BICENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE GEORGE-ÉTIENNE CARTIER

Double méprise

Ni Stephen Harper ni Philippe Couillard ne sont vraiment dignes de Cartier

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Il est ainsi douteux de voir Couillard et Harper se réclamer de « sir George »

La commémoration du bicentenaire de naissance George-Étienne Cartier, homme d’État québécois et Père de la Confédération, a été l’occasion de récupérations, tant de la part des premiers ministres Harper et Couillard que de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB).

La SSJB s’offusque que l’on rappelle la mémoire de Cartier, dans lequel elle ne semble voir qu’un politicien anglophile, antidémocrate et corrompu, valet du Canada anglais. Pour une organisation ouvertement indépendantiste, il semble impossible de voir autrement le rôle de Cartier. Le plus grave reste l’idée d’un homme qui serait, au mieux, le lieutenant du conservateur ontarien John A. Macdonald. Cette vision trahit d’une part l’influence d’une vision de l’histoire où les Québécois sont a priori minorisés. Surtout, c’est le triomphe d’une propagande canadienne-anglaise. Après la mort de Cartier (1873), il importait de « washingtoniser » Macdonald en initiateur de la confédération.

Le conservateur et le bâtisseur

Avocat du chemin de fer du Grand Tronc, Cartier était aussi au Parlement du Canada-Uni le plus grand promoteur du développement ferroviaire… La fin de sa vie est entachée par le scandale du Canadien Pacifique, qui éclata en 1873. Lors de l’élection de 1872, Hugh Allan, président de The Canadian Pacific Railway, avait généreusement contribué à la caisse du Parti conservateur et à celles de ses chefs. Cela ne doit pas occulter le fait que l’opposition était aussi bien graissée par des sociétés concurrentes, qui souhaitaient que leur réseau desserve aussi la côte ouest, mais en partant de Boston, et en évitant Montréal, que Cartier travaillait à faire la plaque tournante des transports et de l’industrie.

Le conservatisme de Cartier ne fait pas mystère, toutefois éloigné des radicalismes torys et ultramontains, car il avait plutôt su rallier les libéraux modérés. Il s’oppose au scrutin universel. Échaudé par les événements de 1837-1838 auxquels il prit part sous la bannière des patriotes, Cartier rejette le républicanisme et la « démocratie américaine ». On est loin d’un Papineau ou d’un Dorion. Partisan des institutions britanniques — parlementarisme et monarchie —, Cartier voit dans cette dernière un facteur de stabilité et d’union. Heureusement, les Québécois d’aujourd’hui semblent en majorité bien éloignés de ces idées.

Que messieurs Couillard et Harper se retrouvent tout sourire pour célébrer Cartier est ironique. Leur programme de réduction de l’État contraste avec l’oeuvre de son constructeur. Cartier a gouverné dans des conditions a priori contraires aux intérêts des Canadiens français : le régime de l’Union (1841-1867), qui procédait de l’intention d’assimiler les francophones. Pourtant, il sut établir des institutions durables, leviers de développement pour ses compatriotes.

En 1855 fut adopté l’Acte des municipalités, qui suit l’abolition du système seigneurial. En 1846, Cartier vit à la multiplication des écoles et à la création du Conseil de l’instruction publique. En 1857, il procéda à une décentralisation de l’appareil judiciaire. En 1866, entre en vigueur le Code civil du Bas-Canada, sa grande réalisation.

Bras de fer confédératif

On a souvent dit de Cartier qu’il « a fait entrer le Québec dans la Confédération ». À l’inverse, c’est sans doute lui qui l’a imposée au Canada anglais. En 1864, Cartier fait partie de la Grande Coalition. G.-É. Cartier (libéral-conservateur, Canada-Est), J. A. Macdonald (conservateur, Canada-Ouest) et G. Brown (libéral radical, Haut-Canada) s’unissent sous le ministère de Taché. La stabilité parlementaire assurée, une délégation du Canada-Uni se joint à la conférence de Charlottetown. Il ressort à nouveau le projet d’unir toutes les colonies, dont la liaison sera assurée à l’année par un chemin de fer financé par la métropole. Le Canada-Uni était alors coupé de la navigation en hiver. Le projet d’union offre l’ouverture à l’Atlantique par Halifax, sans passer par les États-Unis. D’autres facteurs économiques militent en faveur du projet.

C’est de la conférence de Québec (octobre 1864) que sortiront les 72 résolutions, qui sont la proposition de nouvelle Constitution qui devra recevoir l’aval des autorités britanniques. Dans l’établissement des deux ordres de gouvernement, on peut voir la marque de Cartier et Taché, pour qui l’existence des législatures provinciales est une condition sine qua non de l’union. Le Québec se retrouvait enfin séparé de l’Ontario, tout en participant au gouvernement général qui veillerait aux « affaires communes ». Le droit civil et l’éducation, leviers fondamentaux, doivent être du ressort des provinces.

Cette vision n’est pas celle de Macdonald, partisan de la réunion des colonies sous un seul gouvernement. Fondamentalement centralisateur, il prédit que les provinces seront absorbées dans le pouvoir général ! Malgré ce qui fut convenu à Québec, jusqu’à la conférence de Londres de 1866, Macdonald tente d’imposer une union législative, qui aurait minorisé complètement les Canadiens français. Cartier l’aurait forcé à accepter les provinces en le menaçant de la dissolution du gouvernement. Il apparaît bien comme le véritable et combatif Père de la Confédération ; et Macdonald comme celui qui la gouverna plus tard selon ses intérêts.

La « Confédération » actuelle est bien différente de celle dont rêvait Cartier. La centralisation du XXe siècle et le recours à la Cour suprême pour juger des affaires du Québec sont bien éloignés de sa vision. Il est ainsi douteux de voir les premiers ministres se réclamer de « sir George ». À Ottawa, Stephen Harper n’est pas à l’écoute des provinces. Quant à Philippe Couillard, sa velléité de faire « entrer » le Québec dans la Constitution de 1982 ne peut qu’attirer la méfiance, car sa pensée fédéraliste pourrait n’être qu’un anti-indépendantisme.

On a dit de Cartier qu’il était « hardi comme un lion ». Ce sont des animaux politiques d’une autre étoffe qui veulent se parer de sa peau.


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