Doha, terminé ? Non !

17. Actualité archives 2007


C'est officiel, les grandes économies agricoles du monde préfèrent l'échec au compromis. Le cycle de Doha, amorcé en 2001, avec entre autres l'intention de faciliter l'accès des pays les plus pauvres aux marchés alimentaires des pays les plus riches, a avorté. Aucun échéancier ultérieur n'a été fixé par les participants, et les principaux joueurs - l'Union européenne, les États-Unis, le Japon, l'Inde, le Brésil et l'Australie - se reprochent l'échec. Bref, le protectionnisme semble toujours à la mode. Plusieurs personnes, incluant Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cherchent de nouvelles avenues diplomatiques, mais en vain.
L'heure est à la réflexion. Ces négociations avaient pour but d'offrir au monde une globalisation plus inclusive pour les pays pauvres en limitant les barrières tarifaires et les subventions agricoles des pays mieux nantis. Or, les échéanciers électoraux aux États-Unis et en France compliquent la donne : celle d'inviter des pays démocratiques, qui dépendent essentiellement d'un suffrage universel domestique, à résoudre une énigme planétaire vouée à être parsemée d'embûches. Par exemple, la plupart des mouvements qui représentent les producteurs agricoles des pays riches, y compris le Canada, briguent le statu quo puisqu'ils y gagnent énormément. Ces groupes militent avec ardeur pour que leur gouvernement respectif ainsi que les consommateurs ne concèdent en rien une diminution de leur souveraineté alimentaire. Leur lobby s'avère plus qu'efficace.
Conflit idéologique
L'échec des négociations du cycle de Doha était loin d'être inévitable. D'abord, les Américains estiment, et avec raison, qu'ils faut réduire les tarifs à l'importation afin de permettre un meilleur accès à d'autres marchés. Les Européens, maîtres incontestés des barrières tarifaires, calculent que les pays émergents doivent protéger leur marché domestique par le biais de tarifs à l'importation. Il y a aussi le délicat dossier des subventions agricoles. Sur ces points en litige, M. Lamy avait construit un habile compromis entre les pays riches, mais aucune des parties n'a mordu à l'hameçon. De ce fait, nous constatons qu'il existe un conflit idéologique entre plusieurs membres, notamment entre les États-Unis et l'Union européenne. D'une part, l'un veut que Doha devienne une entente historique, tandis que l'autre préfère que Doha mène à autre chose de plus substantiel. De plus, les membres ne s'entendent pas sur la façon d'aider les pays pauvres. En quelques mots, c'est l'impasse.
L'espoir est toujours permis. Ce n'est pas la première fois qu'un tel échec se produit. En 1990, les négociations du cycle de l'Uruguay étaient vouées à l'échec, selon plusieurs. Or, quelques années plus tard, les pays impliqués renouaient le dialogue pour ensuite créer, en 1994, l'Organisation mondiale du commerce. L'agriculture, principal enjeu du cycle de Doha, représente le chantier inachevé du cycle de l'Uruguay.
Afin de permettre aux pays pauvres de développer une économie durable et prospère, les pays de l'hémisphère nord doivent éventuellement reconnaître que leurs doctrines agricoles actuelles ne se marient guère à une économie globale, et ils le savent très bien. L'échec de juillet dernier veut dire que le contexte géopolitique en vigueur se prête mal à une continuation des négociations. Le contexte risque de changer rapidement. Des 149 pays membres de l'OMC, seule la Mongolie n'a pas d'entente bilatérale avec un autre pays. Du côté américain, l'administration Bush a signé 14 ententes et en négocie 11 autres. D'ici la fin de 2006, l'Asie comptera plus de 70 accords de libre-échange. Cette explosion d'accords est susceptible de créer un déséquilibre commercial pour l'Europe et obliger les pays membres à revenir à la table de négociation afin de compléter le cycle de Doha. Le contraire, en revanche, peut être aussi vrai.
Et le Canada ?
Au Canada, les subventions agricoles directes atteignent les 4 milliards $ par an : la conjoncture actuelle offre une opportunité de se préparer à la deuxième phase de Doha. Le Canada compte déjà quelques ententes intéressantes, telles que l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et d'autres accords avec le Chili, le Costa Rica et Israël. Le Canada négocie neuf autres accords et doit poursuivre sa recherche de nouvelles avenues pour l'agriculture canadienne. Une réforme des stratégies de mise en marché, telles que la gestion de l'offre, la transformation des modalités de fonctionnement de la Commission canadienne du blé et une augmentation de la compétitivité de nos agriculteurs, est certes de mise. Il faut bien admettre qu'une fois que l'Europe et les États-Unis s'orienteront vers une entente, le Canada devra suivre.
Les négociations du cycle de l'Uruguay ont duré sept ans, et plusieurs supputent que le cycle de Doha durera au moins 10 ans, et encore. Si nous nous fions au calendrier électoral américain, le cycle de Doha prendra fin sous la gouverne du président qui succédera à George W. Bush. Alors, après seulement cinq ans, donnons au cycle de Doha une véritable chance et laissons le temps faire son oeuvre.
Dr Sylvain Charlebois,
_ Université de Régina

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L'auteur est directeur de l'École d'études supérieures de politiques publiques Johnson-Shoyama de l'Université de la Saskatchewan. Son livre "Pas dans mon assiette" a été publié aux Éditions Les Voix Parallèles





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