Dissension entre les syndicats de l’État sur le port de signes religieux

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Le syndicat de la fonction publique veut l'interdiction pour tous les fonctionnaires


L’interdiction du port de signes religieux déchire les participants des consultations publiques sur le projet de loi sur la laïcité de l’État. Les employés de l’État ne sont pas en reste.


Le président général du Syndicat de la fonction publique et parapublique (SFPQ), Christian Daigle, a recommandé au ministre Simon Jolin-Barrette d’élargir la portée du projet de loi 21 afin d’interdire le port de « symboles religieux ostentatoires » à l’« ensemble du personnel […] qui travaille en contact avec les citoyennes et les citoyens ». « Ces symboles, qui revêtent une signification importante pour les personnes qui les portent, peuvent être perçus comme très dérangeants par les citoyens et citoyennes qui entrent en interaction avec ces personnes », a-t-il souligné lors de son passage à l’Assemblée nationale jeudi.


Le SFPQ a pris le contre-pied de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui désapprouve la volonté du gouvernement d’interdire aux enseignants d’arborer un symbole religieux.


Le président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), Alain Fortier, a mis en garde jeudi soir M. Jolin-Barrette contre l’« inapplicabilité » du projet de loi 21 dans les établissements scolaires. L’absence de « définition claire » des concepts de « laïcité » et de « signes religieux » dans le document de 16 pages ouvre la porte à une foule d’« interprétations » de la portée de l’interdiction du port de signes religieux, a-t-il fait valoir.


Pour preuve, le détenteur d’un doctorat en éducation physique s’est emparé d’un extrait du témoignage de Fatima Houda-Pepin, qui avait précédé le sien.


L’ex-élue libérale soulignait que le voile n’est pas un signe religieux. « Ce qui a été exhibé en France en 1989 par des groupes islamistes comme symbole de leur identité politique est devenu, grâce à nos tribunaux en Occident, un signe religieux conférant un droit religieux, assimilé à la liberté de religion, donc un droit fondamental », a-t-elle mentionné aux membres de la Commission des institutions.


Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. « L’intervenante précédente [Mme Houda-Pepin] a dit que le hidjab n’était pas un signe religieux. Moi, je pensais, avant d’arriver ici, que c’en était un », a lâché quelques minutes plus tard M. Fortier, avant d’ajouter : « Là, on a besoin d’aide, tout le monde, pour définir ce qu’est un signe religieux. » Message entendu, a répondu l’auteur du projet de loi 21, Simon Jolin-Barrette.


Christiane Pelchat a rappelé que le Conseil du statut de la femme, dont elle a tenu les commandes de 2006 à 2011, a décrit dans le passé le voile comme « un signe d’infériorisation des femmes ».


Des tribunaux internationaux comme la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ont jugé le hidjab — derrière lequel « les femmes paraissent moins dignes », estiment-ils — comme une atteinte à l’égalité des sexes. La CEDH soutient qu’il « semble difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves », a rappelé Mme Pelchat en commission parlementaire.


« Un signe religieux, c’est d’abord du prosélytisme », a-t-elle poursuivi, ce qui a décontenancé Hélène David. L’élue libérale a souligné que les propos de Mme Pelchat avait au moins le mérite d’être clairs. « Ça me fait plaisir d’être claire », a rétorqué Mme Pelchat, tout sourire.


Céline Hervieux-Payette a aussi salué jeudi la volonté du gouvernement caquiste de légiférer pour interdire le port de tous les signes religieux chez les agents de la paix, les procureurs, les juges ainsi que les enseignants et les directeurs des écoles primaires et secondaires publiques. « Toutes les religions qui ont des signes religieux dans les écoles, ça n’a pas leur place », a-t-elle fait valoir en commission parlementaire.


Puis, l’ex-sénatrice a agité à la vue des élus rassemblés dans le Salon rouge le livre à succès Insoumise signée par la Néerlando-Américaine d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali. « Le voile, c’est un détail. Ce qui va avec, c’est l’excision, le mariage forcé à 14, 15 ans », a déclaré sans ambages Mme Hervieux-Payette, citant librement Ayaan Hirsi Ali. « Après l’incident de la famille Shafia, je pense qu’on doit comprendre qu’on s’attache à un « détail », alors que tout ce qu’il y a derrière tout cela est beaucoup plus important », a-t-elle poursuivi.


Les propos de Mme Hervieux-Payette ont fait sursauter plus d’un élu dans le Salon rouge. Mme David l’a poliment invitée à se rétracter, craignant « qu’on stigmatise toutes les femmes qui portent un voile ». Mme Hervieux-Payette en a plutôt rajouté. « Je n’ai pas de problème. Qu’ils [les libéraux] aillent faire leurs devoirs et qu’ils aillent découvrir la vérité. J’ai aussi d’autres cas abominables avec les hindous. […] Quand on n’a plus besoin de notre femme, on la passe au feu, pis ça vient de finir. Je vous dis tout simplement que les sociétés, les religions n’ont pas toujours juste de bons côtés, et, dans le cas présent, on ne peut pas dire que, quand on a un symbole et qu’on tient à le garder, c’est parce qu’il y a autre chose derrière tout ça. J’aimerais qu’on en parle », a-t-elle affirmé dans une mêlée de presse.


Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, s’est empressé de se distancier de Mme Hervieux-Payette, qui était pourtant venue l’appuyer. « Je ne partage aucunement les propos qu’elle a tenus et je les dénonce », a-t-il dit dans un impromptu de presse. « Je vais continuer de prôner [la tenue] d’un débat serein. »


La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a pris soin, au jour 3 des consultations sur le projet de loi 21, de témoigner de sa solidarité avec les enseignantes arborant un hidjab. Elle a relaté à l’Assemblée nationale avoir dû promettre à la direction du camp de jour qui l’avait embauchée, dans les années 1980, de ne dire mot de son orientation sexuelle aux enfants sous sa garde. « À l’époque, une large partie de la population était convaincue que nous, les gais et lesbiennes, on ne pouvait pas enseigner ou s’occuper des enfants, parce qu’on allait les contaminer avec nos différences. Une chance que les politiciens de l’époque et ceux qui ont suivi n’ont pas appuyé leur seul jugement sur les qu’en-dira-t-on, parce qu’aujourd’hui, il manquerait bien des profs ! » a-t-elle déclaré lors de la période des questions.


De son côté, Fatima Houda-Pepin a qualifié d’« échec » l’incapacité des gouvernements qui se sont succédé au lendemain de la publication du rapport Bouchard-Taylor (2008) à légiférer afin de renforcer la laïcité de l’État québécois sans pour autant la « réduire à une politique identitaire ». « On aurait dû, au point de départ, donner suite à ces recommandations-là [de la commission Bouchard-Taylor]. Si on l’avait fait, peut-être, Monsieur le Ministre, vous ne seriez pas là à présenter le projet de loi [21] », a-t-elle lancé à Simon Jolin-Barrette.









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