Droits de scolarité: qui piège qui?

Université - démocratisation, gouvernance et financement



Le premier affrontement électoral entre libéraux et péquistes a porté sur le dégel des droits de scolarité. Bien des analystes ont estimé que Jean Charest s'était tiré dans le pied en annonçant une mesure impopulaire qui mobilisera les étudiants et donnera des munitions au chef péquiste. Et si c'était exactement le contraire? Et si les libéraux, avec cet engagement, n'avaient pas plutôt donné à André Boisclair la corde pour mieux se pendre?
Ce que bien des gens verront dans le débat sur les droits de scolarité, ce sont des étudiants au bord de la crise de nerfs pour des hausses très modestes, un PQ otage de sa vieille gauche, complice de l'agitation dans la rue et d'une éventuelle grève générale, et dont la promesse de geler les droits pour toujours envoie le message que c'est encore le parti des slogans, des pancartes et des vaches sacrées.
Les libéraux ont pris un risque calculé. Parce que ceux qui seront les plus indignés par leur initiative ne votent pas de toutes façons pour le PLQ. Et plus profondément, parce que la hausse des droits s'inscrit parfaitement dans la stratégie électorale libérale qui ne mise pas sur la séduction pour conserver le pouvoir - ce qu'un Jean Charest, toujours impopulaire, ne réussirait pas - mais sur l'idée d'un gouvernement responsable.
Le risque est probablement moins grand qu'il n'y paraît parce que le gel des frais de scolarité n'est plus l'enjeu qu'il était lorsqu'il a été instauré en 1994 par le gouvernement Parizeau. Les libéraux de Jean Charest, avant la campagne électorale de 2003, n'avaient pas osé s'attaquer à cette vache sacrée et avaient eux aussi promis le gel, pour aller chercher le vote étudiant. Un opportunisme politique auquel l'ADQ de Mario Dumont avait résisté.
Jean Charest, cette fois-ci, a osé s'attaquer au tabou, pour aussitôt se faire dénoncer farouchement par André Boisclair qui a même traité le premier ministre de menteur. Mais peut-on vraiment croire aux larmes de crocodile du chef péquiste? Il y a fort à parier que ni lui ni les ténors de son parti ne croient une seconde aux vertus du gel, et que l'opportunisme politique est maintenant dans le camp péquiste. Parce que les temps ont changé et qu'il n'est plus possible de défendre cette politique avec sincérité et intelligence.
En 12 ans, on a pu mesurer l'impact désastreux de cette mesure sur le sous-financement universitaire. L'écart entre les ressources de nos universités et celles du reste du Canada, autour de 400 millions par année, s'explique essentiellement par ce gel. L'argument voulant que l'on puisse régler ce problème sans hausser les frais, en allant chercher l'argent qui est à Ottawa, ne tient pas la route. Parce si Ottawa augmente ses transferts pour l'enseignement post-secondaire, ce sera pour toutes les provinces. Et si le Québec ne dégèle pas ses frais, son retard par rapport au reste du Canada restera exactement le même.
Mais surtout, l'état des connaissances dans ce domaine a fait des pas de géant. Il y a 15 ans, on pouvait sincèrement croire que des droits de scolarité les plus bas possible étaient une mesure de justice sociale qui favorisait l'accès à l'université. On a constaté, entre autres en comparant les provinces, qu'il n'y a pas de lien entre le niveau des droits et la fréquentation de jeunes défavorisés. Et surtout, on sait maintenant que les facteurs financiers sont très secondaires.
Une étude de Statistique Canada, publiée ce mois-ci, intitulée Pourquoi les jeunes provenant de familles à plus faibles revenu sont-ils moins susceptibles de fréquenter l'université, enfonce un clou dans le cercueil des thèses de M. Boisclair. Elle montre que l'argent n'explique que 12 % de l'écart de fréquentation. Les vraies causes sont plutôt les moins bons résultats scolaires et l'absence de valorisation des études dans le milieu familial. L'ancien recteur Robert Lacroix et Michel Trahan viennent planter le dernier clou, avec un rapport Bourgogne du centre de recherches Cirano, qui démontre que le gel est au contraire un frein à l'accessibilité.
Ce que nous savons maintenant, c'est donc que pour aider les jeunes à aller à l'université, le gel n'est pas une solution. Que cette mesure affecte la qualité de l'éducation. Qu'elle a l'effet pervers d'aider un grand nombre de familles qui n'en ont pas besoin. Ce sont des conclusions accablantes.
En s'accrochant à cette politique, André Boisclair, un jeune politicien censé incarner le renouveau, risque donc de montrer qu'il est prisonnier des radicaux de son parti et qu'il défend des idées mal recyclées de la social-démocratie des années 60. Voilà un bien mauvais message.


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