Doit-on respecter toutes les convictions ou la liberté de convictions?

Pourquoi donc avoir écrit “respectueuse de toutes les convictions en matière de religion” au lieu de respect de la liberté religieuse?

Laïcité — débat québécois


Nous nous réjouissons qu’un texte, Pour un Québec laïque et pluraliste, indique, non seulement qu’il n’y a pas d’antagonisme entre laïcité et liberté religieuse, mais que le combat pour la laïcité est bien inscrit dans l’histoire du Québec, qu’il n’est nullement xénophobe et qu’une Charte de la laïcité permettrait d’établir des balises claires quant à l’expression de la liberté religieuse dans les emplois relevant de l’État. Il fallait une réaction forte au Manifeste pour un Québec pluraliste publié le 3 février, ce dernier étant contestable dans plusieurs de ses postulats et affirmations et dont le résultat pratique, sinon la visée, ne pourrait qu’entraîner la défense des groupes religieux intégristes les plus régressifs sur le plan social.
Pourtant, nous ne pouvons pas signer le texte Pour un Québec laïque et pluraliste dans sa forme actuelle. Déjà, comme le Manifeste pour un Québec pluraliste le faisait, ce texte érige un fait sociologique, le pluralisme, en projet éthique. Plus important encore, en proposant le respect des convictions plutôt que le respect de la liberté des convictions, ses auteurs semblent par cette formulation subordonner la liberté d’expression au respect des croyances religieuses, ce qui nous inquiète. En effet, on y lit: “Pour qu'une société soit authentiquement pluraliste, c'est-à-dire respectueuse de toutes les convictions en matière de religion, il est nécessaire que l'État et ses institutions s'obligent à une totale neutralité à l'égard de ces convictions”. On transpose ainsi la nécessaire neutralité de l'État laïque à l'égard des croyances religieuses à la société et on impose donc, au nom de cette neutralité, un devoir moral et/ou intellectuel à la société toute entière! Outre le fait qu'on voit mal comment un tel devoir moral pourrait être accepté par la société à l’égard de certaines conceptions religieuses sur des sujets tels l'avortement, l'égalité des sexes, l'orientation sexuelle, la naissance de l'univers, etc., on voit mal aussi comment ce devoir de respect des convictions religieuses peut ne pas entrer en conflit avec “la liberté de tous les citoyens d'adopter et de propager leurs convictions dans la mesure où cet exercice s'accomplit à l'intérieur des limites des lois de l'État”, comme les auteurs l’écrivent également. Si le respect des croyances religieuses était inscrit tel quel dans une charte de la laïcité, ce serait une sacrée limite à la liberté d’expression et d’ailleurs en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’homme à laquelle les auteurs font référence au dernier paragraphe.1
Pourquoi donc avoir écrit “respectueuse de toutes les convictions en matière de religion” au lieu de respect de la liberté religieuse? Si nous nous fions à la définition des mots respect et respecter, qui implique une considération positive, voire une admiration ou une déférence à l’égard de ce qu’on demande de respecter, cela signifierait que nous ne pourrions nullement critiquer les religions. Le texte du QLP nous invite-t-il alors à une forme d'auto-censure? Ce serait une régression. Le respect de la liberté de croyances et de convictions est un droit fondamental que l’État doit protéger. Mais la liberté d’expression est un droit tout aussi fondamental. Dans cette perspective, chacun doit accepter que ses propres convictions ou croyances, y compris religieuses, peuvent être critiquées. C’est la condition de l’exercice de la liberté d’expression. Sinon, on ferait de la religion un lien structurant “où elle commande la forme politique des sociétés et où elle définit l'économie du lien social”, comme l’écrit Marcel Gauchet dans La religion dans la démocratie.
Pourquoi en outre avoir utilisé l’expression “conviction en matière de religion” plutôt que les mots croyances religieuses habituellement utilisés, si ce n’est à dessein pour mieux établir l'athéisme comme un contraire symétrique aux croyances religieuses? Comment comprendre autrement que l’athéisme soit la seule conviction mentionnée dans le texte? C’est devenu un lieu commun récemment de présenter l’athéisme comme une conviction au même titre que les croyances religieuses. Or, est-on automatiquement croyant du fait qu’on ne croit pas à quelque chose? Ce serait le comble. C'est toujours à ceux qui postulent l'existence de quelque chose qu’incombe le fardeau de la preuve car, d'un strict point de vue logique, comment est-il possible de prouver la non-existence de quelque chose? Le fait qu'une conviction puisse être parfois défendue avec une attitude religieuse ne la transforme pas pour autant en croyance. Une ligne de pensée politique, un courant philosophique ne sont pas des religions et l'adhésion à l'une ou à l'autre ne sera pas traitée de croyance. Utiliser le mot conviction au lieu du mot croyance à propos de la religion c'est nier la spécificité de toutes les religions à savoir la référence au sacré.
Nous lisons dans le texte: “L’école publique n’est plus neutre si le corps enseignant ou les membres de la direction affichent ouvertement leur adhésion à une religion ou leur athéisme.” Le parallélisme établi dans le texte entre adhésion à une religion et athéisme est problématique et on se demande si dans ce cas précis, lors des cours de sciences, les enseignant-e-s devront exprimer un devoir de réserve devant des théories scientifiques littéralement athées? Pierre-Simon Laplace pourrait-il encore répondre à un-e- étudiant-e lui faisant la même remarque que Napoléon au sujet de son livre “L’exposition du système du monde”: “Votre travail est excellent, mais il n’y a pas de trace de Dieu dans votre ouvrage.” Ce à quoi à Laplace a répondu: “Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse.”
En conclusion, les auteurs du texte Pour un Québec laïque et pluraliste disent vouloir contribuer à une “claire compréhension de la véritable nature de la laïcité dans une société pluraliste”. Nos interrogations ne remettent pas en cause fondamentalement leur démarche et leurs perspectives. Elles ne visent que cette “claire compréhension” afin que nous puissions y adhérer totalement.
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(1) Art. 18: Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par 1'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.
(2) Art. 19: Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre,
sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
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Irène Doiron, professeure de philosophie à la retraite
Pierre Leyraud, professeur de physique à la retraite


