Diaspora

Diaspora québécoise


Définition
La définition que nous présentons ici est tirée d'un ouvrage récent de Chantal Bordes-Benayoun et de Dominique Schnapper. Dans son édition du printemps 2006, la revue Commentaire a publié un extrait de ce livre. Notre définition provient de cet extrait.
«On ne peut s'en tenir aux seuls critères géographiques et se contenter d'appeler «diaspora» la dissémination d'une population dans l'espace mondial à partir d'un lieu originel ou supposé originel. On ne peut adopter non plus la conception selon laquelle toute forme de conscience historique, ou ethnique, particulière à l'intérieur d'un État nation suffirait à définir une diaspora. Par cette extension trop large, le terme «diaspora» n'apporte alors aucune compréhension supplémentaire. Comme le fait remarquer Ida Simon-Barouh, toute référence ethnique peut être déterritorialisée, ce n'est pas une caractéristique de la seule diaspora.
La diaspora ne devient un concept utile que s'il est utilisé exclusivement dans les cas où la dispersion de la population est vécue comme celle d'un même peuple ; où elle s'accompagne du maintien de liens objectifs ou symboliques, d'ordre culturel, politique ou caritatif; entre les groupes dispersés, généralement en situation de minorité, et pas seulement avec un lieu dit «d'origine» ; où se maintient une forme de solidarité culturelle, sentimentale ou politique, plus ou moins active, entre les différents établissements du peuple. Osten Wahlberg a montré que le concept pouvait alors éclairer l'expérience des réfugiés kurdes, qui ne se définissent pas seulement par rapport à l'Angleterre où ils sont installés, mais par les relations de toute nature, surtout politiques, qu'ils entretiennent avec le Kurdistan et avec leurs compatriotes installés dans les autres pays européens. Après avoir critiqué l'usage trop étendu du terme, Arkenson démontre sa fécondité pour comprendre la société canadienne en tant qu'une des sociétés issues de la diaspora britannique, au même titre que la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou les États­Unis. L'historien peut ainsi échapper au biais national et saisir des configurations inédites, des «phénomènes multiséculaires», «d'envergure mondiale».
En adoptant cette définition, on ne désigne pas seulement les faits objectifs que sont la dispersion géographique et les relations, matérielles ou symboliques, qui demeurent entre les établissements dispersés du peuple, mais aussi les expériences vécues des individus qui se réclament de leur appartenance à une diaspora, en entretenant la conscience d'un destin historique particulier : ils ont en effet pour originalité de participer à la société dans laquelle ils sont installés, tout en maintenant ces liens transnationaux ainsi que le mythe de l'unité du peuple et, éventuellement, le rêve d'un retour à un lieu imaginé comme originel. Ce mythe apparaît d'autant plus efficace qu'il se fonde sur une définition à la fois ethnique et religieuse du peuple dispersé et qu'il invoque une Catastrophe qui serait à l'origine de la diaspora. Celle-ci serait transfigurée par le caractère proprement extraordinaire du malheur.
Par «diaspora», on suggère aussi une interdépendance féconde entre les éléments dispersés. Les relations concrètes, les réseaux denses ou ténus qui les relient, mais aussi la connaissance diffuse de l'expérience commune, dispersée dans des lieux divers où se développent autant d'expériences spécifiques, construisent les liens objectifs et la conscience de la diaspora. Ce n'est pas seulement le mythe de l'origine qui nourrit cette dernière, mais aussi ce fil invisible tendu entre les différents espaces qui rétablit la continuité du peuple par-delà les déchirures de l'histoire. Ce fil qui abolit symboliquement la distance n'entrave pas le déroulement singulier de l'histoire de chaque établissement. Chacun a sa vie propre et noue avec le pays d'installation des liens d'appartenance spécifiques, souvent puissants, parfois contrariés. Il arrive que ces liens se rompent, que le rejet l'emporte, réitérant une expérience qui reste toujours fondatrice du sentiment d'appartenance à la diaspora. L'exclusion, les discriminations et le racisme restent des motifs de migration dont les peuples en diaspora font d'autant plus l'objet qu'à côté de la fascination qu'ils peuvent exercer, ils éveillent le soupçon de duplicité qui plane toujours sur l'étranger de l'intérieur. À cette dimension collective et dispersée de l'expérience de la diaspora (être en diaspora), il faut ajouter l'expérience individuelle qui s'y est introduite avec la modernité politique. Être de la diaspora relève d'un choix individuel, ce qui implique la possibilité de ne plus en faire partie, mais aussi d'interpréter de manière plus ou moins orthodoxe le sens d'une telle appartenance. On peut dire que la diaspora moderne implique sa propre dispersion culturelle. Lhomme du peuple dispersé est un être «disjoint, en oscillation, dispersé». Toutes les «politiques de l'identité», en assignant l'individu à son origine, risquent de limiter la liberté de ces interprétations individuelles.
Élaborée à partir du modèle des Juifs, puis des Grecs, des Arméniens et, plus récemment, des Chinois, perçus comme les membres des diasporas «classiques», ou «traditionnelles», la condition diasporique implique une conscience et une volonté qui s'expriment par la revendication même du terme - d'où la nécessité, pour le sociologue, de prendre en compte les discours militants ou scientifiques ainsi que les oeuvres artistiques qui sont des instruments de cette revendication. Prétendre former une diaspora et invoquer des arguments historiques, moraux - le souvenir de la Catastrophe ou du malheur originels - ou culturels constituent autant de moyens par lesquels s'élabore la diaspora. Plus que la nation, qui n'est pas seulement «imaginaire» puisque c'est une unité politique, territorialisée et organisée par les institutions de l'État, la diaspora, elle, est bien une "communauté imaginaire", pour reprendre l'expression popularisée par Benedict Anderson à propos de la nation.»
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Chantal Bordes-Benayoun, sociologue, est directrice de recherche au Centre d’anthropologie de Toulouse (CNRS-École des hautes études en sciences sociales).
Dominique Schnapper, sociologue, est directrice d’études au Centre de recherche historique de l’École des hautes études en sciences sociales.


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