, en lisant son programme ne le comprennent pas de ne pas se ranger du côté de Duplessis sur la question de l’autonomie et sur la question de l’impôt provincial. Ils ont un certain respect pour Lapalme comme individu mais le trouve mauvais stratège et trop ouvertement serviteur de son ancien parti à Ottawa.

Les syndicats s’opposent à Duplessis. Ils se rappellent sa loi sur la décertification des syndicats qui font des grèves dans les services publics et celle du refus de certification d’un nouveau syndicat s’il est prouvé que ses rangs sont infestés de communistes.

La grande assemblée libérale de Montréal est tenue au Forum. L’enceinte de l’arena est pleine mais surtout d’un très grand nombre, sinon une majorité, de spectateurs coiffés d’un béret blanc, l’attribut visible des créditistes. Le blanc domine. Sur la scène prend place Gilberte-Côté Mercier, la prêtresse des créditistes, son mari et leader du mouvement Louis Even, Lapalme avec ses principaux candidats et Pierre Laporte, ex-journaliste au Devoir, candidat indépendant dans le comté de Montréal-Laurier, qui a rejoint Lapalme pour l’élection.

Les libéraux présents sont estomaqués du spectacle qui se déroule devant leurs yeux et comprennent que Lapalme a fait une erreur magistrale en s’associant aux créditistes. La détermination et la discipline de ces derniers donnent l’impression qu’ils dominent l’assemblée. Mme Mercier trouve même moyen de se faire inviter à faire un discours pour lequel elle reçoit des applaudissements deux fois plus longs que ceux réservés au chef de l’Opposition officielle. Pauvre Lapalme, il a l’air ridicule et il le sait. La même bouffonnerie se répète à plusieurs autres assemblées libérales.

On parle beaucoup de communisme dans cette élection, de la loi du cadenas jusqu’aux œufs communistes. Ces derniers deviennent un sujet chaud. Il s’agit de plusieurs milliers d’œufs de la Pologne communiste qui ont été importés illégalement par une compagnie du Québec. Est-ce parce qu’une forte importation de ces œufs menace les producteurs du Québec ou comme ironisent les adversaires de Duplessis les œufs représentent une infiltration d’idéologie communiste que cette importation fait scandale ? De toute façon, l’Union Nationale provoque un grand bruit publicitaire sur la question et gagne des points.

Duplessis et l’Union Nationale sont reportés facilement au pouvoir avec 72 comtés, trois de plus qu’en 1954. Les libéraux en récoltent 20. Les « bleus » recueillent 52% des votes contre le 44,5% des « rouges ». Pierre Laporte est défait.

Les antiduplessistes sont découragés, les libéraux parlent de changer de chef, les créditistes voient des jours meilleurs venir de leur expérience, et plusieurs expliquent le succès de Duplessis par le patronage et la machine électorale. Ils ne veulent absolument pas lui rendre quelque crédit que ce soit malgré qu’il vient de leur administrer une vraie leçon politique alors qu’il s’est affiché clairement comme le seul porte-parole des revendications nationalistes du Québec dans la lutte de la province avec le gouvernement fédéral. Il a surtout fait comprendre que le temps était à la défense de l’autonomie si la province voulait s’offrir éventuellement une politique sociale d’envergure.

Au lendemain de l’élection, des « citoyens désireux de construire dans cette province une société vraiment démocratique » fondent le « Rassemblement ». Ce « mouvement d’éducation et d’action démocratique dont le but est de créer un nouveau climat politique » comprend Pierre Dansereau, doyen de la faculté des sciences de l’U de M, Pierre-Elliot Trudeau, Jean-Paul Lefebvre de la confédération, Jacques Hébert, Jacques-Yvan Morin de la Fédération des unions industrielles du Québec, Jean Marchand et Arthur Tremblay.

Selon Marchand « le Rassemblement représente l’occasion pour les syndiqués d’établir des liens efficaces avec les cultivateurs, les intellectuels, les professionnels en vue de trouver des solutions aux problèmes politiques du Québec ». Le Rassemblement refuse quiconque affilié à un parti politique, sauf le NDP. Son membership dépasse les 500 membres en 1957 mais diminue rapidement par après. Pour Gérard Bergeron du Devoir « il rassemble un groupe d’exilés, à la recherche d’une patrie politique ». Cette définition est, en fait, exacte. Les antiduplessistes semblent enfermés dans une double incapacité politique : l’incapacité de rallier tous les opposants au régime Duplessis et l’incapacité de proposer une politique alternative valable. Le Rassemblement est un échec.

Trudeau reviendra avec une nouvelle formule « l’Union des Forces Démocratiques » pour « désarçonner le régime Duplessis et épargner au Québec la reconduction de Duplessis pour un nouveau mandat ». Cela se concrétisera mais pas pour ces raisons.

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Suite : Duplessis (6) : La mort de Duplessis

Publiés à ce jour :

Duplessis (1) : l’Union Nationale
Duplessis (2) : Mackenzie King et Louis Stephen Saint-Laurent
Duplessis (3) : Les antiduplessistes
Duplessis (4) : L’impôt provincial


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