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 mars 2010

    A Irène D. et Pierre L.
    Merci de ces précisions capitales. Moi aussi j'ai signé Pour un Québec laïque et pluraliste. Je me suis opposé au Manifeste pour un Québec pluraliste dans un texte publié ici: Les sophismes du pluralisme. A cause du texte d'Eric Tremblay, j'ai regretté d'avoir signé le texte de Guy Rocher et compagnie. Je me suis laissé influencer par la présence des signataires Pierre Drouilly et André Drouin que je considère comme des amis.
    Vous me donnez une autre raison de retirer ma signature. Je veux bien respecter la liberté religieuse. Mais je veux absolument garder ma liberté de critiquer les religions.
    Respecter, c'est avoir une considération positive, voire une admiration ou déférence, écrivez-vous. C'est là le problème pour moi. Une croyance ce n'est pas une vache sacrée intouchable. Qu'est-ce que la religion? Je conteste le lien qui est fait entre le port du voile et la volonté de Dieu parce que je crois que le port du voile, c'est un vêtement imposé par les mâles musulmans sexistes comme l'interdiction de manger de la viande le vendredi chez les catholiques était imposée par la hiérarchie. A mon avis, il n'y a pas grand chose de vraiment religieux et de fondamental dans le voile et la viande le vendredi. Je le prouve par l'absurde en posant une question: est-ce que l'abandon par l'Eglise catholique de l'obligation sous peine de péché mortel de manger de la viande le vendredi a mis en péril l'essence même de la religion catholique?
    Non. Mais cela m'a permis de conclure que le fait pour l'Eglise catholique de décréter que de manger de la viande le vendredi était un péché mortel était un abus de pouvoir comme la défense pour les femmes d'utiliser des moyens contraceptifs est un abus de pouvoir. Que ces pauvres "religieux", cardinaux et mâles musulmans aient un problème avec le sexe, c'est une évidence. Ça fait trop longtemps que ce qu'ils appellent "la liberté religieuse" se fait au détriment de la liberté des femmes. Au Québec, a bas le voile qui n'est qu'un truc culturel inégalitaire qui n'a pas rapport avec le vrai religieux.
    Irène et Pierre, bienvenue sur Vigile et j'espère qu'on aura le plaisir de vous lire de nouveau.
    (Vous aurez réussi l'exploit de faire sortir Gébé Trembaly alias Zach Gebello de son anonymat.
    Salutations, Georges. B. Tremblay. Que veut dire le B.? )
    p.s.
    A propos de manifeste à signer ou à ne pas signer, on ne m'y prendra plus. Un manifeste au fond qu'est-ce que c'est? C'est un texte écrit par plusieurs personnes. Ça me rappelle ceci: qu'est-ce qu'un éléphant? C'est un cheval dessiné en comité.
    Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 26 mars 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mars 2010

    J'endosse votre excellente critique.
    Georges B. Tremblay